Abbé Grégoire, sur l'unification de la langue (1790)
Le 13 août 1790, l’abbé Grégoire lance un questionnaire ayant  pour objet d’étudier la diversité des patois et la nature des mœurs  linguistiques de la France rurale. Il présente les résultats de cette enquête  comme un indispensable matériau d’analyse préalable au lancement d’une stratégie  éducative favorisant l’accès de tous au français. Il juge en effet que la  maîtrise du français peut renforcer l’unité nationale (via l’unité linguistique)  et favoriser l’accès à une raison citoyenne profitable à la Révolution  — notamment par la transmission des textes politiques révolutionnaires et de la  pensée héritée des Lumières.
Enquête sur l’unification de la langue française de l’abbé  Grégoire
 
1. — L’usage de la langue française est-il universel dans  votre contrée ? Y parle-t-on un ou plusieurs patois ?  2. — Ce patois a-t-il  une origine ancienne et connue ?  3. — A-t-il beaucoup de termes radicaux,  beaucoup de termes composés ?  4. — Y trouve-t-on des mots dérivés du  celtique, du grec, du latin, et en général des langues anciennes et modernes ?   5. — A-t-il une affinité marquée avec le français, avec le dialecte des  contrées voisines, avec celui de certains lieux éloignés, où des émigrants, des  colons de votre contrée, sont allés anciennement s’établir ?  6. — En quoi  s’éloigne-t-il le plus de l’idiome national ? N’est-ce pas spécialement pour les  noms des plantes, des maladies, les termes des arts et métiers, des instruments  aratoires, des diverses espèces de grains, du commerce et du droit coutumier ?  On désirerait avoir cette nomenclature.  7. — Y trouve-t-on fréquemment  plusieurs mots pour désigner la même chose ?  8. — Pour quels genres de  choses, d’occupations, de passions, ce patois est-il plus abondant ?  9.  — A-t-il beaucoup de mots pour exprimer les nuances des idées et les objets  intellectuels ?  10. — A-t-il beaucoup de termes contraires à la pudeur ? Ce  que l’on doit en inférer relativement à la pureté ou à la corruption des mœurs ?   11. — A-t-il beaucoup de jurements et d’expressions particulières aux grands  mouvements de colère ?  12. — Trouve-t-on dans ce patois des termes, des  locutions très énergiques, et même qui manquent à l’idiome français ?  13.  — Les finales sont-elles plus communément voyelles que consonnes ?  14.  — Quel est le caractère de la prononciation ? Est-elle gutturale, sifflante,  douce, peu ou fortement accentuée ?  15. — L’écriture de ce patois a-t-elle  des traits, des caractères autres que le français ?  16. — Ce patois  varie-t-il beaucoup de village à village ?  17. — Le parle-t-on dans les  villes ?  18. — Quelle est l’étendue territoriale où il est usité ?  19.  — Les campagnards savent-ils également s’énoncer en français ?  20.  — Prêchait-on jadis en patois ? Cet usage a-t-il cessé ?  21. — A-t-on des  grammaires et des dictionnaires de ce dialecte ?  22. — Trouve-t-on des  inscriptions patoises dans les églises, les cimetières, les places publiques,  etc. ?  23. — Avez-vous des ouvrages en patois, imprimés ou manuscrits,  anciens ou modernes, comme droit coutumier, actes publics, chroniques, prières,  sermons, livres ascétiques, cantiques, chansons, almanachs, poésie, traductions,  etc. ?  […]  26. — Avez-vous beaucoup de proverbes patois particuliers à  votre dialecte et à votre contrée ?  27. — Quelle est l’influence respective  du patois sur les mœurs, et de celles-ci sur votre dialecte ?  28.  — Remarque-t-on qu’il se rapproche insensiblement de l’idiome français, que  certains mots disparaissent, et depuis quand ?  […]  31. — Dans les écoles  de campagne, l’enseignement se fait-il en français ? Les livres sont-ils  uniformes ?  32. — Chaque village est-il pourvu de maîtres et de maîtresses  d’école ?  33. — Outre l’art de lire, d’écrire, de chiffrer et le catéchisme,  enseigne-t-on autre chose dans ces écoles ?  34. — Sont-elles assidûment  surveillées par MM. les Curés et Vicaires ?  35. — Ont-ils un assortiment de  livres pour prêter à leurs paroissiens ?  36. — Les gens de la campagne  ont-ils le goût de la lecture ?  37. — Quelles espèces de livres trouve-t-on  plus communément chez eux ?  38. — Ont-ils beaucoup de préjugés, et dans quel  genre ?  39. — Depuis un vingtaine d’années, sont-ils plus éclairés ? Leurs  mœurs sont-elles plus dépravées ? Leurs principes religieux ne sont-ils pas  affaiblis ?  40. — Quelles sont les causes et quels seraient les remèdes à  ces maux ?  41. — Quels effets moraux produit chez eux la révolution  actuelle ?  […] 
 
 
Source : Certeau (Michel de), Julia  (Dominique) & Revel (Jacques), Une politique de la langue : la Révolution  française et les patois, l'enquête de Grégoire, Paris, Gallimard,  1975.
 
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