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42 Dès ce jour-là, l'existence changea sur le rang trois dont Cadieu devint vraiment le centre.

Publié le 15/12/2013

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42 Dès ce jour-là, l'existence changea sur le rang trois dont Cadieu devint vraiment le centre. À la fin de l'hiver, tous les campes étaient couverts. Pour celui de Cyrille Labrèche, il ne restait qu'à finir l'intérieur, mais c'était une petite besogne que l'on pouvait réserver pour les jours de pluie. Avec la venue du printemps, Cadieu se mit à patauger dans la boue. Car le dégel permettait qu'on essaie d'enlever les premières souches. Et, cette fois, c'était vraiment à la terre qu'on s'en prenait. On creusait un peu pour passer des chaînes sous les racines les plus accessibles, on en fixait une à l'espèce de cabestan que les hommes avaient fabriqué et dont la queue était assez longue pour qu'ils se mettent tous à pousser. Tous sauf Labrèche, car on attelait Cadieu à l'autre chaîne. Et le grand Koliare y allait à pleine gueule pour donner le départ. Les hommes poussaient, le cheval tirait. -- Hue ! -- Ho ! Hisse ! On entendait craquer les racines. La glèbe se soulevait comme fouie par d'énormes bêtes. Et l'Ukrainien terreux jusqu'aux cheveux la prenait à pleines mains, la pétrissait en clamant : -- Ça, c'est de la terre. De la vraie terre ! Il le criait tantôt en français et tantôt dans sa langue, mais tout le monde savait ce que signifiaient ses coups de gueule. Quand une souche résistait par trop, un homme ou deux se détachaient du groupe pour aller voir ce qui tenait si fort. Dans la boue jusqu'aux genoux, ils frappaient de la cognée pour couper les racines. On criait : -- Ho ! les femmes. Alors, arrivaient en pataugeant à pleins sabots la grosse Charlotte, Georgette Rossel ou Reine Fatin qui joignaient leurs forces et leur poids à celui des hommes. Quand le curé ou un prêtre de mission se trouvait de passage, il relevait sa soutane et donnait la main. Tout autour, dans la forêt encore vierge, le printemps menait sa besogne sans rien salir. Il n'y avait que les hommes pour remuer toute cette gadoue. Ce bouleversement gagnait le chemin où les enfants claquaient des pieds dans les flaques. On entendait les mères crier : -- Déchaussez-vous, petits maudits. N'entrez pas comme ça, je passe mon temps à récurer ! Les jours grandissaient. La neige fondait. Les glaces craquaient sur les lacs, les rivières et les creux d'eau. Ce qui recouvrait les toitures avait glissé dès les premiers jours, entraînant les longues aiguilles de cristal accrochées aux rebords et qui s'étaient brisées. Sous les mousses et les broussailles écrasées par les neiges durant des mois, la vie reprenait. Mille sources minuscules traçaient leur chemin secret. Les larves invisibles préparaient aux colons les désagréments de l'été. Moustiques, maringouins, frappeabords, mouches noires, taons d'orignal, brûlots et autres vermines émergeaient par milliards de leur léthargie. Ils allaient bientôt s'abattre en nuées bourdonnantes sur les colons et le pauvre Cadieu, mais les gens du rang trois étaient déjà trop accrochés à leur terre pour s'en laisser chasser par ces parasites du Nord. Le dégel terminé, alors que les premières feuilles naissaient, dès que les parties défrichées furent à peu près ressuyées, on se mit à préparer les terres. Entre les plus grosses souches qu'on ne pourrait enlever qu'après deux ou trois années, on entreprit les premiers labours. Cadieu et Labrèche manoeuvraient tant bien que mal. L'Ukrainien, le gros Mélançon et Florent se relayaient à la petite charrue à manches dont le coutre butait souvent contre une roche ou une racine. Le reste - et c'était les trois quarts - se faisait à la pioche. Les femmes s'y mirent aussi et même les plus grands des enfants qui tiraient ou portaient les morceaux de racines sur les énormes tas qu'on brûlerait dans l'été, quand ils auraient séché, quand le vent tomberait et que le bureau de la colonisation donnerait l'ordre de mise à feu. Faivre que l'on n'avait pas vu de l'hiver vint deux ou trois fois en inspection pour s'assurer que les colons méritaient bien la prime de défrichement. Il vint aussi quand la terre fut prête pour les semailles car aucun