Devoir de Philosophie

appointements de dix-huit cents francs.

Publié le 15/12/2013

Extrait du document

appointements de dix-huit cents francs. C'était une fortune. Avec de l'économie, il allait mettre de l'argent de côté pour tablir Quenu. À dix-huit ans, il le traitait encore en demoiselle qu'il faut doter. Pendant la courte maladie de son frère, Quenu, lui aussi, avait fait des réflexions. Un matin, il déclara qu'il voulait travailler, qu'il était assez grand pour gagner sa vie. Florent fut profondément touché. Il y avait, en face d'eux, de l'autre côté de la rue, un horloger en chambre que l'enfant voyait toute la journée, dans la clarté crue de la fenêtre, penché sur a petite table, maniant des choses délicates, les regardant à la loupe, patiemment. Il fut séduit, il prétendit qu'il avait du oût pour l'horlogerie. Mais, au bout de quinze jours, il devint inquiet, il pleura comme un garçon de dix ans, trouvant que 'était trop compliqué, que jamais il ne saurait « toutes les petites bêtises qui entrent dans une montre ». Maintenant, il référerait être serrurier. La serrurerie le fatigua. En deux années, il tenta plus de dix métiers. Florent pensait qu'il avait raison, qu'il ne faut pas se mettre dans un état à contrecoeur. Seulement, le beau dévouement de Quenu, qui voulait agner sa vie, coûtait cher au ménage des deux jeunes gens. Depuis qu'il courait les ateliers, c'était sans cesse des épenses nouvelles, des frais de vêtements, de nourriture prise au-dehors, de bienvenue payée aux camarades. Les dixuit cents francs de Florent ne suffisaient plus. Il avait dû prendre deux leçons qu'il donnait le soir. Pendant huit ans, il orta la même redingote. Les deux frères s'étaient fait un ami. La maison avait une façade sur la rue Saint-Jacques, et là s'ouvrait une grande ôtisserie, tenue par un digne homme nommé Gavard, dont la femme se mourait de la poitrine, au milieu de l'odeur rasse des volailles. Quand Florent rentrait trop tard pour faire cuire quelque bout de viande, il achetait en bas un orceau de dinde ou un morceau d'oie de douze sous. C'était des jours de grand régal. Gavard finit par s'intéresser à ce arçon maigre, il connut son histoire, il attira le petit. Et bientôt Quenu ne quitta plus la rôtisserie. Dès que son frère artait, il descendait, il s'installait au fond de la boutique, ravi des quatre broches gigantesques qui tournaient avec un ruit doux, devant les hautes flammes claires.   « Il s'installait au fond de la boutique, ravi des 4 broches gigantesques qui tournaient avec un bruit doux, devant les hautes flammes claires. »   Les larges cuivres de la cheminée luisaient, les volailles fumaient, la graisse chantait dans la lèchefrite, les broches finissaient par causer entre elles, par adresser des mots aimables à Quenu, qui, une longue cuiller à la main, arrosait dévotement les ventres dorés des oies rondes et des grandes dindes. Il restait des heures, tout rouge des clartés dansantes de la flambée, un peu abêti, riant vaguement aux grosses bêtes qui cuisaient ; et il ne se réveillait que lorsqu'on débrochait. Les volailles tombaient dans les plats ; les broches sortaient des ventres, toutes fumantes ; les ventres se vidaient, laissant couler le jus par les trous du derrière et de la gorge, emplissant la boutique d'une odeur forte de rôti. Alors, l'enfant, debout, suivant des yeux l'opération, battait des mains, parlait aux volailles, leur disait qu'elles étaient bien bonnes, qu'on les mangerait, que les chats n'auraient que les os. Et il tressautait, quand Gavard lui donnait une tartine de pain, qu'il mettait mijoter dans la lèchefrite, pendant une demi-heure. Ce fut là sans doute que Quenu prit l'amour de la cuisine. Plus tard, après avoir essayé tous les métiers, il revint fatalement aux bêtes qu'on débroche, aux jus qui forcent à se lécher les doigts. Il craignait d'abord de contrarier son frère, petit