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Henri Bergson (1919) L’énergie spirituelle ESSAIS ET CONFÉRENCES

Publié le 17/10/2013

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Henri Bergson (1919) L'énergie spirituelle ESSAIS ET CONFÉRENCES Un document produit en version numérique par Gemma Paquet, bénévole, professeure à la retraite du Cégep de Chicoutimi Courriel: [email protected] dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" fondée dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) Cette édition électronique a été réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers à la retraite du Cégep de Chicoutimi à partir de : Henri Bergson (1919) L'énergie spirituelle. Essais et conférences. Une édition électronique réalisée à partir du livre de Henri Bergson (1859-1941), L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919). Textes et conférences publiés entre 1901 et 1913. Première édition : 1919. Paris: Les Presses universitaires de France, 1967, 132e édition, 214 pp. Collection: Bibliothèque de philosophie contemporaine. Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times, 12 points. Pour les citations : Times 10 points. Pour les notes de bas de page : Times, 10 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pour Macintosh. Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5'' x 11'') Édition complétée mercredi le 17 juillet 2003 à Chicoutimi, Québec. 2 Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 3 Table des matières Avant-propos Chapitre I : La conscience et la vie (Conférence Huxley, faite à l'Université de Birmingham, le 29 mai 1911) Les grands problèmes. - La déduction, la critique et l'esprit de système. - Les lignes de faits. - Conscience, mémoire, anticipation. - Quels sont les êtres conscients ? - La faculté de choisir. - Conscience éveillée et conscience endormie. -Conscience et imprévisibilité. - Mécanisme de l'action libre. -Tensions de durée. - L'évolution de la vie. - L'homme. -L'activité créatrice. - Signification de la joie. - La vie morale. -La vie sociale. - L'au-delà. Chapitre II : L'âme et le corps (Conférence faite à Foi et Vie, le 28 avril 1912) La thèse du sens commun. - La thèse matérialiste. - Insuffisance des doctrines. Origines métaphysiques de l'hypothèse d'un parallélisme ou d'une équivalence entre l'activité cérébrale et l'activité mentale. - Que dit l'expérience ? - Rôle probable du cerveau. - Pensée et pantomime. - L'attention à la vie. - Distraction et aliénation. - Ce que suggère l'étude de la mémoire et plus particulièrement de la mémoire des mots. Où se conservent les souvenirs ? - De la survivance de l'âme Chapitre III : « Fantômes de vivants « et « recherche psychique « (Conférence faite à la Society for psychical Research de Londres, le 28 mai 1913) Préventions contre la « recherche psychique «. - La télépathie devant la science. Télépathie et coïncidence. - Caractère de la science moderne. - Objections élevées contre la recherche psychique au nom de la science. - Métaphysique impliquée dans ces objections. - Ce que donnerait une étude directe de l'activité spirituelle. - Conscience et matérialité. - Avenir de la recherche psychique Chapitre IV : Le rêve (Conférence faite à l'Institut général psychologique, le 26 mars 1901) Rôle des sensations visuelles, auditives, tactiles, etc., dans le rêve. - Rôle de la mémoire. - Le rôle est-il créateur ? - Mécanisme de la perception dans le rêve et dans la veille : analogies et différences. - Caractéristique psychologique du sommeil. Désintéressement et détente. - L'état de tension Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 4 Chapitre V : Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance (Étude parue dans la Revue philosophique de décembre 1908) Description de la fausse reconnaissance. - Traits qui la distinguent : 1? de certains états pathologiques ; 2? de la reconnaissance vague ou incertaine. - Trois systèmes d'explication, selon qu'on voit dans la fausse reconnaissance un trouble de la représentation, du sentiment ou de la volonté. - Critique de ces théories. - Principe d'explication proposé pour tout un ensemble de troubles psychologiques. - Comment se forme le souvenir. - Le souvenir du présent. - Dédoublement du présent en perception et souvenir. - Pourquoi ce dédoublement est ordinairement inconscient. - Comment il redevient conscient. -Effet d'une « inattention à la vie «. - L'insuffisance d'élan. Chapitre VI : L'effort intellectuel (Étude parue dans la Revue philosophique de janvier 1902) Quelle est la caractéristique intellectuelle de l'effort intellectuel ? - Les divers plans de conscience et le mouvement de l'esprit qui les traverse. - Analyse de l'effort de mémoire : rappel instantané et rappel laborieux. - Analyse de l'effort d'intellection : interprétation machinale et interprétation attentive. - Analyse de l'effort d'invention : le schéma, les images et leur adaptation réciproque. - Résultats de l'effort. -Portée métaphysique du problème. Chapitre VII : Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique (Mémoire lu au Congrès de philosophie de Genève en 1904 et publié dans la Revue de métaphysique et de morale sous le titre : Le paralogisme psycho-physiologique) Équivalence admise par certaines doctrines entre le cérébral et le mental. - Peut-on traduire cette thèse soit en langage idéaliste soit en langage réaliste ? - Expression idéaliste de la thèse : elle n'évite la contradiction que par un passage inconscient au réalisme. - Expression réaliste de la thèse : elle n'échappe à la contradiction que par un glissement inconscient à l'idéalisme. -Oscillations répétées et inconscientes de l'esprit entre l'idéalisme et le réalisme. - Illusions complémentaires qui renforcent l'illusion fondamentale. Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) Henri Bergson (1919) L'énergie spirituelle Essais et conférences Paris: Les Presses universitaires de France, 1967, 214 pages Collection : bibliothèque de philosophie contemporaine 132e édition. Retour à la table des matières 5 Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 6 L'énergie spirituelle. Essais et conférences (1919) Avant-propos Par Henri Bergson (1919) Retour à la table des matières Depuis longtemps nos amis voulaient bien nous engager à réunir en volume des études parues dans divers recueils et dont la plupart étaient devenus introuvables. Ils nous faisaient observer que plusieurs avaient été traduites et éditées séparément, dans divers pays, en forme de brochure : l'une d'elles ( l'Introduction à la métaphysique) était maintenant à la disposition du public en sept ou huit langues différentes, mais non pas en français. Il y avait d'ailleurs, dans le nombre, des conférences données à l'étranger et qui n'avaient pas été publiées en France. Telle d'entre elles, faite en anglais, n'avait jamais paru dans notre langue. Nous nous décidons à entreprendre la publication qu'on nous a si souvent conseillée en termes si bienveillants. Le recueil formera deux volumes. Dans le premier sont groupés des travaux qui portent sur des problèmes déterminés de psychologie et de philosophie. Tous ces problèmes se ramènent à celui de l'énergie spirituelle ; tel est le titre que nous donnons au livre. Le second volume comprendra les essais relatifs à la méthode, avec une introduction qui indiquera les origines de cette méthode et la marche suivie dans les applications. Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 7 L'énergie spirituelle. Essais et conférences (1919) Chapitre I La conscience et la vie Conférence Huxley 1, faite à l'Université de Birmingham, le 29 mai 1911 Retour à la table des matières Quand la conférence qu'on doit faire est dédiée à la mémoire d'un savant, on peut se sentir gêné par l'obligation de traiter un sujet qui l'eût plus ou moins intéressé. Je n'éprouve aucun embarras de ce genre devant le nom de Huxley. La difficulté serait plutôt de trouver un problème qui eût laissé indifférent ce grand esprit, un des plus vastes que l'Angleterre ait produits au cours du siècle dernier. Il m'a paru toutefois que la triple question de la conscience, de la vie et de leur rapport, avait dû s'imposer avec une force particulière à la réflexion d'un naturaliste qui fut un philosophe ; et comme, pour ma part, je n'en connais pas de plus importante, c'est celle-là que j'ai choisie. Mais, au moment d'attaquer le problème, je n'ose trop compter sur l'appui des systèmes philosophiques. Ce qui est troublant, angoissant, passionnant 1 Cette conférence a été faite en anglais. Elle a paru dans cette langue, sous le titre de Life and Consciousness, dans le Hibbert Journal d'octobre 1911; elle a été reproduite dans le volume des Huxley memorial lectures publié en 1914. Le texte que nous donnons ici est tantôt la traduction, tantôt le développement de la conférence anglaise. Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 8 pour la plupart des hommes n'est pas toujours ce qui tient la première place dans les spéculations des métaphysiciens. D'où venons-nous ? que sommesnous ? où allons-nous ? Voilà des questions vitales, devant lesquelles nous nous placerions tout de suite si nous philosophions sans passer par les systèmes. Mais, entre ces questions et nous, une philosophie trop systématique interpose d'autres problèmes. « Avant de chercher la solution, dit-elle, ne fautil pas savoir comment on la cherchera ? Étudiez le mécanisme de votre pensée, discutez votre connaissance et critiquez votre critique : quand vous serez assurés de la valeur de l'instrument, vous verrez à vous en servir. « Hélas ! ce moment ne viendra jamais. Je ne vois qu'un moyen de savoir jusqu'où l'on peut aller : c'est de se mettre en route et de marcher. Si la connaissance que nous cherchons est réellement instructive, si elle doit dilater notre pensée, toute analyse préalable du mécanisme de la pensée ne pourrait que nous montrer l'impossibilité d'aller aussi loin, puisque nous aurions étudié notre pensée avant la dilatation qu'il s'agit d'obtenir d'elle. Une réflexion prématurée de l'esprit sur lui-même le découragera d'avancer, alors qu'en avançant purement et simplement il se fût rapproché du but et se fût aperçu, par surcroît, que les obstacles signalés étaient pour la plupart des effets de mirage. Mais supposons même que le métaphysicien ne lâche pas ainsi la philosophie pour la critique, la fin pour les moyens, la proie pour l'ombre. Trop souvent, quand il arrive devant le problème de l'origine, de la nature et de la destinée de l'homme, il passe outre pour se transporter à des questions qu'il juge plus hautes et d'où la solution de celle-là dépendrait . il spécule sur l'existence en général, sur le possible et sur le réel, sur le temps et sur l'espace, Sur la spiritualité et sur la matérialité ; puis il descend, de degré en degré, à la conscience et à la vie, dont il voudrait pénétrer l'essence. Mais qui ne voit que ses spéculations sont alors purement abstraites et qu'elles portent, non pas sur les choses mêmes, mais sur l'idée trop simple qu'il se fait d'elles avant de les avoir étudiées empiriquement ? On ne s'expliquerait pas l'attachement de tel ou tel philosophe à une méthode aussi étrange si elle n'avait le triple avantage de flatter son amour-propre, de faciliter son travail, et de lui donner l'illusion de la connaissance définitive. Comme elle le conduit à quelque théorie très générale, à une idée à peu près vide, il pourra toujours, plus tard, placer rétrospectivement dans l'idée tout ce que l'expérience aura enseigné de la chose : il prétendra alors avoir anticipé sur l'expérience par la seule force du raisonnement, avoir embrassé par avance dans une conception Plus vaste les conceptions plus restreintes en effet, mais seules difficiles à former et seules utiles à conserver, auxquelles on arrive par l'approfondissement des faits. Comme, d'autre part, rien n'est plus aisé que de raisonner géométriquement, sur des idées abstraites, il construit sans peine une doctrine où tout se tient, et qui paraît s'imposer par sa rigueur. Mais cette rigueur vient de ce qu'on a opéré sur une idée schématique et raide, au lieu de suivre les contours sinueux et mobiles de la réalité. Combien serait préférable une philosophie plus modeste, qui irait tout droit à l'objet sans s'inquiéter des principes dont il paraît dépendre ! Elle n'ambitionnerait plus une certitude immédiate, qui ne peut être qu'éphémère. Elle prendrait son temps. Ce serait une ascension graduelle à la lumière. Portés par une expérience de plus en plus vaste à des probabilités de plus en plus hautes, nous tendrions, comme à une limite, vers la certitude définitive. J'estime, pour ma part, qu'il n'y a pas de principe d'où la solution des grands problèmes puisse se déduire mathématiquement. Il est vrai que je ne Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 9 vois pas non plus de fait décisif qui tranche la question, comme il arrive en physique et en chimie. Seulement, dans des régions diverses de l'expérience, je crois apercevoir des groupes différents de faits, dont chacun, sans nous donner la connaissance désirée, nous montre une direction où la trouver. Or, c'est quelque chose que d'avoir une direction. Et c'est beaucoup que d'en avoir plusieurs, car ces directions doivent converger sur un même point, et ce point est justement celui que nous cherchons. Bref, nous possédons dès à présent un certain nombre de lignes de faits, qui ne vont pas aussi loin qu'il faudrait, mais que nous pouvons prolonger hypothétiquement. Je voudrais suivre avec vous quelques-unes d'entre elles. Chacune, prise à part, nous conduira à une conclusion simplement probable ; mais toutes ensemble, par leur convergence, nous mettront en présence d'une telle accumulation de probabilités que nous nous sentirons, je l'espère, sur le chemin de la certitude. Nous nous en rapprocherons d'ailleurs indéfiniment, par le commun effort des bonnes volontés associées. Car la philosophie ne sera plus alors une construction, oeuvre systématique d'un penseur unique. Elle comportera, elle appellera sans cesse des additions, des corrections, des retouches. Elle progressera comme la science positive. Elle se fera, elle aussi, en collaboration. Voici la première direction où nous nous engagerons. Qui dit esprit dit, avant tout, conscience. Mais, qu'est-ce que la conscience ? Vous pensez bien que je ne vais pas définir une chose aussi concrète, aussi constamment présente à l'expérience de chacun de nous. Mais sans donner de la conscience une définition qui serait moins claire qu'elle, je puis la caractériser par son trait le plus apparent : conscience signifie d'abord mémoire. La mémoire peut manquer d'ampleur ; elle peut n'embrasser qu'une faible partie du passé ; elle peut ne retenir que ce qui vient d'arriver ; mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n'y est pas. Une conscience qui ne conserverait rien de son passé, qui s'oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à chaque instant : comment définir autrement l'inconscience ? Quand Leibniz disait de la matière que c'est « un esprit instantané «, ne la déclarait-il pas, bon gré, mal gré, insensible ? Toute conscience est donc mémoire -conservation et accumulation du passé dans le présent. Mais toute conscience est anticipation de l'avenir. Considérez la direction de votre esprit à n'importe quel moment : vous trouverez qu'il s'occupe de ce qui est, mais en vue surtout de ce qui va être. L'attention est une attente, et il n'y a pas de conscience sans une certaine attention à la vie. L'avenir est là; il nous appelle, ou plutôt il nous tire à lui : cette traction ininterrompue, qui nous fait avancer sur la route du temps, est cause aussi que nous agissons continuellement. Toute action est un empiétement sur l'avenir. Retenir ce qui n'est déjà plus, anticiper sur ce qui n'est pas encore, voilà donc la première fonction de la conscience. Il n'y aurait pas pour elle de présent, si le présent se réduisait à l'instant mathématique. Cet instant n'est que la limite, purement théorique, qui sépare le passé de l'avenir; il peut à la rigueur être conçu, il n'est jamais perçu; quand nous croyons le surprendre, il est déjà loin de nous. Ce que nous percevons en fait, c'est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux parties : notre passé immédiat et Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 10 notre avenir imminent. Sur ce passé nous sommes appuyés, sur cet avenir nous sommes penchés ; s'appuyer et se pencher ainsi est le propre d'un être conscient. Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d'union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l'avenir. Mais à quoi sert ce pont, et qu'est-ce que la conscience est appelée à faire ? Pour répondre à la question, demandons-nous quels sont les êtres conscients et jusqu'où le domaine de la conscience s'étend dans la nature. Mais n'exigeons pas ici l'évidence complète, rigoureuse, mathématique ; nous n'obtiendrions rien. Pour savoir de science certaine qu'un être est conscient, il faudrait pénétrer en lui, coïncider avec lui, être lui. Je vous défie de prouver, par expérience ou par raisonnement, que moi, qui vous parle en ce moment, je sois un être conscient. Je pourrais être un automate ingénieusement construit par la nature, allant, venant, discourant ; les paroles mêmes par lesquelles je me déclare conscient pourraient être prononcées inconsciemment. Toutefois, si la chose n'est pas impossible, vous m'avouerez qu'elle n'est guère probable. Entre vous et moi il y a une ressemblance extérieure évidente ; et de cette ressemblance extérieure vous concluez, par analogie, à une similitude interne. Le raisonnement par analogie ne donne jamais, je le veux bien, qu'une probabilité ; mais il y a une foule de cas où cette probabilité est assez haute pour équivaloir pratiquement à la certitude. Suivons donc le fil de l'analogie et cherchons jusqu'où la conscience s'étend, en quel point elle s'arrête. On dit quelquefois : « La conscience est liée chez nous à un cerveau ; donc il faut attribuer la conscience aux êtres vivants qui ont un cerveau, et la refuser aux autres. « Mais vous apercevez tout de suite le vice de cette argumentation. En raisonnant de la même manière, on dirait aussi bien : « La digestion est liée chez nous à un estomac ; donc les êtres vivants qui ont un estomac digèrent, et les autres ne digèrent pas. « Or on se tromperait gravement, car il n'est pas nécessaire d'avoir un estomac, ni même d'avoir des organes, pour digérer : une amibe digère, quoiqu'elle ne soit qu'une masse protoplasmique à peine différenciée. Seulement, à mesure que le corps vivant se complique et se perfectionne, le travail se divise ; aux fonctions diverses sont affectés des organes différents ; et la faculté de digérer se localise dans l'estomac et plus généralement dans un appareil digestif qui s'en acquitte mieux, n'ayant que cela à faire. De même, la conscience est incontestablement liée au cerveau chez l'homme : mais il ne suit