de ces hommes ne savait ni lancer le blé ni planter une pomme de terre. Il leur enseigna les gestes et ils se mirent à ce travail nouveau qui portait l'espérance. Et Cadieu tira la herse comme il avait tiré la charrue. Il traîna le gros rouleau de bois taillé dans un tronc de mélèze. Tous s'accordaient à dire que c'était le meilleur cheval du monde et que la paroisse qui portait le nom d'un pareil parrain ne pouvait pas trahir ceux qui l'avaient à grand-peine gagnée sur la forêt. On fit avec des perches un enclos à Cadieu pour qu'il ne passe pas tout son repos enfermé. Et Cyrille apprit aux enfants à bien ouvrir leur main pour lui donner une croûte de pain. Cyrille le faisait en pensant à ses propres enfants qu'Elodie ramènerait bientôt. Car Elodie écrivait qu'elle reviendrait. Cyrille répondait pour dire que le campe serait bientôt prêt. Et Charlotte Garneau élevait la voix pour affirmer : -- Si elle revient pas, je suis bien capable d'aller la chercher, moi ! Mais Cyrille avait peu de temps pour penser et pour écrire. Le travail que l'on achevait tirait toujours derrière lui un autre travail. Avec l'approche des chaleurs, il devint dangereux de boire l'eau des sources où se multipliaient les larves. Il fallut donc creuser un puits, le boiser, charrier des pierres pour en garnir le fond. Songer à en creuser un autre pour ceux qui se trouvaient à l'extrémité du rang. Et puis, le chemin à continuer pour que Cadieu, un jour, puisse tirer un char jusqu'à Saint-Georges. À mesure que les campes s'achevaient, les familles s'y installaient. Bientôt, Cyrille demeura seul dans le bâtiment de la cure. On attendait toujours le prêtre annoncé, il ne venait pas, et les colons ne réclamaient pas. Les visites des missionnaires et celles du père Levé suffisaient. Certains prêtres de passage demandaient à voir la fameuse grotte de Lourdes commencée. Ils disaient qu'on la terminerait un jour et qu'un évêque viendrait la consacrer. Ils parlaient aussi de l'abbé Gauzon qu'ils avaient entendu à Montréal prêcher les vertus de la colonisation et le bonheur du Nord. Quand Cyrille se retrouva seul, il déclina toutes les offres de ceux qui l'invitaient à s'installer chez eux. Un soir, il alla trouver Billon et lui dit : -- Au fond, le cheval, c'est surtout à toi qu'il est puisque c'est toi qui as payé le plus. -- Il est à tout le monde, répliqua l'ancien maçon, et sans toi, y serait plus à personne. -- Ce que je voulais te proposer, comme c'est moi qui le soigne, c'est qu'on monte une vraie écurie derrière mon campe. Un cheval, la nuit, ça peut avoir peur, faut toujours... Billon l'interrompit : -- T'as raison. Ça m'arrange, la femme veut prendre des poules et des lapins. On les mettra à sa place. Avec l'expérience qu'ils avaient acquise de la construction, l'écurie fut vite bâtie. On l'avait prévue grande, car on savait qu'il faudrait, le plus vite possible, un compagnon de travail pour Cadieu. Une aide indispensable pour arracher les grosses souches et débarder les plus lourdes billes, celles qu'on avait réservées pour la construction de l'église. Comme il y avait de la place dans l'écurie, Cyrille s'y monta une couchette. Peut-être par superstition, il ne voulait pas loger dans son campe avant qu'Élodie et les enfants soient arrivés. La première nuit où il coucha près de Cadieu, il faisait un beau clair de lune. Il laissa la porte grande ouverte. Devant, à quelques pas, il avait allumé un brûlot d'herbes pour éloigner la vermine ailée. Allongé sur le côté, il demeura longtemps à regarder le cheval qui somnolait, immobile sur ses quatre grosses pattes parcourues de frémissements. De temps en temps, la chaîne cliquetait, un sabot battait. Cadieu se réveillait et se mettait à mâchonner une poignée de foin. Sa longue queue battait sa croupe luisante de lune. Cyrille mit très longtemps à s'endormir. Il pensait à son campe vide, tout proche, et se disait que le bonheur serait bientôt là, installé sous ce toit où les siens allaient le rejoindre. Dans son demi-sommeil, il les voyait déjà tous près de lui. Il voyait aussi Cadieu, bien présent avec sa grosse force paisible, et quelque chose en lui murmurait que c'était déjà beaucoup de bonheur. Saint-Télesphore, été 1978 Morges, 7 novembre 1984

« préparer lesterres.