mangeur parlant des bonnes choses avec un dédain d'homme ignorant. Puis, voyant Florent l'écouter, lorsqu'il lui expliquait quelque plat très compliqué, il lui avoua sa vocation, il entra dans un grand restaurant. Dès lors, la vie des deux frères fut réglée. Ils continuèrent à habiter la chambre de la rue Royer-Collard, où ils se retrouvaient chaque soir : l'un, la face réjouie par ses fourneaux ; l'autre, le visage battu de sa misère de professeur crotté. Florent gardait sa défroque noire, s'oubliait sur les devoirs de ses élèves, tandis que Quenu, pour se mettre à l'aise, reprenait son tablier, sa veste blanche et son bonnet blanc de marmiton, tournant autour du poêle, s'amusant à quelque friandise cuite au four. Et parfois ils souriaient de se voir ainsi, l'un tout blanc, l'autre tout noir. La vaste pièce semblait moitié fâchée, moitié oyeuse, de ce deuil et de cette gaieté. Jamais ménage plus disparate ne s'entendit mieux. L'aîné avait beau maigrir, brûlé ar les ardeurs de son père, le cadet avait beau engraisser, en digne fils de Normand ; ils s'aimaient dans leur mère commune, dans cette femme qui n'était que tendresse. Ils avaient un parent, à Paris, un frère de leur mère, un Gradelle, établi charcutier, rue Pirouette, dans le quartier des Halles. C'était un gros avare, un homme brutal, qui les reçut comme des meurt-de-faim, la première fois qu'ils se présentèrent chez lui. Ils y retournèrent rarement. Le jour de la fête du bonhomme, Quenu lui portait un bouquet, et en recevait une pièce de dix sous. Florent, d'une fierté maladive, souffrait, lorsque Gradelle examinait sa redingote mince, de l'oeil inquiet et soupçonneux d'un ladre qui flaire la demande d'un dîner ou d'une pièce de cent sous. Il eut la naïveté, un jour, de changer chez son oncle un billet de cent francs. L'oncle eut moins peur, en voyant venir les petits, comme il les appelait. Mais les amitiés en restèrent là. Ces années furent pour Florent un long rêve doux et triste. Il goûta toutes les joies amères du dévouement. Au logis, il n'avait que des tendresses. Dehors, dans les humiliations de ses élèves, dans le coudoiement des trottoirs, il se sentait devenir mauvais. Ses ambitions mortes s'aigrissaient. Il lui fallut de longs mois pour plier les épaules et accepter ses souffrances d'homme laid, médiocre et pauvre. Voulant échapper aux tentations de méchanceté, il se jeta en pleine onté idéale, il se créa un refuge de justice et de vérité absolues. Ce fut alors qu'il devint républicain ; il entra dans la épublique comme les filles désespérées entrent au couvent. Et ne trouvant pas une république assez tiède, assez ilencieuse, pour endormir ses maux, il s'en créa une. Les livres lui déplaisaient ; tout ce papier noirci, au milieu duquel il ivait, lui rappelait la classe puante, les boulettes de papier mâché des gamins, la torture des longues heures stériles. Puis, es livres ne lui parlaient que de révolte, le poussaient à l'orgueil, et c'était d'oubli et de paix dont il se sentait l'impérieux esoin. Se bercer, s'endormir, rêver qu'il était parfaitement heureux, que le monde allait le devenir, bâtir la cité épublicaine où il aurait voulu vivre : telle fut sa récréation, l'oeuvre éternellement reprise de ses heures libres. Il ne lisait lus, en dehors des nécessités de l'enseignement ; il remontait la rue Saint-Jacques, jusqu'aux boulevards extérieurs, aisait une grande course parfois, revenait par la barrière d'Italie ; et, tout le long de la route, les yeux sur le quartier ouffetard étalé à ses pieds, il arrangeait des mesures morales, des projets de loi humanitaires, qui auraient changé ette ville souffrante en une ville de béatitude. Quand les journées de février ensanglantèrent Paris, il fut navré, il courut es clubs, demandant le rachat de ce sang « par le baiser fraternel des républicains du monde entier ». Il devint un de ces rateurs illuminés qui prêchèrent