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24 La porte refermée, ils se regardèrent un instant intensément, puis Cyrille prit sa femme dans ses bras et la serra contre lui à faire mal.

Publié le 15/12/2013

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24 La porte refermée, ils se regardèrent un instant intensément, puis Cyrille prit sa femme dans ses bras et la serra contre lui à faire mal. Les trois enfants le tiraient par sa veste. Il se baissa. D'un grand geste de moissonneur liant des gerbes, il essaya de les ramasser tous les trois. Élodie se joignit à lui et ils se redressèrent avec ce fagot de vie suspendu à leur cou, à leurs épaules. Ils s'éteignirent tous les cinq, d'un seul bloc, d'un unique paquet de têtes cognées l'une contre l'autre, de bras entremêlés. Rires et sanglots se confondaient. Leur bruit et le ronflement du fourneau s'unissaient pour repousser loin les hurlements de la fruit. -- Tout de même, dit Élodie, y a des bonnes gens. On a de la chance. -- On est chez nous, dit Cyrille dont la vision se brouillait. -- C'est tout petit, dit Clémence. -- Pis c'est noir, dit Paul. -- Demain, on aura une autre lumière, promit Cyrille. C'est que le début. Quand on aura vendu des récoltes, on bâtira une vraie maison. -- J'aime mieux que ce soit pas trop grand, dit Élodie, ce sera plus chaud. Elle regarda encore autour d'elle puis en l'air, avant d'interroger Cyrille d'un oeil inquiet : -- Ça tient bon ? -- T'inquiète pas. Allez, faut faire de l'ordre, moi, je vais clouer du carton de ce côté. Tandis qu'il se mettait au travail dans la lueur mouvante de la lanterne que sa femme déplaçait pour chercher dans ses paquets, les petits demeuraient près du feu, encore tout étourdis de cette course dans la tempête et surpris de se trouver en pareil lieu. Élodie ouvrit un bidon de fer dont elle vida le contenu dans une casserole qu'elle posa sur le fourneau. -- C'est du ragoût d'orignal, dit-elle. C'est Charlotte qui l'a préparé. Sais-tu qu'elle voulait venir pour aider à pomper sur le char ? -- Ça m'étonne pas. -- Stéphane lui a dit qu'elle était trop lourde. Dès qu'ils furent réchauffés, les enfants se mirent en mouvement. Excités par ce désordre de meubles et de paquets, ils se mirent à s'y cacher, à se chercher, à renverser des choses en criant fort. Cyrille fut obligé d'élever la voix. -- C'est drôle, observa Élodie, Charlotte en fait ce qu'elle veut. -- Allons, Clémence, lança Cyrille, occupe-toi de tes frères. -- Comment est-ce qu'on va coucher ? demanda Élodie. -- Je peux pas tout faire en même temps. Déjà que j'y vois rien. Il avait haussé le ton et le regretta aussitôt. Jamais Élodie n'aurait d'autorité sur les enfants. Il le savait. Ils venaient à peine de se retrouver, ce n'était pas l'heure des querelles ridicules. Laissant son marteau et ses clous, il se frotta un instant la barbe. La neige avait déjà dû obstruer les fentes qu'il n'avait pas encore pu colmater, car il entrait un peu moins d'air. Quelques flocons ténus tournoyaient, que la chaleur du poêle faisait fondre aussitôt qu'ils arrivaient au centre de la pièce. -- Bon, on va tâcher de s'arranger comme on peut. Demain, ce sera mieux. Ils étendirent une bâche sur le plancher, posèrent un lit de cartons dessus, puis les deux matelas. Ils empilèrent des caisses et placèrent les meubles de manière à fermer à peu près sur trois côtés. Ensuite, posant des branches en travers, Cyrille y déplia d'autres cartons d'épicerie avant d'y étendre une couverture. Les enfants trépignaient. Déjà ils se couchaient dans cette espèce de petite cabane montée à l'intérieur de la grande. Il fallut les obliger à sortir pour qu'ils mangent un peu, mais très vite ils retournèrent s'enfouir tout vêtus sous les peaux de loups. -- On est des trappeurs, disait l'aîné. Demain on va piéger. Elodie et Cyrille s'installèrent sur un coin de la table pour manger cette viande, ces pommes de terre baignant dans une sauce dont l'odeur emplissait déjà la pièce. Élodie avait gardé son manteau, son dos était à trois pouces du fourneau