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(Renan, faisant le bilan de sa vie, s'interroge sur la valeur de la politesse qui lui a été inculquée par ses éducateurs).

Publié le 08/03/2011

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renan

La civilité extrême de mes vieux maîtres m'avait laissé un si vif souvenir, que je n'ai jamais pu m'en détacher. C'est la vraie civilité française, je veux dire celle qui s'exerce, non seulement envers les personnes que l'on connaît, mais envers tout le monde sans exception Une telle politesse implique un parti 2 général sans lequel je ne conçois pas pour la vie d'assiette 3 commode ; c'est que toute créature humaine, jusqu'à preuve du contraire, doit être tenue pour bonne et traitée avec bienveillance. Beaucoup de personnes, surtout en certains pays, suivent la règle justement opposée; ce qui les mène à de grandes injustices. Pour moi, il m'est impossible d'être dur pour quelqu'un a priori. Je suppose que tout homme que je vois pour la première fois doit être un homme de mérite et un homme de bien, sauf à changer d'avis (ce qui m'arrive souvent), si les faits m'y forcent. C'est ici la règle sulpicienne 4 qui, dans le monde, m'a mené aux situations les plus singulières et a fait le plus souvent de moi un être démodé, d'ancien régime, étranger à son temps. La vieille politesse, en effet, n'est plus guère propre qu'à faire des dupes. Vous donnez, on ne vous rend pas. La bonne règle à table est de se servir toujours très mal, pour éviter la suprême impolitesse de paraître laisser aux convives qui viennent après vous ce qu'on a rebuté. Peut-être vaut-il mieux encore prendre la part qui est la plus rapprochée de vous, sans la regarder. Celui qui, de nos jours, porterait dans la bataille de la vie une telle délicatesse serait victime sans profit; son attention ne serait même pas remarquée. « Au premier occupant « est l'affreuse règle de l'égoïsme moderne. Observer, dans un monde qui n'est plus fait pour la civilité, les bonnes règles de l'honnêteté d'autrefois, ce serait jouer le rôle d'un véritable niais, et personne ne vous en saurait gré. Dès qu'on se sent poussé par des gens qui veulent prendre les devants, le devoir est de se reculer, d'un air qui signifie : « Passez, monsieur «. Mais il est clair que celui qui tiendrait à cette prescription en omnibus, par exemple, serait victime de sa déférence ; je crois même qu'il manquerait aux règlements. En chemin de fer, combien y en a-t-il qui sentent que se presser sur le quai pour gagner les autres de vitesse et s'assurer de la meilleure place est une suprême grossièreté ? En d'autres termes, nos machines démocratiques excluent l'homme poli. J'ai renoncé depuis longtemps à l'omnibus; les conducteurs arrivaient à me prendre pour un voyageur sans sérieux. En chemin de fer, à moins que je n'aie la protection d'un chef de gare, j'ai toujours la dernière place. J'étais fait pour une société fondée sur le respect, où l'on est salué, classé, placé d'après son costume, où l'on n'a point à se protéger soi-même. Je ne suis à l'aise qu'à l'Institut et au Collège de France, parce que nos employés sont tous des hommes très bien élevés et nous témoignent une haute estime. Souvenirs d'enfance et de jeunesse (1883). Vous ferez d'abord de ce texte, à votre choix, un résumé (suivant le fil du développement) ou une analyse (mettant en relief la structure logique sans s'attacher à l'ordre linéaire du texte). En tête de cette première partie, vous indiquerez nettement votre choix. Vous dégagerez ensuite, dans le texte, un problème auquel vous attachez un intérêt particulier; vous en préciserez les données et vous exposerez vos vues personnelles sur la question sous la forme d'une argumentation ordonnée menant à une conclusion.  

 

1. J'ajouterai môme envers les animaux. Il me serait impossible de manquer d'égards envers un chien, de le traiter rudement et avec un air d'autorité. (Note de l'auteur.) 2. Parti: opinion que l'on choisit, option. 3. Assiette : assise, fondement. 4. Sulpicienne: pratiquée par les prêtres de Saint-Sulpice dont Renan a été l'élève.

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