pas de là qu'un cerveau soit indispensable à la conscience. Plus on descend dans la série animale, plus les centres nerveux se simplifient et se séparent les uns des autres ; finalement, les éléments nerveux disparaissent, noyés dans la masse d'un organisme moins différencié : ne devons-nous pas supposer que si, au sommet de l'échelle des êtres vivants, la conscience se fixait sur des centres nerveux très compliqués, elle accompagne le système nerveux tout le long de la descente, et que lorsque la substance nerveuse vient enfin se fondre dans une matière vivante encore indifférenciée, la conscience s'y éparpille elle-même, diffuse et confuse, réduite à "peu de chose, mais non pas tombée à rien ? Donc, à la rigueur, tout ce qui est vivant pourrait être conscient : en principe, la conscience est coextensive à la vie. Mais l'est-elle en fait ? Ne lui arrive-t-il pas de s'endormir ou de s'évanouir ? C'est probable, et voici une seconde ligne de faits qui nous acheminera à cette conclusion. Chez l'être conscient que nous connaissons le mieux, c'est par l'intermédiaire d'un cerveau que la conscience travaille. Jetons donc un coup d'oeil sur Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 11 le cerveau humain, et voyons comment il fonctionne. Le cerveau fait partie d'un système nerveux qui comprend, outre le cerveau lui-même, une moelle, des nerfs, etc. Dans la moelle sont montés des mécanismes dont chacun contient, prête à se déclencher, telle ou telle action compliquée que le corps accomplira quand il le voudra ; c'est ainsi que les rouleaux de papier perforé, dont on munit un piano mécanique, dessinent par avance les airs que jouera l'instrument. Chacun de ces mécanismes peut être déclenché directement par une cause extérieure : le corps exécute alors tout de suite, comme réponse à l'excitation reçue, un ensemble de mouvements coordonnés entre eux. Mais il y a des cas où l'excitation, au lieu d'obtenir immédiatement une réaction plus ou moins compliquée du corps en s'adressant à la moelle, monte d'abord au cerveau, puis redescend, et ne fait jouer le mécanisme de la moelle qu'après avoir pris le cerveau pour intermédiaire. Pourquoi ce détour ? à quoi bon l'intervention du cerveau ? Nous le devinerons sans peine si nous considérons la structure générale du système nerveux. Le cerveau est en relation avec les mécanismes de la moelle en général, et non pas seulement avec tel ou tel d'entre eux ; il reçoit aussi des excitations de toute espèce, et non pas seulement tel ou tel genre d'excitation. C'est donc un carrefour, où l'ébranlement venu par n'importe quelle voie sensorielle peut s'engager sur n'importe quelle voie motrice. C'est un commutateur, qui permet de lancer le courant reçu d'un point de l'organisme dans la direction d'un appareil de mouvement désigné à volonté. Dès lors, ce que l'excitation va demander au cerveau quand elle fait son détour, c'est évidemment d'actionner un mécanisme moteur qui ait été choisi, et non plus subi. La moelle contenait un grand nombre de réponses toutes faites à la question que les circonstances pouvaient poser; l'intervention du cerveau fait jouer la plus appropriée d'entre elles. Le cerveau est un organe de choix. Or, à mesure que nous descendons le long de la série animale, nous trouvons une séparation de moins en moins nette entre les fonctions de la moelle et celles du cerveau. La faculté de choisir, localisée d'abord dans le cerveau, s'étend progressivement à la moelle, qui d'ailleurs construit alors un moins grand nombre de mécanismes, et les monte sans doute aussi avec moins de précision. Finalement, là où le système nerveux est rudimentaire, à plus forte raison là où il n'y a plus d'éléments nerveux distincts, automatisme et choix se fondent ensemble : la réaction se simplifie assez pour paraître presque mécanique; elle hésite et tâtonne pourtant encore, comme si elle restait volontaire. Rappelez-vous l'amibe dont nous parlions tout à l'heure. En présence d'une substance dont elle peut faire sa nourriture, elle lance hors d'elle des filaments capables de saisir et d'englober les corps étrangers. Ces pseudopodes sont des organes véritables, et par conséquent des mécanismes; mais ce sont des organes temporaires, créés pour la circonstance, et qui manifestent déjà, semble-t-il, un rudiment de choix. Bref, de haut en bas de la vie animale nous voyons s'exercer, quoique sous une forme de plus en plus vague à mesure que nous descendons davantage, la faculté de choisir, c'est-àdire de répondre à une excitation déterminée par des mouvements plus ou moins imprévus. Voilà ce que nous trouvons sur notre seconde ligne de faits. Ainsi se complète la conclusion où nous arrivions d'abord; car si, comme nous le disions, la conscience retient le passé et anticipe l'avenir, c'est précisément, sans doute, parce qu'elle est appelée à effectuer un choix : pour choisir, il faut penser à ce qu'on pourra faire et se remémorer les conséquences, avantageuses ou nuisibles, de ce qu'on a déjà fait ; il faut prévoir et il faut se souvenir. Mais Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 12 d'autre part notre conclusion, en se complétant, nous fournit une réponse plausible à la question que nous venons de poser : tous les êtres vivants sont-ils des êtres conscients, ou la conscience ne couvre-t-elle qu'une partie du domaine de la vie ? Si, en effet, conscience signifie choix, et si le rôle de la conscience est de se décider, il est douteux qu'on rencontre la conscience dans des organismes qui ne se meuvent pas spontanément et qui n'ont pas de décision à prendre. À vrai dire, il n'y a pas d'être vivant qui paraisse tout à fait incapable de mouvement spontané. Même dans le monde végétal, où l'organisme est généralement fixé au sol, la faculté de se mouvoir est plutôt endormie qu'absente : elle se réveille quand elle peut se rendre utile. Je crois que tous les êtres vivants, plantes et animaux, la possèdent en droit ; mais beaucoup d'entre eux y renoncent en fait, - bien des animaux d'abord, surtout parmi ceux qui vivent en parasites sur d'autres organismes et qui n'ont pas besoin de se déplacer pour trouver leur nourriture, puis la plupart des végétaux : ceux-ci ne sont-ils pas, comme on l'a dit, parasites de la terre ? Il me paraît donc vraisemblable que la conscience, originellement immanente à tout ce qui vit, s'endort là où il n'y a plus de mouvement spontané, et s'exalte quand la vie appuie vers l'activité libre. Chacun de nous a d'ailleurs pu vérifier cette loi sur lui-même. Qu'arrivet-il quand une de nos actions cesse d'être spontanée pour devenir automatique ? La conscience s'en retire. Dans l'apprentissage d'un exercice, par exemple, nous commençons par être conscients de chacun des mouvements que nous exécutons, parce qu'il vient de nous, parce qu'il résulte d'une décision et implique un choix; puis, à mesure que ces mouvements s'enchaînent davantage entre eux et se déterminent plus mécaniquement les uns les autres, nous dispensant ainsi de nous décider et de choisir, la conscience que nous en avons diminue et disparaît. Quels sont, d'autre part, les moments où notre conscience atteint le plus de vivacité ? Ne sont-ce pas les moments de crise intérieure, où nous hésitons entre deux ou plusieurs partis à prendre, où nous sentons que notre avenir sera ce que nous l'aurons fait ? Les variations d'intensité de notre conscience semblent donc bien correspondre à la somme plus ou moins considérable de choix ou, si vous voulez, de création, que nous distribuons sur notre conduite. Tout porte à croire qu'il en est ainsi de la conscience en général. Si conscience signifie mémoire et anticipation, c'est que conscience est synonyme de choix. Représentons-nous alors la matière vivante sous sa forme élémentaire, telle qu'elle a pu s'offrir d'abord. C'est une simple masse de gelée protoplasmique, comme celle de l'amibe; elle est déformable à volonté, elle est donc vaguement consciente. Maintenant, pour qu'elle grandisse et qu'elle évolue, deux voies s'ouvrent à elle. Elle peut s'orienter dans le sens du mouvement et de l'action - mouvement de plus en plus efficace, action de plus en plus libre : cela, c'est le risque et l'aventure, mais c'est aussi la conscience, avec ses degrés croissants de profondeur et d'intensité. Elle peut, d'autre part, abandonner la faculté d'agir et de choisir dont elle porte en elle l'ébauche, s'arranger pour obtenir sur place tout ce qu'il lui faut au lieu de l'aller chercher : c'est alors l'existence assurée, tranquille, bourgeoise, mais c'est aussi la torpeur, premier effet de l'immobilité ; c'est bientôt l'assoupissement définitif, c'est l'inconscience. Telles sont les deux voies qui s'offraient à l'évolution de la vie. La matière vivante s'est engagée en partie sur l'une, en partie sur l'autre. La première marque en gros la direction du monde animal (je dis « en gros «, Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 13 parce que bien des espèces animales renoncent au mouvement, et par là sans doute à la conscience) ; la seconde représente en gros celle des végétaux (je dis encore une fois « en gros «, car la mobilité, et probablement aussi la conscience, peuvent se réveiller à l'occasion chez la plante). Or, si nous considérons de ce biais la vie à son entrée dans le monde, nous la voyons apporter avec elle quelque chose qui tranche sur la matière brute. Le monde, laissé à lui-même, obéit à des lois fatales. Dans des conditions déterminées, la matière se comporte de façon déterminée, rien