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Les sciences ne naissent pas d'une définition.

Publié le 11/05/2011

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Les conditions qui fixent le cadre des mathématiques pures doivent tenir d'une part à la manière d'être des choses, d'autre part à l'organisation de l'esprit humain ; et dès lors il est peu probable, a priori, qu'on puisse soumettre les mathématiques pures à une classification systématique du genre de celles qui nous séduisent par leur simplicité et leur symétrie, quand il s'agit d'idées que l'esprit humain crée de toutes pièces et peut arranger à sa guise, sans être gêné par l'obligation de reproduire une vérité indépendante de lui. Chose remarquable ! les mathématiques, sciences exactes par excellence, sont du nombre de celles où il y a le plus de vague et d'indécision dans la classification des parties.... La théorie des nombres relève de celle de l'ordre et des combinaisons ; et, sous un autre aspect, le calcul des combinaisons est une application de l'arithmétique. Des faits d'arithmétique ont leur raison dans certaines lois de l'algèbre, et des faits d'algèbre ont leur raison dans certaines propriétés des nombres. Tous ces liens peuvent être partiellement et successivement indiqués ; les systématiser synoptiquement ou les exprimer dans une classification paraît chose impossible. Il n'est guère plus aisé de donner du système une définition proprement dite, uniquement tirée de la nature de l'objet, qu'il ne l'est de définir et de classer les diverses parties du système. Les mathématiques pures ont pour objet les idées de nombre, de grandeur, d'ordre et de combinaison, de chances, d'étendue, de situation, de figure, de ligne, de surface, d'inclinaison, et même les idées de temps et de forces, quoique pour celles-ci on ne puisse pousser bien loin la construction scientifique sans recourir à des données de l'expérience. Toutes ces idées s'enchaînent et se combinent de diverses manières, et donnent lieu à des rapprochements, souvent très inattendus, comme lorsqu'on voit figurer dans l'évaluation des chances de la reproduction d'un événement le rapport de la circonférence du cercle à son diamètre. Mais ces idées ont-elles un caractère commun qui rende raison de leur association en un tout, et dont l'idée soit l'idée même des mathématiques prises dans leur ensemble ? On n'a pas eu de peine à apercevoir que les lignes, les surfaces, les angles, les forces, etc., sont des grandeurs mesurables, et l'on en a tiré cette définition vulgaire, d'après laquelle les mathématiques sont les sciences qui traitent de la mesure ou des rapports des grandeurs ; mais, avec un peu plus d'attention, on remarque qu'une foule de théorèmes sur les nombres (la plupart de ceux qui composent la théorie des nombres proprement dite) peuvent être conçus indépendamment de la propriété qu'ont les nombres de servir à la mesure des grandeurs ; qu'une multitude de théorèmes de géométrie (ceux qui composent la géométrie descriptive proprement dite, par opposition à la géométrie dimensive) seraient parfaitement intelligibles quand même on ne considérerait pas les lignes, les angles, etc., comme des grandeurs mesurables ; que dans l'algèbre, enfin, les symboles algébriques peuvent souvent dépouiller toute valeur représentative de quantités réelles ou de grandeurs, sans que les formules cessent d'avoir une signification. De là une conception philosophique clairement exprimée par Descartes, que Leibnitz n'a point négligée, et qu'en dernier lieu M. Poinsot a reproduite avec des développements très dignes de fixer l'attention des géomètres, conception d'après laquelle les spéculations mathématiques auraient pour caractère commun et essentiel de se rattacher à deux idées ou catégories fondamentales : l'idée d'ORDRE, sous laquelle on peut ranger comme autant de variétés ou de modifications spécifiques les idées de situation, de configuration, de forme et de combinaison ; et l'idée de GRANDEUR, qui implique celles de quantité, de proportion et de mesure. Au lieu donc de cette unité systématique qu'il est dans la nature de l'esprit humain de rechercher, et que la définition vulgaire des mathématiques semble promettre, nous tombons sur un cas de dualité, à moins que nous ne nous élevions à des abstractions plus hautes et à des systèmes plus hardis, en considérant avec Leibnitz l'espace comme l'ordre des phénomènes simultanés, le temps comme l'ordre des phénomènes successifs : auquel cas toute spéculation mathématique se rattacherait médiatement ou immédiatement à l'idée d'ordre, et l'unité systématique serait rétablie. COURNOT.

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