la révolution comme une religion nouvelle, toute de douceur et de rédemption. Il fallut es journées de décembre pour le tirer de sa tendresse universelle. Il était désarmé. Il se laissa prendre comme un outon, et fut traité en loup. Quand il s'éveilla de son sermon sur la fraternité, il crevait la faim sur la dalle froide d'une asemate de Bicêtre. Quenu, qui avait alors vingt-deux ans, fut pris d'une angoisse mortelle, en ne voyant pas rentrer son frère. Le lendemain, il alla chercher, au cimetière Montmartre, parmi les morts du boulevard, qu'on avait alignés sous de la paille ; les têtes passaient, affreuses. Le coeur lui manquait, les larmes l'aveuglaient, il dut revenir à deux reprises, le long de la file. Enfin, à la préfecture de police, au bout de huit grands jours, il apprit que son frère était prisonnier. Il ne put le voir. Comme il insistait, on le menaça de l'arrêter lui-même. Il courut alors chez l'oncle Gradelle, qui était un personnage pour lui, espérant le déterminer à sauver Florent. Mais l'oncle Gradelle s'emporta, prétendit que c'était bien fait, que ce grand imbécile n'avait pas besoin de se fourrer avec ces canailles de républicains ; il ajouta même que Florent devait mal tourner, que cela était écrit sur sa figure. Quenu pleurait toutes les larmes de son corps. Il restait là, suffoquant. L'oncle, un peu honteux, sentant qu'il devait faire quelque chose pour ce pauvre garçon, lui offrit de le prendre avec lui. Il le savait bon cuisinier, et avait besoin d'un aide. Quenu redoutait tellement de rentrer seul dans la grande chambre de la rue Royer-Collard qu'il accepta. Il coucha chez son oncle, le soir même, tout en haut, au fond d'un trou noir où il pouvait à peine s'allonger. Il y pleura moins qu'il n'aurait pleuré en face du lit vide de son frère. Il réussit enfin à voir Florent. Mais, en revenant de Bicêtre, il dut se coucher ; une fièvre le tint pendant près de trois semaines dans une somnolence hébétée. Ce fut sa première et sa seule maladie. Gradelle envoyait son républicain de neveu à tous les diables. Quand il connut son départ pour Cayenne, un matin, il tapa dans les mains de Quenu, l'éveilla, lui annonça brutalement cette nouvelle, provoqua une telle crise, que le lendemain le jeune homme était debout. Sa douleur se fondit ; ses chairs molles semblèrent boire ses dernières larmes. Un mois plus tard, il riait, s'irritait, tout triste d'avoir ri ; puis la belle humeur l'emportait, et il riait sans savoir. Il apprit la charcuterie. Il y goûtait plus de jouissances encore que dans la cuisine. Mais l'oncle Gradelle lui disait qu'il ne devait pas trop négliger ses casseroles, qu'un charcutier bon cuisinier était rare, que c'était une chance d'avoir passé ar un restaurant avant d'entrer chez lui. Il utilisait ses talents, d'ailleurs ; il lui faisait faire des dîners pour la ville, le hargeait particulièrement des grillades et des côtelettes de porc aux cornichons. Comme le jeune homme lui rendait de éels services, il l'aima à sa manière, lui pinçant les bras, les jours de belle humeur. Il avait vendu le pauvre mobilier de la ue Royer-Collard, et en gardait l'argent, quarante et quelques francs, pour que ce farceur de Quenu, disait-il, ne le jetât as par les fenêtres. Il finit pourtant par lui donner chaque mois six francs pour ses menus plaisirs. Quenu, serré d'argent, brutalisé parfois, était parfaitement heureux. Il aimait qu'on lui mâchât sa vie. Florent l'avait rop élevé en fille paresseuse. Puis, il s'était fait une amie chez l'oncle Gradelle. Quand celui-ci perdit sa femme, il dut rendre une fille, pour le comptoir. Il la choisit bien portante, appétissante, sachant que cela égaye le client et fait onneur aux viandes cuites ; il connaissait, rue Cuvier, près du jardin des Plantes, une dame veuve, dont le mari avait eu a direction des postes à Plassans, une sous-préfecture du Midi. Cette dame, qui vivait