de ce qu'elle fait n'est imprévisible : si notre science était complète et notre puissance de calculer infinie, nous saurions par avance tout ce qui se passera dans l'univers matériel inorganisé, dans sa masse et dans ses éléments, comme nous prévoyons une éclipse de soleil ou de lune. Bref, la matière est inertie, géométrie, nécessité. Mais avec la vie apparaît le mouvement imprévisible et libre. L'être vivant choisit ou tend à choisir. Son rôle est de créer. Dans un monde où tout le reste est déterminé, une zone d'indétermination l'environne. Comme, pour créer l'avenir, il faut en préparer quelque chose dans le présent, comme la préparation de ce qui sera ne peut se faire que par l'utilisation de ce qui a été, la vie s'emploie dès le début à conserver le passé et à anticiper sur l'avenir dans une durée où passé, présent et avenir empiètent l'un sur l'autre et forment une continuité indivisée : cette mémoire et cette anticipation sont, comme nous l'avons vu, la conscience même. Et c'est pourquoi, en droit sinon en fait, la conscience est coextensive à la vie. Conscience et matérialité se présentent donc comme des formes d'existence radicalement différentes, et même antagonistes, qui adoptent un modus vivendi et s'arrangent tant bien que mal entre elles. La matière est nécessité, la conscience est liberté ; mais elles ont beau s'opposer l'une à l'autre, la vie trouve moyen de les réconcilier. C'est que la vie est précisément la liberté s'insérant dans la nécessité et la tournant à son profit. Elle serait impossible, si le déterminisme auquel la matière obéit ne pouvait se relâcher de sa rigueur. Mais supposez qu'à certains moments, en certains points, la matière offre une certaine élasticité, là s'installera la conscience. Elle s'y installera en se faisant toute petite ; puis, une fois dans la place, elle se dilatera, arrondira sa part et finira par obtenir tout, parce qu'elle dispose du temps et parce que la quantité d'indétermination la plus légère, en s'additionnant indéfiniment avec ellemême, donnera autant de liberté qu'on voudra. - Mais nous allons retrouver cette même conclusion sur de nouvelles lignes de faits, qui nous la présenteront avec plus de rigueur. Si nous cherchons, en effet, comment un corps vivant s'y prend pour exécuter des mouvements, nous trouvons que sa méthode est toujours la même. Elle consiste à utiliser certaines substances qu'on pourrait appeler explosives et qui, semblables à la poudre à canon, n'attendent qu'une étincelle pour détoner. Je veux parler des aliments, plus particulièrement des substances ternaires - hydrates de carbone et graisses. Une somme considérable d'énergie potentielle y est accumulée, prête à se convertir en mouvement. Cette énergie a été lentement, graduellement, empruntée au soleil par les plantes ; et l'animal qui se nourrit d'une plante, ou d'un animal qui s'est nourri d'une Plante, ou d'un animal qui s'est nourri d'un animal qui s'est nourri d'une plante, etc., fait simplement passer dans son corps un explosif que la vie a fabriqué en emmagasinant de l'énergie solaire. Quand il exécute un mouvement, c'est qu'il Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 14 libère l'énergie ainsi emprisonnée; il n'a, pour cela, qu'à toucher un déclic, à frôler la détente d'un pistolet sans frottement, à appeler l'étincelle : l'explosif détone, et dans la direction choisie le mouvement s'accomplit.. Si les premiers êtres vivants oscillèrent entre la vie végétale et la vie animale, c'est que la vie, à ses débuts, se chargeait à la fois de fabriquer l'explosif et de l'utiliser pour des mouvements. A mesure que végétaux et animaux se différenciaient, la vie se scindait en deux règnes, séparant ainsi l'une de l'autre les deux fonctions primitivement réunies. Ici elle se préoccupait davantage de fabriquer l'explosif, là de le faire détoner. Mais, qu'on l'envisage au début ou au terme de son évolution, toujours la vie dans son ensemble est un double travail d'accumulation graduelle et de dépense brusque : il s'agit pour elle d'obtenir que la matière, par une opération lente et difficile, emmagasine une énergie de puissance qui deviendra tout d'un coup énergie de mouvement. Or, comment procéderait autrement une cause libre, incapable de briser la nécessité à laquelle la matière est soumise, capable pourtant de la fléchir, et qui voudrait, avec la très petite influence dont elle dispose sur la matière, obtenir d'elle, dam une direction de mieux en mieux choisie, des mouvements de plus en plus puissants ? Elle s'y prendrait précisément de cette manière. Elle tâcherait de n'avoir qu'à faire jouer un déclic ou à fournir une étincelle, à utiliser instantanément une énergie que la matière aurait accumulée pendant tout le temps qu'il aurait fallu. Mais nous arriverions à la même conclusion encore en suivant une troisième ligne de faits, en considérant, chez l'être vivant, la représentation qui précède l'acte, et non plus l'action même. A quel signe reconnaissons-nous d'ordinaire l'homme d'action, celui qui laisse sa marque sur les événements auxquels la fortune le mêle ? N'est-ce pas à ce qu'il embrasse une succession plus ou moins longue dans une vision instantanée ? Plus grande est la portion du passé qui tient dans son présent, plus lourde est la masse qu'il pousse dans l'avenir pour presser contre les éventualités qui se préparent : son action, semblable à une flèche, se décoche avec d'autant plus de force en avant que sa représentation était plus tendue vers l'arrière. Or, voyez comme notre conscience se comporte vis-à-vis de la matière qu'elle perçoit : justement, dans un seul de ses instants, elle embrasse des milliers de millions d'ébranlements qui sont successifs pour la matière inerte et dont le premier apparaîtrait au dernier, si la matière pouvait se souvenir, comme un passé infiniment lointain. Quand j'ouvre les yeux pour les refermer aussitôt, la sensation de lumière que j'éprouve, et qui tient dans un de mes moments, est la condensation d'une histoire extraordinairement longue qui se déroule dans le monde extérieur. Il y a là, se succédant les unes aux autres, des trillions d'oscillations, c'est-à-dire une série d'événements telle que si je voulais les compter, même avec la plus grande économie de temps possible, j'y mettrais des milliers d'années. Mais ces événements monotones et ternes, qui rempliraient trente siècles d'une matière devenue consciente d'elle-même, n'occupent qu'un instant de ma conscience à moi, capable de les contracter en une sensation pittoresque de lumière. On en dirait d'ailleurs autant de toutes les autres sensations. Placée au confluent de la conscience et de la matière, la sensation condense dans la durée qui nous est propre, et qui caractérise notre conscience, des périodes immenses de ce qu'on pourrait appeler, par extension, la durée des choses. Ne devons-nous pas croire, alors, que si notre perception contracte ainsi les événements de la matière, c'est pour que notre action les domine ? Supposons par exemple que la nécessité inhérente à la matière ne puisse être forcée, à Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 15 chacun de ses instants, que dans des limites extrêmement restreintes : comment procéderait une conscience qui voudrait néanmoins insérer dans le monde matériel une action libre, ne fût-ce que celle qu'il faut pour faire jouer un déclic ou pour orienter un mouvement ? Ne s'arrangerait-elle pas précisément de cette manière ? Ne devrions-nous pas nous attendre à trouver, entre sa durée et celle des choses, une telle différence de tension que d'innombrables instants du monde matériel pussent tenir dans un instant unique de la vie consciente, de sorte que l'action voulue, accomplie par la conscience en un de ses moments, pût se répartir sur un nombre énorme de moments de la matière et sommer ainsi en elle les indéterminations quasi infinitésimales que chacun d'eux comporte ? En d'autres termes, la tension de la durée d'un être conscient ne mesurerait-elle pas précisément sa puissance d'agir, la quantité d'activité libre et créatrice qu'il peut introduire dans le monde ? je le crois, mais je n'insisterai pas là-dessus pour le moment. Tout ce que je veux dire est que cette nouvelle ligne de faits nous conduit au même point que la précédente. Que nous considérions l'acte décrété par la conscience, ou la perception qui le prépare, dans les deux cas la conscience nous apparaît comme une force qui s'insérerait dans la matière pour s'emparer d'elle et la tourner à son profit. Elle opère par deux méthodes complémentaires - d'un côté par une action explosive qui libère en un instant, dans la direction choisie, une énergie que la matière a accumulée pendant longtemps ; de l'autre, par un travail de contraction qui ramasse en cet instant unique le nombre incalculable de petits événements que la matière accomplit, et qui résume d'un mot l'immensité d'une histoire. Plaçons-nous alors au point où ces diverses lignes de faits convergent. D'une part, nous voyons une matière soumise à la nécessité, dépourvue de mémoire ou n'en ayant que juste ce qu'il faut pour faire le pont entre deux de ses instants, chaque instant pouvant se déduire du précédent et n'ajoutant rien alors à ce qu'il y avait déjà dans le monde. D'autre part, la conscience, c'est-àdire la mémoire avec la liberté, c'est-à-dire enfin une continuité de création dans une durée où il y a véritablement croissance - durée qui s'étire, durée où le passé se conserve indivisible et grandit comme une