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32 Lorsqu'ils se retrouvèrent, tous les cinq, en bordure du bois, les pieds sur le tapis spongieux d'aiguilles, de feuilles et de mousses, ils regardèrent en direction de la maison.

Publié le 15/12/2013

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32 Lorsqu'ils se retrouvèrent, tous les cinq, en bordure du bois, les pieds sur le tapis spongieux d'aiguilles, de feuilles et de mousses, ils regardèrent en direction de la maison. Le ciel qui pétrissait encore du plomb et de l'étain y mêlait des lueurs sulfureuses. Leur reflet vibrait sur la rivière qui courait au pied de la colline et vernissait la boue tout autour du petit campe perdu. À demi renversé, le bâtiment qui continuait de s'enfoncer semblait une niche à chien oubliée dans un bourbier. Déjà il commençait à dériver lentement vers l'aval. Ce spectacle les cloua sur place quelques instants. Muets. Écrasées. Puis, d'une voix qui grelottait, Élodie murmura : -- J'ai eu si peur. Comme si cette phrase eût réveillé Cyrille, il lâcha sa femme qu'il serrait contre lui. -- M'en vais vite faire un voyage pour sortir... Elle l'interrompit en lui empoignant le bras : -- Non. Je t'interdis... Clémence le prit par son pantalon boueux. -- Papa ! Mon papa. Je veux pas. Reste avec nous. -- Qu'est-ce que tu veux sauver ? cria Élodie. Et comment tu veux l'emporter ? Avec une violence de poudre, la colère de Cyrille bondit hors de lui : -- Bon Dieu, hurla-t-il. C'est ma faute ! Tout ça, c'est ma faute. J'ai voulu venir là. Plus malin que les autres. Engueuler tout le monde. Foutre la merde... Il crachait de rage. Élodie lui serra le bras. -- Crie pas ! Faut aller. Les petits sont trempés. Saisi soudain par la vision du chemin qui les séparait de Saint-Georges, Cyrille retrouva son sang-froid. Il demanda à Clémence : -- Tu peux marcher ? -- Sûr p'pa. Je peux courir. -- Laisse-moi porter mon petit Jules, fit Élodie. -- Non, occupe-toi de la gamine. Ramassant ses deux garçons, il s'engagea sous bois, par le sentier qu'il avait ouvert. Il y faisait encore sombre, mais les restes de neige éclairaient cette pénombre ruisselante et glacée. Au début, tout alla bien. La couche épaisse d'aiguilles et de feuilles avait absorbé l'eau. La neige tassée par le passage de la petite traîne marquait deux rails à peu près ininterrompus. Au premier abaissement du sol, ils furent arrêtés. L'eau avait monté. Elle portait encore sa plaque de glace, des amas de neige pourrie et noircie. Les dévers étaient glissants. Ils durent faire demi-tour et chercher un passage. Plus loin, Cyrille s'empêtra dans des ronciers et se mit à jurer. Les enfants lui serraient le cou à l'étrangler. Il s'en voulait de n'avoir pas accroché sa serpe à sa ceinture. Dès qu'il s'écartait du sentier, il devait se baisser pour passer sous des branches et enjamber des troncs couchés ou des broussailles. À plusieurs reprises, il dut poser les enfants et les obliger à marcher. Les petits ne pleuraient plus. Livides, ils allaient sous ce crépitement de gouttes énormes qui s'accentuait en douche serrée chaque fois qu'un arbre était secoué. Habituellement, il fallait à peu près un quart d'heure pour atteindre la voie ; ce matin-là, ils mirent pas loin d'une heure. Clémence tomba deux fois dans la boue. Elle ne se plaignait pas. Élodie marchait, les dents serrées, le visage tendu par la douleur. Elle portait des souliers bas aux semelles trop minces. Déjà, une couture avait craqué. Ses pieds étaient trempés. À plusieurs reprises, une de ses chaussures resta prise dans le bourbier d'un bas-fond. Elle s'appuyait à un arbre, Clémence l'aidait à se rechausser. -- Rien ! Plus rien. Cyrille ne cessait de répéter ces mots à demi mâchés. Il serrait fort contre lui ses deux fils, et, très souvent, il se retournait pour s'assurer que sa femme et sa fille suivaient. Non, il n'avait plus rien ; il avait pourtant sauvé le plus précieux. Lorsqu'ils finirent par prendre pied sur le chemin de ballast, la pluie avait cessé. Déchiré par une soudaine respiration du nord, le ciel s'ouvrait. La lumière grandissait. La forêt constellée étincelait. -- Faut se dépêcher, lança Cyrille, ça va serrer ! Sur le sentier, la neige transformée en glace luisait. Elle alternait avec des passages de pierre qui semblaient noirs. Impossible d'avancer vite sur cette patinoire. -- Faut marcher entre les rails. Ils essayèrent un moment, mais les paquets de neige accumulés contre les traverses les obligèrent à renoncer. Un pas, ils glissaient, le suivant, ils enfonçaient soudain