et pourtant, elle frissonnait. -- C'est rien, j'ai eu froid sur le char. -- Je te réchaufferai. Ils s'étreignaient déjà du regard. -- Tu verras, promit Cyrille, on sera mieux que sur un rang. -- Je sais pas, mais je préfère être ici avec toi que là-bas avec toutes ces femmes. -- Elles étaient pas méchantes. -- Non, mais trop de monde, ça m'a toujours fait peur. Elle avait son air de petit animal effarouché qui attendrissait Cyrille. Leur repas terminé par une tasse de thé bien chaud, Cyrille chargea le poêle jusqu'à la gueule, ferma la porte du foyer et diminua le tirage. Ayant éteint la lanterne, il tâtonna pour rejoindre Élodie qui souffla : -- Ils dorment déjà. Une toute petite lueur filtrée par le mica noirci venait du foyer pour danser sur le flanc d'une caisse. Peu à peu, les yeux s'habituaient à l'obscurité et des formes se devinaient. Élodie s'était recroquevillée sous une couverture sans même se déchausser. -- Tu es folle, faut te déshabiller. Tu vas geler. -- Non, laisse-moi dans ma chaleur. Il y eut une courte lutte, puis, dès que Cyrille eut pris sa bouche, elle se détendit et se laissa aller sur le dos. Il lui retira ses chaussures trempées et ses gros bas de laine puis il frictionna longuement ses pieds glacés dans ses larges mains rêches. -- Tu me râpes. Tu vas me faire crier. -- Allez, enlève-moi tout ça. Il se dévêtit entièrement et l'obligea à en faire autant. Il alla étendre leurs habits pas trop loin du feu. Lorsqu'il revint, elle était entre deux peaux de loups et son corps nu commençait déjà à dégager une bonne tiédeur odorante. -- C'est doux, observa-t-elle, mais ça sent fort. -- Ça sent le loup. Puis ça sent aussi le trappeur. -- Et la vieille pipe. Elle se blottissait contre lui. -- Tes mains sont encore plus dures qu'avant. -- Je te fais mal ? -- Non. C'est bon. -- T'es mieux là que sur la voie ? Elle s'écarta légèrement pour dire, d'un ton inquiet : -- Pourvu qu'ils soient bien rentrés. -- T'inquiète pas pour eux, c'est des malins. Puis ce Steph, c'est un solide, tu sais. Ils s'embrassèrent longuement puis elle dit : -- On est chez nous. -- Ma pauvre chérie, je te jure que t'auras une vraie maison. Très belle. Tu verras. -- Je suis bien. Je suis avec toi. Peut-être à cause de ce qu'avait dit le prêtre l'autre jour, Cyrille fut un instant traversé par la vision de l'appartement où Élodie avait passé son enfance, au-dessus, de la boutique du tailleur. Il lui donnerait bien mieux que ça. Il sentait une grande force en lui pour retourner cette terre et lui arracher des trésors. Ils s'aimèrent avec beaucoup de douceur et de violence alternées. Puis ils demeurèrent enlacés, leurs deux têtes appuyées contre un ballot de linge, à regarder vivre la petite lueur rouge sur le bois de la caisse. -- Quand le chemin sera ouvert et qu'on aura un cheval, on sera plus près de la ville que ceux du rang trois. Y viendra d'autres gens par ici. Avec une petite pointe de crainte dans la voix, Élodie murmura : -- Faudra qu'on fasse amitié avec eux. -- Bien sûr. La maison vibrait sous les coups de boutoir. Pas tout à fait rassurée, Élodie souffla : -- On a une bonne petite maison. -- C'est une bonne chose, cette tempête, ça montre que tout est solide. Quand on aura bien calfeutré, on sera vraiment au chaud. À petits mots, à petites phrases échangées, ils construisaient à l'intérieur de leur demeure quelque chose qui ressemblait à un bon feu tranquille. Ils allaient presque timidement, pour lui conserver une taille très raisonnable. Ils redoutaient un trop rapide embrasement qui n'eût laissé que cendres et braises froides. Ils s'aimèrent de nouveau, se redécouvrant l'un l'autre avec une infinie tendresse. Puis ils restèrent longtemps entrelacés, retenant leur respiration, écoutant leurs deux coeurs qui battaient fort. Un beau bruit sourd et régulier, tout proche, enveloppé par le vacarme plus lointain du ciel descendu sur la terre pour se mêler à la forêt. Et ces deux bruits continuèrent de les habiter dans leur sommeil, jusqu'au fond de leur fatigue de travail et d'amour.