d'une petite rente viagère, très odestement, avait amené de cette ville une grosse et belle enfant, qu'elle traitait comme sa propre fille. Lisa la soignait 'un air placide, avec une humeur égale, un peu sérieuse, tout à fait belle quand elle souriait. Son grand charme venait de a façon exquise dont elle plaçait son rare sourire. Alors, son regard était une caresse, sa gravité ordinaire donnait un prix nestimable à cette science soudaine de séduction. La vieille dame disait souvent qu'un sourire de Lisa la conduirait en nfer. Lorsqu'un asthme l'emporta, elle laissa à sa fille d'adoption toutes ses économies, une dizaine de mille francs. Lisa resta huit jours seule dans le logement de la rue Cuvier ; ce fut là que Gradelle vint la chercher. Il la connaissait pour l'avoir souvent vue avec sa maîtresse, quand cette dernière lui rendait visite, rue Pirouette. Mais, à l'enterrement, elle lui parut si embellie, si solidement bâtie, qu'il alla jusqu'au cimetière. Pendant qu'on descendait le cercueil, il réfléchissait u'elle serait superbe dans la charcuterie. Il se tâtait, se disait qu'il lui offrirait bien trente francs par mois, avec le logement et la nourriture. Lorsqu'il lui fit des propositions, elle demanda vingt-quatre heures pour lui rendre réponse. Puis, un matin, elle arriva avec son petit paquet, et ses dix mille francs, dans son corsage. Un mois plus tard, la maison lui appartenait, Gradelle, Quenu, jusqu'au dernier des marmitons. Quenu, surtout, se serait haché les doigts pour elle. Quand elle venait à sourire, il restait là, riant d'aise lui-même à la regarder. Lisa, qui était la fille aînée des Macquart, de Plassans, avait encore son père. Elle le disait à l'étranger, ne lui écrivait jamais. Parfois, elle laissait seulement échapper que sa mère était, de son vivant, une rude travailleuse, et qu'elle tenait d'elle. Elle se montrait, en effet, très patiente au travail. Mais elle ajoutait que la brave femme avait eu une belle constance de se tuer pour faire aller le ménage. Elle parlait alors des devoirs de la femme et des devoirs du mari, très sagement, d'une façon honnête, qui ravissait Quenu. Il lui affirmait qu'il avait absolument ses idées. Les idées de Lisa étaient que tout le monde doit travailler pour manger ; que chacun est chargé de son propre bonheur ; qu'on fait le mal en encourageant la paresse ; enfin que, s'il y a des malheureux, c'est tant pis pour les fainéants. C'était là une condamnation très nette de l'ivrognerie, des flâneries légendaires du vieux Macquart. Et, à son insu, Macquart parlait haut en elle ; elle n'était qu'une Macquart rangée, raisonnable, logique avec ses besoins de bien-être, ayant compris que la meilleure façon de s'endormir dans une tiédeur heureuse est encore de se faire soi-même un lit de béatitude. Elle donnait à cette couche moelleuse toutes ses heures, toutes ses pensées. Dès l'âge de six ans, elle consentait à rester bien sage sur sa petite chaise, la journée entière, à la condition qu'on la récompenserait d'un gâteau le soir. Chez le charcutier Gradelle, Lisa continua sa vie calme, régulière, éclairée par ses beaux sourires. Elle n'avait pas accepté l'offre du bonhomme à l'aventure ; elle savait trouver en lui un chaperon, elle pressentait peut-être, dans cette boutique sombre de la rue Pirouette, avec le flair des personnes chanceuses, l'avenir solide qu'elle rêvait, une vie de jouissances saines, un travail sans fatigue, dont chaque heure amenât la récompense. Elle soigna son comptoir avec les soins tranquilles qu'elle avait donnés à la veuve du directeur des postes. Bientôt, la propreté des tabliers de Lisa fut proverbiale dans le quartier. L'oncle Gradelle était si content de cette belle fille, qu'il disait parfois à Quenu, en ficelant ses saucissons : -- Si je n'avais pas soixante ans passés, ma parole d'honneur, je ferais la bêtise de l'épouser... C'est de l'or en barre,