jusqu'aux genoux. Élodie venait de tomber. Lorsqu'elle se releva, son poignet et sa joue saignaient. De nouveau, la colère empoigna Cyrille. -- Seigneur, tout ça par ma faute. Je suis maudit. Je suis un maudit chien ! Élodie se retenait de geindre. Chaque pas lui infligeait un supplice. De ses pieds glacés partaient des aiguilles de feu qui montaient jusque dans ses cuisses. Ils durent s'arrêter, la petite trébuchait, chancelait, incapable de suivre. -- Je vais vous faire un feu, proposa Cyrille. Je vous laisserai et j'irai chercher de l'aide. -- Jamais ! Je veux pas que tu nous laisses ! -- Vous risquez rien, je reviendrai avec le char à pompe de la gare. -- Non ! hurlaient les trois gosses, t'en va pas. T'en va pas. Il savait que c'était une faiblesse, mais leurs cris étaient tels qu'il céda. -- C'est bon, je vais prendre aussi la petite. -- Tu pourras jamais. Boitillant, Élodie repartit sur le sentier, ralentissant à chaque plaque de glace, passant entre les rails lorsque ça lui paraissait plus facile. Cyrille s'accroupit, posa les deux petits qu'il frictionna vigoureusement dans le dos, puis il installa sa fille à califourchon sur sa nuque. -- Allez, fit-il, t'es un sac de charbon ! Personne n'avait plus la force de rire. Il reprit les garçons sur ses bras et partit en courant. Il avait la chance d'avoir des semelles qui accrochaient bien et des bottes à peu près imperméables. Malgré tout, il sentait le froid gagner ses pieds et imaginait ce que devait endurer sa femme. Il savait également qu'en raison de leur immobilité les enfants risquaient le pire. Il mit peu de temps à rattraper Élodie. Un long passage s'ouvrait où le sol de terre et de pierre était nu. Posant les enfants, il dit avec autorité : -- Faut essayer de courir un peu. Faut pas vous laisser gagner par le froid. Allez, Clémence, entraîne-les. Force-les à courir. La petite prit ses frères par la main et les contraignit à marcher. -- Tu vas t'asseoir sur le rail, dit Cyrille à sa femme. Je vais te donner mes bottes. -- T'es fou ! -- J'irai pieds nus. Ça me fait rien. -- Même si je voulais, c'est impossible. Elles sont trois fois trop grandes. -- Déchausse-toi tout de même, je vais te frotter. Elle obéit. Ses pieds étaient violets et déjà blancs par endroits. Cyrille les prit l'un après l'autre dans ses mains et les frictionna vigoureusement. Puis, quittant sa pelisse tandis qu'Elodie se rechaussait, il la lui posa sur les épaules. -- Tiens, t'enlèveras ton manteau trempé. Tu mettras ça. Moi, à porter les gosses, j'ai trop chaud. -- Non, non. Mais Cyrille partit sans l'attendre. La terrible colère qu'il nourrissait à la fois contre lui et tous ceux qui l'avaient laissé s'installer là lui donnait des forces. Son feu intérieur l'empêchait de sentir les terribles morsures du nordet qui prenait de la gueule. La forêt surprise par cet arrêt brutal de l'averse et cette saute de vent s'ébrouait en grondant. La lumière plus vive faisait miroiter ce qui restait de neige et de glace. Mais c'était surtout de l'eau qu'on voyait scintiller entre les troncs. Tous les bas-fonds étaient inondés. En bien des endroits, des arbres s'étaient couchés. De grandes épinettes avaient dû tomber sur la voie : on voyait les traces des sabots des chevaux et des bottes des bûcherons qui les avaient dégagées. Des éclapes toutes fraîches étaient entre les rails ainsi que des branches sur le bas-côté. Les troncs avaient été tirés en face et laissés le long de la voie. -- Bon Dieu ! grogna Cyrille, ils étaient peut-être encore là y a pas une heure ! Il allait avec sa charge qu'il avait reprise, se retournant souvent pour regarder Élodie qui boitait de plus en plus et s'arrêtait tous les trois pas. Le vent soudain glacial cristallisa les gouttes d'une seule gifle aux brindilles des arbres. La forêt devint sonore et éblouissante. Cyrille posa de nouveau les petits. -- Marchez ! Sa voix était rauque. Courageusement, la petite entraîna ses frères. Cyrille courut vers Élodie qui gémissait : -- Laisse-moi. Sauve les petits. Presque brutal, il ordonna : -- Relève ta robe. -- Tu es fou. Il la prit sur ses épaules comme il avait pris là petite. Se redressa et repartit à longs pas. Il était presque étonné de la trouver si légère. Il l'entendait gémir : -- Tu es fou ! Tu vas te tuer. -- J'ai porté plus lourd. Lorsqu'il rattrapa les enfants, il fléchit les genoux, empoigna le petit Jules qu'il leva en l'air. -- Attrape-le et tiens-le comme tu peux. Puis, s'accroupissant à demi, il réussit à prendre les deux autres sur ses bras. -- Cramponnez-vous ! Il repartit.