plante, comme une plante magique qui réinventerait à tout moment sa forme avec le dessin, de ses feuilles et de ses fleurs. Que d'ailleurs ces deux existences - matière et conscience - dérivent d'une source commune, cela ne nie paraît pas douteux. J'ai essayé jadis de montrer que, si la première est l'inverse de la seconde, si la conscience est de l'action qui sans cesse se crée et s'enrichit tandis que la matière est de l'action qui se défait ou qui s'use, ni la matière ni la conscience ne s'expliquent par elles-mêmes. Je ne reviendrai pas là-dessus ; je me borne donc à vous dire que je vois dans l'évolution entière de la vie sur notre Planète une traversée de la matière par la conscience créatrice, un effort pour libérer, à force d'ingéniosité et d'invention, quelque chose qui reste emprisonné chez l'animal et qui ne se dégage définitivement que chez l'homme. Il est inutile d'entrer dans le détail des observations qui, depuis Lamarck et Darwin, sont venues confirmer de plus en plus l'idée d'une évolution des espèces, je veux dire de la génération des unes par les autres depuis les formes organisées les plus simples. Nous ne pouvons refuser notre adhésion à une Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 16 hypothèse qui a pour elle le triple témoignage de l'anatomie comparée, de l'embryologie et de la paléontologie. La science a d'ailleurs montré par quels effets se traduit, tout le long de l'évolution de la vie, la nécessité pour les êtres vivants de s'adapter aux conditions qui leur sont faites. Mais cette nécessité paraît expliquer les arrêts de la vie à telles ou telles formes déterminées, et non pas le mouvement qui porte l'organisation de plus en plus haut. Un organisme rudimentaire est aussi bien adapté que le nôtre à ses conditions d'existence, puisqu'il réussit à y vivre : pourquoi donc la vie est-elle allée se compliquant, et se compliquant de plus en plus dangereusement ? Telle forme vivante, que nous observons aujourd'hui, se rencontrait dès les temps les plus reculés de l'ère paléozoïque ; elle a persisté, immuable, à travers les âges ; il n'était donc pas impossible à la vie de s'arrêter à une forme définitive. Pourquoi ne s'est-elle pas bornée à le faire, partout où c'était possible ? pourquoi at-elle marché ? pourquoi - si elle n'est pas entraînée par un élan, à travers des risques de plus en plus forts, vers une efficacité de Plus en plus haute ? Il est difficile de jeter un coup d'oeil sur l'évolution de la vie sans avoir le sentiment que cette poussée intérieure est une réalité. Mais il ne faut pas croire qu'elle ait lancé la matière vivante dans une direction unique, ni que les diverses espèces représentent autant d'étapes le long d'une seule route, ni que le trajet se soit effectué sans encombre. Il est visible que l'effort a rencontré des résistances dans la matière qu'il utilisait ; il a dû se diviser en chemin, partager entre des lignes d'évolution différentes les tendances dont il était gros ; il a dévié, il a rétrogradé ; parfois il s'est arrêté net. Sur deux lignes seulement il a remporté un succès incontestable, succès partiel dans un cas, relativement complet dans l'autre ; je veux parler des arthropodes et des vertébrés. Au bout de la première ligne nous trouvons les instincts de l'insecte ; au bout de la seconde, l'intelligence humaine. /Nous sommes donc autorisés à croire que la force qui évolue portait d'abord en elle, mais confondus ou plutôt impliqués l'un dans J'autre, instinct et intelligence. Bref, les choses se passent comme si un immense courant de conscience, où s'entrepénétraient des virtualités de tout genre, avait traversé la matière pour l'entraîner à l'organisation et pour faire d'elle, quoiqu'elle soit la nécessité même, un instrument de liberté. Mais la conscience a failli être prise au piège. La matière s'enroule autour d'elle, la plie à son propre automatisme, l'endort dans sa propre inconscience. Sur certaines lignes d'évolution, celles du monde végétal en particulier, automatisme et inconscience sont la règle ; la liberté immanente à la force évolutive se manifeste encore, il est vrai, par la création de formes imprévues qui sont de véritables oeuvres d'art ; mais ces imprévisibles formes, une fois créées, se répètent machinalement : l'individu ne choisit pas. Sur d'autres lignes, la conscience arrive à se libérer assez pour que l'individu retrouve un certain sentiment, et par conséquent une certaine latitude de choix ; mais les nécessités de l'existence sont là, qui font de la puissance de choisir un simple auxiliaire du besoin de vivre. Ainsi, de bas en haut de l'échelle de la vie, la liberté est rivée à une chaîne qu'elle réussit tout au plus à allonger. Avec l'homme seulement, un saut brusque s'accomplit ; la chaîne se brise. Le cerveau de l'homme a beau ressembler, en effet, à celui de l'animal : il a ceci de particulier qu'il fournit le moyen d'opposer à chaque habitude contractée une autre habitude et à tout automatisme -un automatisme antagoniste. La liberté, se ressaisissant tandis que la nécessité est aux prises avec elle- Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 17 même, ramène alors la matière à l'état d'instrument. C'est comme si elle avait divisé pour régner. Que l'effort combiné de la physique et de la chimie aboutisse un jour à la fabrication d'une matière qui ressemble à la matière vivante, c'est probable : la vie procède par insinuation, et la force qui entraîna la matière hors du pur mécanisme n'aurait pas eu de prise sur cette matière si elle n'avait d'abord adopté ce mécanisme : telle, l'aiguille de la voie ferrée se colle le long du rail dont elle veut détacher le train. En d'autres termes, la vie s'installa, ses débuts, dans un certain genre de matière qui commençait ou qui aurait pu commencer à se fabriquer sans elle. Mais là se fût arrêtée la matière si elle avait été laissée à elle-même ; et là s'arrêtera aussi, sans doute, le travail de fabrication de nos laboratoires. On imitera certains caractères de la matière vivante ; on ne lui imprimera pas l'élan en vertu duquel elle se reproduit et, au sens transformiste du mot, évolue. Or, cette reproduction et cette évolution sont la vie même. L'une et l'autre manifestent une poussée intérieure, le double besoin de croître en nombre et en richesse par multiplication dans l'espace et par complication dans le temps, enfin les deux instincts qui apparaissent avec la vie et qui seront plus tard les deux grands moteurs de l'activité humaine : l'amour et l'ambition. Visiblement une force travaille devant nous, qui cherche à se libérer de ses entraves et aussi à se dépasser elle-même, à donner d'abord tout ce qu'elle a et ensuite Plus qu'elle n'a : comment définir autrement l'esprit ? et par où la force spirituelle, si elle existe, se distinguerait-elle des autres, sinon par la faculté de tirer d'elle-même plus qu'elle ne contient ? Mais il faut tenir compte des obstacles de tout genre que cette force rencontre sur son chemin. L'évolution de la vie, depuis ses origines jusqu'à l'homme, évoque à nos yeux l'image d'un courant de conscience qui s'engagerait dans la matière comme pour s'y frayer un passage souterrain, ferait des tentatives à droite et à gauche, pousserait plus ou moins avant, viendrait la plupart du temps se briser contre le roc, et pour tant, dans une direction au moins, réussirait à percer et reparaîtrait à la lumière. Cette direction est la ligne d'évolution qui aboutit à l'homme. Mais pourquoi l'esprit s'est-il lancé dans l'entreprise ? quel intérêt avait-il à forer le tunnel ? Ce serait le cas de suivre plusieurs nouvelles lignes de faits, que nous verrions encore converger sur un seul point. Mais il faudrait entrer dans de tels détails sur la vie psychologique, sur la relation psychophysiologique, sur l'idéal moral et sur le progrès social, que nous ferons aussi bien d'aller tout droit à la conclusion. Mettons donc matière et conscience en présence l'une de l'autre : nous verrons que la matière est d'abord ce qui divise et ce qui précise. Une pensée, laissée à elle-même, offre une implication réciproque d'éléments dont on ne peut dire qu'ils soient un ou plusieurs : c'est une continuité, et dans toute continuité il y a de la confusion. Pour que la pensée devienne distincte, il faut bien qu'elle s'éparpille en mots : nous ne nous rendons bien compte de ce que nous avons dans l'esprit que lorsque nous avons pris une feuille de papier, et aligné les uns à côté des autres des termes qui s'entrepénétraient. Ainsi la matière distingue, sépare, résout en individualités et finalement en personnalités des tendances jadis confondues dans l'élan originel de la vie. D'autre part, la matière provoque et rend possible l'effort. La pensée qui n'est que pensée, l'oeuvre d'art qui n'est que conçue, le poème qui n'est que rêvé, ne coûtent pas encore de la peine ; c'est la réalisation matérielle du poème en mots, de la conception artistique en statue ou tableau, qui demande un effort. L'effort est pénible, mais il est aussi précieux, plus pré- Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 18 cieux encore que l'oeuvre où il aboutit, parce que, grâce à lui, on a tiré de soi plus qu'il n'y avait, on s'est haussé au-dessus de soi-même. Or, cet effort n'eût pas été possible sans la matière : par la résistance qu'elle oppose et par la docilité où nous pouvons l'amener, elle est à la fois l'obstacle, l'instrument et le stimulant ; elle éprouve notre force, en garde l'empreinte et en appelle l'intensification. Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l'homme n'ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n'est qu'un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l'être vivant la conservation de la vie ; il n'indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu'elle a gagné du terrain, qu'elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie. La mère qui regarde son enfant est joyeuse, parce qu'elle a conscience de l'avoir créé, physiquement et moralement. Le commerçant qui développe ses affaires, le chef d'usine qui voit prospérer son industrie, est-il joyeux en -raison de l'argent qu'il gagne et de la notoriété qu'il acquiert ? Richesse et considération entrent évidemment pour beaucoup dans la satisfaction qu'il ressent, mais elles lui apportent des plaisirs plutôt que de la joie, et ce qu'il goûte de joie vraie est le sentiment d'avoir monté une entreprise qui marche, d'avoir appelé quelque chose à la vie. Prenez des joies exceptionnelles, celle de l'artiste qui a réalisé sa pensée, celle du savant qui a découvert ou inventé. Vous entendrez dire que ces hommes travaillent pour la gloire et qu'ils tirent leurs joies les plus vives de l'admiration qu'ils inspirent. Erreur profonde ! On tient à l'éloge et aux honneurs dans l'exacte mesure où l'on n'est pas sûr d'avoir réussi. Il y a de la modestie au fond de la vanité. C'est pour se rassurer qu'on cherche l'approbation, et c'est pour soutenir la vitalité peut-être insuffisante de son oeuvre qu'on voudrait l'entourer de la chaude admiration des hommes, comme on met dans du coton l'enfant né avant terme. Mais celui qui est sûr, absolument sûr, d'avoir produit une oeuvre viable et durable, celui-là n'a plus que faire de l'éloge et se sent au-dessus de la gloire, parce qu'il est créateur, parce qu'il le sait, et parce que la joie qu'il en éprouve est une joie divine. Si donc, dans tous les domaines, le triomphe de la vie est la création, ne devonsnous pas supposer que la vie humaine a sa raison d'être dans une création qui peut, à la différence de celle de l'artiste et du savant, se poursuivre à tout moment chez tous les hommes : la création de soi par soi, l'agrandissement de la personnalité par un effort qui tire beaucoup de peu, quelque chose de rien, et ajoute sans cesse à ce qu'il y avait de richesse dans le monde ? Vue du dehors, la nature apparaît comme une immense efflorescence d'imprévisible nouveauté ; la force qui l'anime semble créer avec amour, pour rien, pour le plaisir, la variété sans fin des espèces végétales et animales ; à chacune elle confère la valeur absolue d'une grande oeuvre d'art ; on dirait qu'elle s'attache à la première venue autant qu'aux autres, autant qu'à l'homme. Mais la forme d'un vivant, une fois dessinée, se répète indéfiniment ; mais les actes de ce vivant, une fois accomplis, tendent à s'imiter eux-mêmes et à se recommencer automatiquement : automatisme et répétition, qui dominent partout ailleurs que chez l'homme, devraient nous avertir que nous sommes ici à des Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 19 haltes, et que le piétinement sur place, auquel nous avons affaire, n'est pas le mouvement même de la vie. Le point de vue de l'artiste est donc important, mais non pas définitif. La richesse et l'originalité des formes marquent bien un épanouissement de la vie; mais dans cet épanouissement, dont la beauté signifie puissance, la vie manifeste aussi bien un arrêt de son élan et une impuissance momentanée à pousser plus loin, comme l'enfant qui arrondit en volte gracieuse la fin de sa glissade. Supérieur est le point de vue du moraliste. Chez l'homme seulement, chez les meilleurs d'entre nous surtout, le mouvement vital se poursuit sans obstacle, lançant à travers cette oeuvre d'art qu'est le corps humain, et qu'il a créée au passage, le courant indéfiniment créateur de la vie morale. L'homme, appelé sans cesse à s'appuyer sur la totalité de son passé pour peser d'autant plus puissamment sur l'avenir, est la grande réussite de la vie. Mais créateur par excellence est celui dont l'action, intense elle-même, est capable d'intensifier aussi l'action des autres hommes, et d'allumer, généreuse, des foyers de générosité. Les grands hommes de bien, et plus particulièrement ceux dont l'héroïsme inventif et simple a frayé à la vertu des voies nouvelles, sont révélateurs de vérité métaphysique. Ils ont beau être au point culminant de l'évolution, ils sont le plus près des origines et rendent sensible à nos yeux l'impulsion qui vient du fond. Considérons-les attentivement, tâchons d'éprouver sympathiquement ce qu'ils éprouvent, si nous voulons pénétrer par un acte d'intuition jusqu'au principe même de la vie. Pour percer le mystère des profondeurs, il faut parfois viser les cimes. Le feu qui est au centre de la terre n'apparaît qu'au sommet des volcans. Sur les deux grandes routes que l'élan vital a trouvées ouvertes devant lui, le long de la série des arthropodes et de celle des vertébrés, se développèrent dans des directions divergentes, disions-nous, l'instinct et l'intelligence, enveloppés d'abord confusément l'un dans l'autre. Au point culminant de la première évolution sont les insectes hyménoptères, à l'extrémité de la seconde est l'homme : de part et d'autre, malgré la différence radicale des formes atteintes et l'écart croissant des chemins parcourus, c'est à la vie sociale que l'évolution aboutit, comme si le besoin s'en était fait sentir dès le début, ou plutôt comme si quelque aspiration originelle et essentielle de la vie ne pouvait trouver que dans la société sa pleine satisfaction. La société, qui est la mise en commun des énergies individuelles, bénéficie des efforts de tous et rend à tous leur effort plus facile. Elle ne peut subsister que si elle se subordonne l'individu, elle ne peut progresser que si elle le laisse faire : exigences opposées, qu'il faudrait réconcilier. Chez l'insecte, la première condition est seule remplie. Les sociétés de fourmis et d'abeilles sont admirablement disciplinées et unies, mais figées dans une immuable routine. Si l'individu s'y oublie lui-même, la société oublie aussi sa destination ; l'un et l'autre, en état de somnambulisme, font et refont indéfiniment le tour du même cercle, au lieu de marcher, droit en avant, à une efficacité sociale plus grande et à une liberté individuelle plus complète. Seules, les sociétés humaines tiennent fixés devant leurs yeux les deux buts à atteindre. En lutte avec elles-mêmes et en guerre les unes avec les autres, elles cherchent visiblement, par le frottement et par le choc, à arrondir des angles, à user des antagonismes, à éliminer des contradictions, à faire que les volontés individuelles s'insèrent sans se déformer dans la volonté sociale et que les diverses sociétés entrent à leur tour, sans perdre leur originalité ni leur indépendance, dans une société plus vaste : spectacle inquiétant et rassurant, Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 20 qu'on ne peut contempler sans se dire qu'ici encore, à travers des obstacles sans nombre, la vie travaille à individuer et à intégrer pour obtenir la quantité la plus grande, la variété la plus riche, les qualités les plus hautes d'invention et d'effort. Si maintenant nous abandonnons cette dernière ligne de faits pour revenir à la précédente, si nous tenons compte de ce que l'activité mentale de l'homme déborde son activité cérébrale, de ce que le cerveau emmagasine des habitudes motrices mais non pas des souvenirs, de ce que les autres fonctions de la pensée sont encore plus indépendantes du cerveau que la mémoire, de ce que la conservation et même l'intensification de la personnalité sont dès lors possibles et même probables après la désintégration du corps, ne soupçonneronsnous pas que, dans son passage à travers la matière qu'elle trouve ici-bas, la conscience se trempe comme de l'acier et se prépare à une action plus efficace, pour une vie plus intense ? Cette vie, je me la représente encore comme une vie de lutte et comme une exigence d'invention, comme une évolution créatrice : chacun de nous y viendrait, par le seul jeu des forces naturelles, prendre place sur celui des plans moraux où le haussaient déjà virtuellement ici-bas la qualité et la quantité de son effort, comme le ballon lâché de terre adopte le niveau que lui assignait sa densité. Ce n'est là, je le reconnais, qu'une hypothèse. Nous étions tout à l'heure dans la région du probable ; nous voici dans celle du simple possible. Avouons notre ignorance, mais ne nous résignons pas à la croire définitive. S'il y a pour les consciences un au-delà, je ne vois pas pourquoi nous ne découvririons, pas le moyen de l'explorer. Rien de ce qui concerne l'homme ne saurait se dérober de parti pris à l'homme. Parfois d'ailleurs le renseignement que nous nous figurons très loin, à l'infini, est à côté de nous, attendant qu'il nous plaise de le cueillir. Rappelez-vous ce qui s'est passé pour un autre au-delà, celui des espaces ultra-planétaires. Auguste Comte déclarait à jamais inconnaissable la composition chimique des corps célestes. Quelques années après, on inventait l'analyse spectrale, et nous savons aujourd'hui, mieux que si nous y étions allés, de quoi sont faites les étoiles. Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 21 L'énergie spirituelle. Essais et conférences (1919) Chapitre II L'âme et le corps Conférence faite à Foi et Vie, le 28 avril 1912 1 Retour à la table des matières Le titre de cette conférence est « L'âme et le corps «, c'est-à-dire la matière et l'esprit, c'est-à-dire tout ce qui existe et même, s'il faut en croire une philosophie dont nous parlerons tout à l'heure, quelque chose aussi qui n'existerait pas. Mais rassurez-vous. Notre intention n'est pas d'approfondir la nature de la matière, pas plus d'ailleurs que la nature de l'esprit. On peut distinguer deux choses l'une de l'autre, et en déterminer jusqu'à un certain point les rapports, sans pour cela connaître la nature de chacune d'elles. Il m'est impossible, en ce moment, de faire connaissance avec toutes les personnes qui m'entourent ; je me distingue d'elles cependant, et je vois aussi quelle situation elles occupent par rapport à moi. Ainsi pour le corps et l'âme : définir l'essence de l'un et de l'autre est une entreprise qui nous mènerait loin ; mais il est plus aisé de savoir ce qui les unit et ce qui les sépare, car cette union et cette séparation sont des faits d'expérience. 1 Cette conférence a paru, avec d'autres études dues à divers auteurs, dans le volume intitulé. Le matérialisme actuel de la Bibliothèque de Philosophie scientifique, publiée sous la direction du Dr Gustave LE BON (Flammarion, éditeur). Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 22 D'abord, que dit sur ce point l'expérience immédiate et naïve du sens commun ? Chacun de nous est un corps, soumis aux mêmes lois que toutes les autres portions de matière. Si on le pousse, il avance; si on le tire, il recule; si on le soulève et qu'on l'abandonne, il retombe. Mais, à côté de ces mouvements qui sont provoqués mécaniquement par une cause extérieure, il en est d'autres qui semblent venir du dedans et qui tranchent sur les précédents par leur caractère imprévu : on les appelle « volontaires «. Quelle en est la cause ? C'est ce que chacun de Dons désigne par les mots « je « ou « moi «. Et qu'estce que le moi ? Quelque chose qui paraît, à tort ou à raison, déborder de toutes parts le corps qui y est joint, le dépasser dans l'espace aussi bien que dans le temps. Dans l'espace d'abord, car le corps de chacun de nous s'arrête aux contours précis qui le limitent, tandis que par notre faculté de percevoir, et plus particulièrement de voir, nous rayonnons bien au-delà de notre corps : nous allons jusqu'aux étoiles. Dans le temps ensuite, car le corps est matière, la matière est dans le présent, et, s'il est vrai que le passé y laisse des traces, ce ne sont des traces de passé que pour une conscience qui les aperçoit et qui interprète ce qu'elle aperçoit à la lumière de ce qu'elle se remémore : la conscience, elle, retient ce passé, l'enroule sur lui-même au fur et à mesure que le temps se déroule, et prépare avec lui un avenir qu'elle contribuera à créer. Même, l'acte volontaire, dont nous parlions à l'instant, n'est pas autre chose qu'un ensemble de mouvements appris dans des expériences antérieures, et infléchis dans une direction chaque fois nouvelle par cette force consciente dont le rôle paraît bien être d'apporter sans cesse quelque chose de nouveau dans le monde. Oui, elle crée du nouveau en dehors d'elle, puisqu'elle dessine dans l'espace des mouvements imprévus, imprévisibles. Et elle crée aussi du nouveau à l'intérieur d'elle-même, puisque l'action volontaire réagit sur celui qui la veut, modifie dans une certaine mesure le caractère de la personne dont elle émane, et accomplit, par une espèce de miracle, cette création de soi par soi qui a tout l'air d'être l'objet même de la vie humaine. En résumé donc, à côté du corps qui est confiné au moment présent dans le temps et limité à la place qu'il occupe dans l'espace, qui se conduit en automate et réagit mécaniquement aux influences extérieures, nous saisissons quelque chose qui s'étend beaucoup plus loin que le corps dans l'espace et qui dure à travers le temps, quelque chose qui demande ou impose au corps des mouvements non plus automatiques et prévus, mais imprévisibles et libres : cette chose, qui déborde le corps de tous côtés et qui crée des actes en se créant à nouveau elle-même, c'est le « moi «, c'est l' « âme «, c'est l'esprit - l'esprit étant précisément une force qui peut tirer d'elle-même plus qu'elle ne contient, rendre plus qu'elle ne reçoit, donner plus qu'elle n'a. Voilà ce que nous croyons voir. Telle est l'apparence. On nous dit : « Fort bien, mais ce n'est qu'une apparence. Regardez de plus près. Et écoutez parler la science. D'abord, vous reconnaîtrez bien vous-même que cette « âme « n'opère jamais devant vous sans un corps. Son corps l'accompagne de la naissance à la mort, et, à supposer qu'elle en soit réellement distincte, tout se passe comme si elle y était liée inséparablement. Votre conscience s'évanouit si vous respirez du chloroforme ; elle s'exalte si vous absorbez de l'alcool ou du café. Une intoxication légère peut donner lieu à des troubles déjà profonds de l'intelligence, de la sensibilité et de la volonté. Une intoxication durable, comme en laissent derrière elles certaines maladies infectieuses, produira l'aliénation. S'il est vrai qu'on ne trouve pas toujours, à l'autopsie, des lésions du cerveau chez les aliénés, du moins en rencontre-t-on Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 23 souvent ; et, là où il n'y a pas de lésion visible, c'est sans doute une altération chimique des tissus qui a causé la maladie. Bien plus, la science localise en certaines circonvolutions précises du cerveau certaines fonctions déterminées de l'esprit, comme la faculté, dont vous parliez tout à l'heure, d'accomplir des mouvements volontaires. Des lésions de tel ou tel point de la zone rolandique, entre le lobe frontal et le lobe pariétal, entraînent la perte des mouvements du bras, de la jambe, de la face, de la langue. La mémoire même, dont vous faites une fonction essentielle de l'esprit, a pu être localisée en partie : au pied de la troisième circonvolution frontale gauche siègent les souvenirs des mouvements d'articulation de la parole ; dans une région intéressant la première et la deuxième circonvolutions temporales gauches se conserve la mémoire du son des mots ; à la partie postérieure de la deuxième circonvolution pariétale gauche sont déposées les images visuelles des mots et des lettres, etc. Allons plus loin. Vous disiez que, dans l'espace comme dans le temps, l'âme déborde le corps auquel elle est jointe. Voyons pour l'espace. Il est vrai que la vue et l'ouïe vont au-delà des limites du corps ; mais pourquoi ? Parce que des vibrations venues de loin ont impressionné l'oeil et l'oreille, se sont transmises au cerveau ; là, dans le cerveau, l'excitation est devenue sensation auditive ou visuelle ; la perception est donc intérieure au corps et ne s'élargit pas. Arrivons au temps. Vous prétendez que l'esprit embrasse le passé, tandis que le corps est confiné dans un présent qui recommence sans cesse. Mais nous ne nous rappelons le passé que parce que notre corps en conserve la trace encore présente. Les impressions faites par les objets sur le cerveau y demeurent, comme des images sur une plaque sensibilisée ou des phonogrammes sur des disques phonographiques ; de même que le disque répète la mélodie quand on fait fonctionner l'appareil, ainsi le cerveau ressuscite le souvenir quand l'ébranlement voulu se produit au point où l'impression est déposée. Donc, pas plus dans le temps que dans l'espace, l' « âme « ne déborde le corps... Mais y a-t-il réellement une âme distincte du corps ? Nous venons de voir que des changements se produisent sans cesse dans le cerveau, ou, pour parler plus précisément, des déplacements et des groupements nouveaux de molécules et d'atomes. Il en est qui se traduisent par ce que nous appelons des sensations, d'autres par des souvenirs ; il en est, sans aucun doute, qui correspondent à tous les faits intellectuels, sensibles et volontaires : la conscience s'y surajoute comme une phosphorescence ; elle est semblable à la trace lumineuse qui suit et dessine le mouvement de l'allumette qu'on frotte, dans l'obscurité, le long d'un mur. Cette phosphorescence, s'éclairant pour ainsi dire elle-même, crée de singulières illusions d'optique intérieure ; c'est ainsi que la conscience s'imagine modifier, diriger, produire les mouvements dont elle n'est que le résultat ; en cela consiste la croyance à une volonté libre. La vérité est que si nous pouvions, à travers le crâne, voir ce qui se passe dans le cerveau qui travaille, si nous disposions, pour en observer l'intérieur, d'instruments capables de grossir des millions de millions de fois autant que ceux de nos microscopes qui grossissent le plus, si nous assistions ainsi à la danse des molécules, atomes et électrons dont l'écorce cérébrale est faite, et si, d'autre part, nous possédions la table de correspondance entre le cérébral et le mental, je veux dire le dictionnaire permettant de traduire chaque figure de la danse en langage de pensée et de sentiment, nous saurions aussi bien que la prétendue « âme « tout ce qu'elle pense, sent et veut, tout ce qu'elle croit faire librement alors qu'elle le fait mécaniquement. Nous le saurions même beaucoup mieux qu'elle, car cette soi-disant âme consciente n'éclaire qu'une petite partie de la danse intracérébrale, elle n'est que l'ensemble des feux follets qui voltigent au- Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 24 dessus de tels ou tels groupements privilégiés d'atomes, au lieu que nous assisterions à tous les groupements de tous les atomes, à la danse intracérébrale tout entière. Votre « âme