« près surtrois côtés.

Ensuite, posantdesbranches entravers, Cyrilleydéplia d’autres cartons d’épicerie avantd’yétendre unecouverture.

Lesenfants trépignaient.

Déjàilsse couchaient danscette espèce depetite cabane montée àl’intérieur delagrande.

Ilfallut les obliger àsortir pourqu’ils mangent unpeu, mais trèsviteilsretournèrent s’enfouir tout vêtus souslespeaux deloups. — On estdes trappeurs, disaitl’aîné.

Demain onvapiéger. Elodie etCyrille s’installèrent suruncoin delatable pourmanger cetteviande, ces pommes deterre baignant dansunesauce dontl’odeur emplissait déjàlapièce.

Élodie avait gardé sonmanteau, sondosétait àtrois pouces dufourneau etpourtant, elle frissonnait.

— C’est rien,j’aieufroid surlechar. — Je teréchaufferai. Ils s’étreignaient déjàduregard. — Tu verras, promitCyrille, onsera mieux quesurunrang. — Je saispas, mais jepréfère êtreiciavec toique là-bas avectoutes cesfemmes. — Elles étaientpasméchantes. — Non, maistropdemonde, çam’a toujours faitpeur. Elle avait sonairdepetit animal effarouché quiattendrissait Cyrille. Leur repas terminé parune tasse dethé bien chaud, Cyrillechargea lepoêle jusqu’à la gueule, fermalaporte dufoyer etdiminua letirage.

Ayantéteint lalanterne, iltâtonna pour rejoindre Élodiequisouffla : — Ils dorment déjà. Une toute petite lueurfiltrée parlemica noirci venait dufoyer pourdanser surleflanc d’une caisse.

Peuàpeu, lesyeux s’habituaient àl’obscurité etdes formes sedevinaient. Élodie s’était recroquevillée sousunecouverture sansmême sedéchausser. — Tu esfolle, fauttedéshabiller.

Tuvas geler. — Non, laisse-moi dansmachaleur. Il yeut une courte lutte,puis,dèsque Cyrille eutpris sabouche, ellesedétendit etse laissa allersurledos.

Illui retira seschaussures trempéesetses gros basdelaine puisil frictionna longuement sespieds glacés dansseslarges mains rêches. — Tu merâpes.

Tuvas mefaire crier. — Allez, enlève-moi toutça. Il se dévêtit entièrement etl’obligea àen faire autant.

Ilalla étendre leurshabits pas trop loindufeu.

Lorsqu’il revint,elleétait entre deuxpeaux deloups etson corps nu commençait déjààdégager unebonne tiédeur odorante. — C’est doux,observa-t-elle, maisçasent fort. — Ça sentleloup.

Puisçasent aussi letrappeur. — Et lavieille pipe. Elle seblottissait contrelui. — Tes mainssontencore plusdures qu’avant. — Je tefais mal ? — Non.

C’estbon. — T’es mieuxlàque surlavoie ? Elle s’écarta légèrement pourdire,d’untoninquiet : — Pourvu qu’ilssoient bienrentrés.. »

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