« plaignait pas.Élodie marchait, lesdents serrées, levisage tenduparladouleur.

Elle portait dessouliers basaux semelles tropminces.

Déjà,unecouture avaitcraqué.

Ses pieds étaient trempés.

Àplusieurs reprises,unedeses chaussures restaprisedansle bourbier d’unbas-fond.

Elles’appuyait àun arbre, Clémence l’aidaitàse rechausser. — Rien ! Plusrien. Cyrille necessait derépéter cesmots àdemi mâchés.

Ilserrait fortcontre luises deux fils, et,très souvent, ilse retournait pours’assurer quesafemme etsa fille suivaient. Non, iln’avait plusrien ; ilavait pourtant sauvéleplus précieux. Lorsqu’ils finirentparprendre piedsurlechemin deballast, lapluie avaitcessé.

Déchiré par une soudaine respiration dunord, leciel s’ouvrait.

Lalumière grandissait.

Laforêt constellée étincelait. — Faut sedépêcher, lançaCyrille, çava serrer ! Sur lesentier, laneige transformée englace luisait.

Ellealternait avecdespassages de pierre quisemblaient noirs.Impossible d’avancervitesurcette patinoire. — Faut marcher entrelesrails. Ils essayèrent unmoment, maislespaquets deneige accumulés contrelestraverses les obligèrent àrenoncer.

Unpas, ilsglissaient, lesuivant, ilsenfonçaient soudainjusqu’aux genoux.

Élodievenait detomber.

Lorsqu’elle sereleva, sonpoignet etsa joue saignaient.

De nouveau, lacolère empoigna Cyrille. — Seigneur, toutçapar mafaute.

Jesuis maudit.

Jesuis unmaudit chien ! Élodie seretenait degeindre.

Chaquepasluiinfligeait unsupplice.

Deses pieds glacés partaient desaiguilles defeu quimontaient jusquedanssescuisses.

Ilsdurent s’arrêter, la petite trébuchait, chancelait,incapabledesuivre. — Je vaisvous faireunfeu, proposa Cyrille.Jevous laisserai etj’irai chercher del’aide. — Jamais ! Jeveux pasque tunous laisses ! — Vous risquezrien,jereviendrai aveclechar àpompe delagare. — Non ! hurlaient lestrois gosses, t’envapas.

T’en vapas. Il savait quec’était unefaiblesse, maisleurs crisétaient telsqu’il céda. — C’est bon,jevais prendre aussilapetite. — Tu pourras jamais. Boitillant, Élodierepartit surlesentier, ralentissant àchaque plaquedeglace, passant entre lesrails lorsque çalui paraissait plusfacile. Cyrille s’accroupit, posalesdeux petits qu’ilfrictionna vigoureusement dansledos, puis il installa safille àcalifourchon sursanuque. — Allez, fit-il,t’esunsac decharbon ! Personne n’avaitpluslaforce derire.

Ilreprit lesgarçons surses bras etpartit en courant.

Ilavait lachance d’avoirdessemelles quiaccrochaient bienetdes bottes àpeu près imperméables.

Malgrétout,ilsentait lefroid gagner sespieds etimaginait ceque devait endurer safemme.

Ilsavait également qu’enraison deleur immobilité lesenfants risquaient lepire. Il mit peu detemps àrattraper Élodie.Unlong passage s’ouvrait oùlesol deterre etde pierre étaitnu.Posant lesenfants, ildit avec autorité : — Faut essayer decourir unpeu.

Fautpasvous laisser gagner parlefroid.

Allez, Clémence, entraîne-les.

Force-lesàcourir.. »

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