Entrelesplus grosses souches qu’onnepourrait enleverqu’après deux outrois années, onentreprit lespremiers labours.CadieuetLabrèche manœuvraient tantbien quemal.

L’Ukrainien, legros Mélançon etFlorent serelayaient à la petite charrue àmanches dontlecoutre butaitsouvent contreuneroche ouune racine.

Lereste – etc’était lestrois quarts – sefaisait àla pioche.

Lesfemmes s’ymirent aussi etmême lesplus grands desenfants quitiraient ouportaient lesmorceaux de racines surlesénormes tasqu’on brûlerait dansl’été, quand ilsauraient séché,quandle vent tomberait etque lebureau delacolonisation donneraitl’ordredemise àfeu. Faivre quel’onn’avait pasvude l’hiver vintdeux outrois foiseninspection pour s’assurer quelescolons méritaient bienlaprime dedéfrichement.

Ilvint aussi quand la terre futprête pourlessemailles caraucun deces hommes nesavait nilancer leblé ni planter unepomme deterre.

Illeur enseigna lesgestes etils se mirent àce travail nouveau quiportait l’espérance.

EtCadieu tiralaherse comme ilavait tirélacharrue.

Il traîna legros rouleau debois taillé dansuntronc demélèze.

Touss’accordaient àdire que c’était lemeilleur chevaldumonde etque laparoisse quiportait lenom d’unpareil parrain nepouvait pastrahir ceuxquil’avaient àgrand-peine gagnéesurlaforêt. On fitavec desperches unenclos àCadieu pourqu’ilnepasse pastout sonrepos enfermé.

EtCyrille appritauxenfants àbien ouvrir leurmain pourluidonner unecroûte de pain.

Cyrille lefaisait enpensant àses propres enfantsqu’Elodie ramènerait bientôt. Car Elodie écrivait qu’ellereviendrait.

Cyrillerépondait pourdirequelecampe serait bientôt prêt.EtCharlotte Garneauélevaitlavoix pour affirmer : — Si ellerevient pas,jesuis bien capable d’allerlachercher, moi ! Mais Cyrille avaitpeudetemps pourpenser etpour écrire.

Letravail quel’onachevait tirait toujours derrièreluiun autre travail. Avec l’approche deschaleurs, ildevint dangereux deboire l’eaudessources oùse multipliaient leslarves.

Ilfallut donccreuser unpuits, leboiser, charrier despierres pour en garnir lefond.

Songer àen creuser unautre pourceuxquisetrouvaient àl’extrémité du rang. Et puis, lechemin àcontinuer pourqueCadieu, unjour, puisse tirerunchar jusqu’à Saint-Georges.

À mesure quelescampes s’achevaient, lesfamilles s’yinstallaient.

Bientôt,Cyrille demeura seuldans lebâtiment delacure.

Onattendait toujoursleprêtre annoncé, ilne venait pas,etles colons neréclamaient pas.Lesvisites desmissionnaires etcelles du père Levésuffisaient.

Certainsprêtresdepassage demandaient àvoir lafameuse grotte de Lourdes commencée.

Ilsdisaient qu’onlaterminerait unjour etqu’un évêque viendrait laconsacrer.

Ilsparlaient aussidel’abbé Gauzon qu’ilsavaient entendu à Montréal prêcherlesvertus delacolonisation etlebonheur duNord. Quand Cyrilleseretrouva seul,ildéclina touteslesoffres deceux quil’invitaient à s’installer chezeux.Unsoir, ilalla trouver Billonetlui dit : — Au fond,lecheval, c’estsurtout àtoi qu’il estpuisque c’esttoiqui aspayé leplus. — Il estàtout lemonde, répliqua l’ancienmaçon,etsans toi,yserait plusàpersonne. — Ce quejevoulais teproposer, commec’estmoiquilesoigne, c’estqu’on monte une vraie écurie derrière moncampe.

Uncheval, lanuit, çapeut avoir peur, fauttoujours… Billon l’interrompit : — T’as raison.

Çam’arrange, lafemme veutprendre despoules etdes lapins.

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