consciente « est tout au plus un effet qui aperçoit des effets : nous verrions, nous, les effets et les causes. « Voilà ce qu'on dit quelquefois au nom de la science. Mais il est bien évident, n'est-ce pas ?, que si l'on appelle « scientifique « ce qui est observé ou observable, démontré ou démontrable, une conclusion comme celle qu'on vient de présenter n'a rien de scientifique, puisque, dans l'état actuel de la science, nous n'entrevoyons même pas la possibilité de la vérifier. On allègue, il est vrai, que la loi de conservation de l'énergie s'oppose à ce que la plus petite parcelle de force ou de mouvement se crée dans l'univers, et que, si les choses ne se passaient pas mécaniquement comme on vient de le dire, si une volonté efficace intervenait pour accomplir des actes libres, la loi de conservation de l'énergie serait violée. Mais raisonner ainsi est simplement admettre ce qui est en question ; car la loi de conservation de l'énergie, comme toutes les lois physiques, n'est que le résumé d'observations faites sur des phénomènes physiques ; elle exprime ce qui se passe dans un domaine où personne n'a jamais soutenu qu'il y eût caprice, choix ou liberté ; et il s'agit précisément de savoir si elle se vérifie encore dans des cas où la conscience (qui, après tout, est une faculté d'observation, et qui expérimente à sa manière), se sent en présence d'une activité libre. Tout ce qui s'offre directement aux sens ou à la conscience, tout ce qui est objet d'expérience, soit extérieure soit interne, doit être tenu pour réel tant qu'on n'a pas démontré que c'est une simple apparence. Or, il n'est pas douteux que nous nous sentions libres, que telle soit notre impression immédiate. À ceux qui soutiennent que ce sentiment est illusoire incombe donc l'obligation de la preuve. Et ils ne prouvent rien de semblable, puisqu'ils ne font qu'étendre arbitrairement aux actions volontaires une loi vérifiée dans des cas où la volonté n'intervient pas. Il est d'ailleurs bien possible que, si la volonté est capable de créer de l'énergie, la quantité d'énergie créée soit trop faible pour affecter sensiblement nos instruments de mesure : l'effet pourra néanmoins en être énorme, comme celui de l'étincelle qui fait sauter une poudrière. Je n'entrerai pas dans l'examen approfondi de ce point. Qu'il me suffise de dire que si l'on considère le mécanisme du mouvement volontaire en particulier, le fonctionnement du système nerveux en général, la vie elle-même enfin dans ce qu'elle a d'essentiel, on arrive à la conclusion que l'artifice constant de la conscience, depuis ses origines les plus humbles dans les formes vivantes les plus élémentaires, est de convertir à ses fins le déterminisme physique ou plutôt de tourner la loi de conservation de l'énergie, en obtenant de la matière une fabrication toujours plus intense d'explosifs toujours mieux utilisables : il suffit alors d'une action extrêmement faible, comme celle d'un doigt qui presse rait sans effort la détente d'un pistolet sans frottement, pour libérer au moment voulu, dans la direction choisie, une somme aussi grande que possible d'énergie accumulée. Le glycogène déposé dans les muscles est en effet un explosif véritable ; par lui s'accomplit le mouvement volontaire : fabriquer et utiliser des explosifs de ce genre semble être la préoccupation continuelle et essentielle de la vie, depuis sa première apparition dans des masses protoplasmiques déformables à volonté jusqu'à son complet épanouissement dans des organismes capables d'actions libres. Mais, encore une fois, je ne veux pas insister ici sur un point dont je me suis longuement occupé ailleurs. Je ferme donc la parenthèse que j'aurais pu me dispenser d'ouvrir, et je reviens à ce que je disais d'abord, à l'impossibilité Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 25 d'appeler scientifique une thèse qui n'est ni démontrée ni même suggérée par l'expérience. Que nous dit en effet l'expérience ? Elle nous montre que la vie de l'âme ou, si vous aimez mieux, la vie de la conscience, est liée à la vie du corps, qu'il y a solidarité entre elles, rien de plus. Mais ce point n'a jamais été contesté par personne, et il y a loin de là à soutenir que le cérébral est l'équivalent du mental, qu'on pourrait lire dans un cerveau tout ce qui se passe dans la conscience correspondante. Un vêtement est solidaire du clou auquel il est accroché ; il tombe si l'on arrache le clou ; il oscille si le clou remue il se troue, il se déchire si la tête du clou est trop pointue il ne s'ensuit pas que chaque détail du clou corresponde à un détail du vêtement, ni que le clou soit l'équivalent du vêtement ; encore moins s'ensuit-il que le clou et le vêtement soient la même chose. Ainsi, la conscience est incontestablement accrochée à un cerveau mais il ne résulte nullement de là que le cerveau dessine tout le détail de la conscience, ni que la conscience soit une fonction du cerveau. Tout ce que l'observation, l'expérience, et par conséquent la science nous permettent d'affirmer, c'est l'existence d'une certaine relation entre le cerveau et la conscience. Quelle est cette relation ? Ah ! c'est ici que nous pouvons nous demander si la philosophie a bien donné ce qu'on était en droit d'attendre d'elle. À la philosophie incombe la tâche d'étudier la vie de l'âme dans toutes ses manifestations. Exercé à l'observation intérieure, le philosophe devrait descendre au-dedans de lui-même, puis, remontant à la surface, suivre le mouvement graduel par lequel la conscience se détend, s'étend, se prépare à évoluer dans l'espace. Assistant à cette matérialisation progressive, épiant les démarches par lesquelles la conscience s'extériorise, il obtiendrait tout au moins une intuition vague de ce que peut être l'insertion de l'esprit dans la matière, la relation du corps à l'âme. Ce ne serait sans doute qu'une première lueur, pas davantage. Mais cette lueur nous dirigerait parmi les faits innombrables dont la psychologie et la pathologie disposent. Ces faits, à leur tour, corrigeant et complétant ce que l'expérience interne aurait eu de défectueux ou d'insuffisant, redresseraient la méthode d'observation intérieure. Ainsi, par des allées et venues entre deux centres d'observation, l'un au-dedans, l'autre au-dehors, nous obtiendrions une solution de plus en plus approchée du problème jamais parfaite, comme prétendent trop souvent l'être les solutions du métaphysicien, mais toujours perfectible, comme celles du savant. Il est vrai que du dedans serait venue la première impulsion, à la vision intérieure nous aurions demandé le principal éclaircissement ; et c'est pourquoi le problème resterait ce qu'il doit être, un problème de philosophie. Mais le métaphysicien ne descend pas facilement des hauteurs où il aime à se tenir. Platon l'invitait à se tourner vers le monde des Idées. C'est là qu'il s'installe volontiers, fréquentant parmi les purs concepts, les amenant à des concessions réciproques, les conciliant tant bien que mal les uns avec les autres, s'exerçant dans ce milieu distingué à une diplomatie savante. Il hésite à entrer en contact avec les faits, quels qu'ils soient, à plus forte raison avec des faits tels que les maladies mentales : il craindrait de se salir les mains. Bref, la théorie que la science était en droit d'attendre ici de la philosophie - théorie souple, perfectible, calquée sur l'ensemble des faits connus - la philosophie n'a pas voulu ou n'a pas su la lui donner. Henri Bergson, L'énergie spirituelle. Essais et conférences. (1919) 26 Alors, tout naturellement, le savant s'est dit : « Puisque la philosophie ne me demande pas, avec faits et raisons à l'appui, de limiter de telle ou telle manière déterminée, sur tels et tels points déterminés, la correspondance supposée entre le mental et le cérébral, je vais faire provisoirement comme si la correspondance était parfaite et comme s'il y avait équivalence ou même identité. Moi, physiologiste, avec les méthodes dont je dispose observation et expérimentation purement extérieures je ne vois que le cerveau et je n'ai de prise que sur le cerveau, je vais donc procéder comme si la pensée n'était qu'une fonction du cerveau ; je marcherai ainsi avec d'autant plus d'audace, j'aurai d'autant plus de chances de m'avancer loin. Quand on ne connaît pas la limite de son droit, on le suppose d'abord sans limite ; il sera toujours temps d'en rabattre. « Voilà ce que s'est dit le savant ; et il s'en serait tenu là s'il avait pu se passer de philosophie. Mais on ne se passe pas de philosophie ; et en attendant que les philosophes lui apportassent la théorie malléable, modelable sur la double expérience du dedans et du dehors, dont la science aurait eu besoin, il était naturel que le savant acceptât, des mains de l'ancienne métaphysique, la doctrine toute faite, construite de toutes pièces, qui s'accordait le mieux avec la règle de méthode qu'il avait trouvé avantageux de suivre. Il n'avait d'ailleurs pas le choix. La seule hypothèse précise que la métaphysique des trois derniers siècles nous ait léguée sur ce point est justement celle d'un parallélisme rigoureux entre l'âme et le corps, l'âme exprimant certains états du corps, ou le corps exprimant l'âme, ou l'âme et le corps étant deux traductions, en langues différentes, d'un original qui ne serait ni l'un ni l'autre : dans les trois cas, le cérébral équivaudrait exactement au mental. Comment la philosophie du XVIIe, siècle avait-elle été condu...

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