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A Némésis - Lamartine

Publié le 10/07/2011

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lamartine

Non, sous quelque drapeau que le barde se range La Muse sert sa gloire et non ses passions. Non, je n'ai pas coupé les ailes de cet ange Pour l'atteler, hurlant, au char des factions. Non, je n'ai pas couvert du masque populaire Son front resplendissant des feux du saint parvis, Ni, pour fouetter et mordre, irritant sa colère, Changé ma muse en Némésis! L'or pur que sous mes pas semait sa main prospère N'a point payé la vigne ou le champ du potier; Il n'a point engraissé les sillons de mon père Ni les coffres jaloux d'un avide héritier: Elle sait où du ciel ce divin denier tombe. Tu peux sans le ternir me reprocher cet or! D'autres bouches un jour te diront sur ma tombe Où fut enfoui mon trésor. Je n'ai rien demandé que des chants à sa lyre, Des soupirs pour une ombre et des hymnes pour Dieu, Puis, quand l'âge est venu m'enlever son délire, J'ai dit à cette autre âme un trop précoce adieu: « Quitte un cœur que le poids de la patrie accable! Fuis nos villes de boue et notre âge de bruit! Quand l'eau pure des lacs se mêle avec le sable Le cygne remonte et s'enfuit. « Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle, S'il n'a l'âme et la lyre et les yeux de Néron, Pendant que l'incendie en fleuve ardent circule Des temples au palais, du Cirque au Panthéon! Honte à qui peut chanter pendant que chaque femme Sur le front de ses fils voit la mort ondoyer, Que chaque citoyen regarde si la flamme Dévore déjà son foyer! Honte à qui peut chanter pendant que les sicaires En secouant leurs torches aiguisent leurs poignards, Jettent les dieux proscrits aux rires populaires, Ou traînent aux égouts les bustes des Césars! C'est l'heure de combattre avec l'arme qui reste; C'est l'heure de monter au rostre ensanglanté, Et de défendre au moins de la voix et du geste Rome, les dieux, la liberté !

L'ensemble. — Lamartine a su traiter des sujets plus généraux encore que ceux de la poésie familiale et de la petite patrie. Le sentiment national, la vie politique, l'ont également inspiré, et, tout en caractérisant les premiers accents de sa muse, il montre pour quelles raisons elle a dû chanter d'autres objets et servir les grandes causes qui lui étaient chères : le poète doit se mêler à la vie publique; dans le bouleversement social, il a le devoir d'agir, de défendre « Rome, les dieux, la liberté ! «. Le lyrisme intime ne peut plus lui suffire, car « Honte à qui peut chanter alors que Rome brûle «. Ces stances constituent une réponse au poète Barthélémy qui, dans son journal Némésis, avait reproché à Lamartine de mêler la politique à la littérature et de demander, lui, catholique et légitimiste, « leurs votes aux hommes de Juillet «.

Les mots : Barde (du celtique bardas) : poète celte qui chantait les héros; en général poète héroïque et lyrique. factions : guet que font les soldats d'un poste; ici, parti de gens unis pour une action politique violente. parvis : espace qui était autour du tabernacle dans le temple de Jérusalem. Némésis : déesse de la vengeance. vigne ou champ du potier : Naboth qui fut lapidé par le roi d'Israël Achab, à qui il avait refusé de vendre sa vigne; expression qui signifie tout achat injuste. denier : ancienne monnaie française, douzième partie d'un sou, au figuré une très petite somme d'argent. lyre : symbole de la poésie, inspiration. ombre : l'ombre d'Elvire. Rome : symbole de la cité nationale, de la patrie. Néron : on raconte que l'empereur Néron chanta devant Rome en feu. Cirque : lieu destiné aux jeux publics chez les Romains. Panthéon : temple consacré à tous les dieux sicaires (de sica : poignard) : assassin gagé. Césars : les souverains qui ont régné en France. rostre : tribune aux harangues, ainsi appelée à Rome parce qu'elle était ornée d'éperons de navires.

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