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Prosper Mérimée, Chronique du règne de Charles IX, chapitre 1, Les reîtres

Publié le 05/09/2006

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Non loin d'Étampes, en allant du côté de Paris, on voit encore un grand bâtiment carré, avec des fenêtres en ogive, ornées de quelques sculptures grossières. Au-dessus de la porte est une niche qui contenait autrefois une madone' de pierre ; mais dans la révolution elle eut le sort de bien des saints et des saintes, et fut brisée en cérémonie...

Le roman et la nouvelle historique trouvent sous la Restauration un public de plus en plus nombreux et enthousiaste. La matière historique envahit le roman, genre littéraire en pleine expansion, et monte sur la scène des théâtres avec le drame romantique. Prosper Mérimée célèbre pour Carmen, Colomba ou La Vénus d'Ille, publie en 1829 Chronique du règne de Charles IX dont nous découvrons ici la première page. Cet incipit, riche en notations descriptives, souligne l'importance du décor, un cabaret qui connut les épisodes des guerres de religion et ceux de la Révolution française. Le narrateur nous amène peu à peu à l'époque où il situe la fiction grâce à l'évocation de ce lieu. À travers celui-ci et également une statue de la Vierge Marie, il évoque le climat de la guerre civile et prépare le lecteur à des épisodes tumultueux. L'incipit joue alors pleinement son rôle en informant et en éveillant l'intérêt.

Notre commentaire s'intéressera d'abord à la mise en place du décor et d'une atmosphère, puis étudiera comment sont imbriqués l'amorce du récit fictionnel et la représentation de la réalité historique.

« étroitement liés à la temporalité, aussi bien le temps séculaire des grands soubresauts d'un pays que le temps durécit, c'est-à-dire la chronologie des événements.

Aussi devons-nous consacrer une grande partie du commentaireà cet art d'amorcer le récit historique et de représenter à la fois l'Histoire. II.

Le cours de l'Histoire et la conduite du récit Cette partie étudie comment le lecteur est introduit dans le récit et comment celui-ci donne une représentation del'Histoire. 1.

La conduite du passés un retour en arrière C'est par le biais des lieux et des objets que le lecteur effectue un retour progressif vers le passé.

Ainsi le « grandbâtiment carré, avec des fenêtres en ogive », évoque un passé médiéval assez vague, mais la phrase suivante noustransporte sous la Révolution française, certainement entre 1793 et 1795, au plus fort de la lutte entre les nouvellesinstitutions et l'Église, résolument opposée à la chute de la monarchie en 1792.

La référence à la Révolution estcomme une étape sur la voie qui conduit à 1572, année cruciale des guerres de religion.

La parenté des situationsest aisément perceptible.

Mêmes violences partisanes, même pouvoir central affaibli par la guerre civile, mêmesprofanations.

Écartant un début « in medias res » projetant le lecteur dans le conflit de 1572, Mérimée opte pourune approche progressive de l'époque des guerres de religion, il oppose nettement deux périodes dramatiques dupassé, mais riches en rebondissements et en situations romanesques, à un présent de paix et d'ordre, la France de1829. Un temps d'attente, une action différée En outre, il choisit d'amorcer le récit à un moment précis de 1572, sûrement antérieur à la nuit de la Saint-Barthélemy.

Moment de paix fragile où les deux partis ennemis s'observent.

Du point de vue du récit, l'actionn'est pas encore lancée.

Le passage est dénué de verbes au passé simple, aucune action précise et ponctuellen'est relatée.

L'incipit s'attache seulement à dépeindre un décor et une atmosphère.

Sur le plan historique, lerécit s'arrête sur une trêve éphémère.

La structure de la dernière phrase et la symétrie des deux propositions «tout rappelait...

» et « tout annonçait...

», montrent que l'attention du lecteur est attirée sur l'intervalle entredeux moments de violence.

Le lecteur s'attend à une reprise de la guerre.

Le décor évoqué au paragraphesuivant l'a préparé à cette attente.

La violence de l'Histoire est suspendue comme l'est l'action racontée.

Onpeut donc parler d'un parallélisme recherché entre le récit fictionnel et la représentation de la réalité historique. 2. Une vision de l'Histoire en filigrane dans l'amorce du récit 3. C'est bien le temps des guerres civiles et des révolutions, où s'affrontent les passions contraires, qui fournit une foisde plus la matière romanesque.

Évoquant, même brièvement, les épisodes révolutionnaires puis les guerres dereligion, Mérimée s'attache à une vision cyclique de l'Histoire : régulièrement succèdent à la paix les divisions et lesexcès.

De la même manière, le cabaret voit passer en un temps resserré des vagues de protestants puis decatholiques.

Si la paix est fragile, les lieux survivent, mais la vraie continuité, c'est la statue de la Madone qui lasymbolise.

« Écornée en vingt endroits par des balles », elle résiste et dénonce le fanatisme des protestants.

LaRévolution pense à son tour en finir avec ce qu'elle considère comme un symbole de la superstition et del'obscurantisme, mais une copie en plâtre qui représente encore assez bien » prend la place de la statue abattue.C'est donc que la foi et notamment le culte de la Vierge Marie, survivent à tous les désordres.

Ce qui échappe auxdestructions et aux profanations vient témoigner des fanatismes divers mais aussi de la foi. Conclusion — Un début de roman historique qui par le biais des lieux introduit le lecteur dans le climat des guerres de religion. — Une distance discrète du narrateur prise avec les fanatismes du passé. — Un incipit qui inscrit cette « Chronique...

» dans la lignée des nouvelles et romans historiques privilégiant lecontexte sanglant des guerres de religion.

Cette première évocation apparente l'oeuvre de Mérimée à La Reine Margot d'Alexandre Dumas comme au recueil de Sade, Les Crimes de l'amour (1800) dont la première nouvelle, peu connue, intitulée Juliette et Raunai, se passe aussi sous Charles IX.. »

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