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Peut-on être à la fois lucide et heureux ?

Publié le 15/12/2005

Extrait du document

[...] La libido suit la voie des besoins narcissiques et s'attache aux objets qui assurent leur satisfaction. Ainsi la mère, qui satisfait la faim, devient le premier objet d'amour et certes de plus la première protection contre tous les dangers indéterminés qui menacent l'enfant dans le monde extérieur ; elle devient, peut-on dire, la première protection contre l'angoisse. La mère est bientôt remplacée dans ce rôle par le père plus fort, et ce rôle reste dévolu au père durant tout le cours de l'enfance. Cependant la relation au père est affectée d'une ambivalence particulière. Le père constituait lui-même un danger, peut-être en vertu de la relation primitive à la mère. Aussi inspire-t-il autant de crainte que de nostalgie et d'admiration. Les signes de cette ambivalence marquent profondément toutes les religions [...]. Et quand l'enfant, en grandissant, voit qu'il est destiné à rester à jamais un enfant, qu'il ne pourra jamais se passer de protection contre des puissances souveraines et inconnues, alors il prête à celles-ci les traits de la figure paternelle, il se crée des Dieux, dont il a peur, qu'il cherche à se rendre propices et auxquels il attribue cependant la tâche de le protéger.

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Etre lucide, c'est ne pas vivre dans l'erreur ou l'illusion. L'homme lucide porte sur lui et sur les autres un regard objectif sans faux-fuyants, ni faux-semblants. Mais ce rapport honnête à la vérité peut nous conduire au désespoir. Etre lucide, c'est ne trouver aucun refuge, aucune consolation par lesquels je me protège contre la dureté du monde (Cf. le rôle de l'illusion religieuse pour Freud). Si la lucidité nous rend triste et malheureux, que vaut pourtant un bonheur qui serait privé de toute clairvoyance ? Faut-il préférer une illusion réconfortante à une lucidité blessante ?

« L'illusion ou le suicide ? Oui, en un certain sens.

Non le suicide physique, mais une forme de suicide moral queSchopenhauer nomme « nirvâna » : ce terme repris à l'ascétisme hindou sert à désigner une négation du vouloir- vivre.

Car l'intelligence, dans une suprême lucidité, peut renoncer à jouer le jeu de la volonté et se rebeller.

L'artpeut bien être un remède passager, et l'artiste cet « oeil unique du monde », arraché à la souffrance par la pure représentation.

Mais la véritable solution est morale : l'ascétisme comme exténuation de la volonté et renoncementà la vie. Pourquoi l'ascétisme et pas le suicide ? Parce que le suicide est encore une illusion.

Cioran dit que seuls les optimistes se suicident.

Pour Schopenhauer , le suicide est la négation de la vie mais non du « vouloir-vivre », dont il est, au contraire, l'affirmation passionnée : « Celui qui se donne la mort voudrait vivre ; il n'est mécontent que des conditions dans lesquelles la vie lui est échue. » Le suicide, c'est le « vouloir-vivre » retourné contre soi-même.

Il est protestation plus qu'indifférence.

On pourrait dire que, relativement à la vie, suicide et ascétisme sont dans le même rapport respectif qu'athéisme etmatérialisme, eu égard à Dieu.

Seul l'ascétisme est véritable extinction de la volonté, et c'est l'ennui qui y prépare,car l'ennui est la meilleure école de la désillusion. L'ennui, en effet, nous libère des actions particulières qui exigent autant de motifs, autant d'illusions.

L'ennui nousarrache de la volonté et nous met en condition de nous représenter la vérité de la volonté, sa généralité et sonabsurdité.

Et connaître la vérité sur la volonté revient à se soustraire à son emprise.

Pour Schopenhauer , la philosophie de la lucidité est exercice de désillusion.

Mais, dans ce cas, ne faut-il pas préférer l'illusion réconfortantà une lucidité blessante ? II) L'illusion réconfortante De son côté, l'illusion peut apparaître comme satisfaisante pour celui qui préfère se dissimuler la réalité de sasituation — qu'il s'agisse de sa situation personnelle ou de sa situation d'homme en général, comme mortel.

L'illusionrassure parce que, tant qu'elle dure, elle ne fait que confirmer l'interprétation habituelle du monde.

C'est bienpourquoi elle constitue, du point de vue de Bachelard, un important obstacle épistémologique.C'est que l'illusion prend son origine dans un besoin fondamental de quiétude et dans les désirs.

Sa dénonciationrisque en conséquence d'être peu efficace.

Si l'on admet, à la suite de Marx et de Freud, que la croyance religieusene repose sur rien d'autre que sur un désir de compensation face aux misères réelles ou une demande de protectiond'origine infantile, force est de constater que ce repérage de ses sources ne suffit aucunement à la faire disparaître.L'illusion nous est peut-être d'autant plus « naturelle » qu'elle correspond à notre fonctionnement psychique normal,c'est-à-dire à la façon dont notre conscience nous trompe sur nos déterminations en censurant nos pulsions et lesreprésentations de notre inconscient.

Lorsque Freud a entrepris de diffuser ses théories, ce fut en affirmant qu'ellesétaient sans doute ce à quoi l'homme était le moins préparé, ou ce qu'il admettrait le plus difficilement, précisémentparce que les « vérités » qu'il affirmait venaient contredire la confiance traditionnellement accordée à notreconscience.

Notre existence quotidienne ne peut, par exemple, se dérouler sans trop de heurts qu'à la condition quenous « oubliions » l'importance de la sexualité.

L'illusion est ainsi quotidiennement vitale, parce qu'elle nous permetd'avoir des relations normales avec les autres et d'obéir aux principes de notre environnement.Toutefois, vient toujours un moment où l'illusion est dénoncée comme telle : ce fut le travail de Freud, et c'est, plusgénéralement, la tâche de toute démarche philosophique ou scientifique.

Lorsque Marx dénonce les effets del'idéologie bourgeoise sur la conscience même de la classe ouvrière, que tente-t-il d'autre que d'ôter à cettedernière ses illusions ? Vient toujours un moment où « le roi est nu ».

Il semble ainsi que l'auto-aveuglement, malgréle confort qu'il peut m'apporter, doit avoir une fin ; et il apparaît semblablement, du point de vue collectif, que lamentalitéest bien obligée, même contre son gré, de tenir compte peu à peu, malgré l'inquiétude que cela peut susciter enelle, des avancées scientifiques. Un exemple d'illusion réconfortante: la religion pour Freud. »

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