« « Il s’installait aufond delaboutique, ravides4broches gigantesques quitournaient avecunbruit doux, devant les hautes flammes claires. »   Les larges cuivres delacheminée luisaient,lesvolailles fumaient, lagraisse chantait danslalèchefrite, lesbroches finissaient parcauser entreelles,paradresser desmots aimables àQuenu, qui,une longue cuilleràla main, arrosait dévotement lesventres dorésdesoies rondes etdes grandes dindes.Ilrestait desheures, toutrouge desclartés dansantes delaflambée, unpeu abêti, riantvaguement auxgrosses bêtesquicuisaient ; etilne seréveillait que lorsqu’on débrochait.

Lesvolailles tombaient danslesplats ; lesbroches sortaient desventres, toutesfumantes ; les ventres sevidaient, laissantcoulerlejus par lestrous duderrière etde lagorge, emplissant laboutique d’uneodeur forte de rôti.

Alors, l’enfant, debout,suivantdesyeux l’opération, battaitdesmains, parlaitauxvolailles, leurdisait qu’elles étaient bienbonnes, qu’onlesmangerait, queleschats n’auraient quelesos.

Etiltressautait, quandGavard luidonnait une tartine depain, qu’ilmettait mijoterdanslalèchefrite, pendantunedemi-heure. Ce fut làsans doute queQuenu pritl’amour delacuisine.

Plustard, après avoiressayé touslesmétiers, ilrevint fatalement auxbêtes qu’on débroche, auxjusqui forcent àse lécher lesdoigts.

Ilcraignait d’aborddecontrarier son frère, petitmangeur parlantdesbonnes chosesavecundédain d’homme ignorant.Puis,voyant Florent l’écouter, lorsqu’il lui expliquait quelqueplattrès compliqué, illui avoua savocation, ilentra dansungrand restaurant.

Dèslors, lavie des deux frères futréglée.

Ilscontinuèrent àhabiter lachambre delarue Royer-Collard, oùilsse retrouvaient chaquesoir : l’un, laface réjouie parsesfourneaux ; l’autre,levisage battudesamisère deprofesseur crotté.Florent gardaitsa défroque noire,s’oubliait surlesdevoirs deses élèves, tandisqueQuenu, poursemettre àl’aise, reprenait sontablier, sa veste blanche etson bonnet blancdemarmiton, tournantautourdupoêle, s’amusant àquelque friandise cuiteaufour. Et parfois ilssouriaient desevoir ainsi, l’untout blanc, l’autre toutnoir.

Lavaste pièce semblait moitiéfâchée, moitié joyeuse, decedeuil etde cette gaieté.

Jamaisménage plusdisparate nes’entendit mieux.L’aînéavaitbeau maigrir, brûlé par lesardeurs deson père, lecadet avaitbeau engraisser, endigne filsdeNormand ; ilss’aimaient dansleurmère commune, danscette femme quin’était quetendresse. Ils avaient unparent, àParis, unfrère deleur mère, unGradelle, établicharcutier, ruePirouette, danslequartier des Halles.

C’étaitungros avare, unhomme brutal,quilesreçut comme desmeurt-de-faim, lapremière foisqu’ils se présentèrent chezlui.Ilsyretournèrent rarement.Lejour delafête dubonhomme, Quenuluiportait unbouquet, eten recevait unepièce dedix sous.

Florent, d’unefiertémaladive, souffrait,lorsqueGradelle examinait saredingote mince,de l’œil inquiet etsoupçonneux d’unladre quiflaire lademande d’undîner oud’une piècedecent sous.

Ileut lanaïveté, un jour, dechanger chezsononcle unbillet decent francs.

L’oncle eutmoins peur,envoyant venirlespetits, comme illes appelait.

Maislesamitiés enrestèrent là. Ces années furentpourFlorent unlong rêve doux ettriste.

Ilgoûta toutes lesjoies amères dudévouement.

Aulogis, il n’avait quedestendresses.

Dehors,dansleshumiliations deses élèves, danslecoudoiement destrottoirs, ilse sentait devenir mauvais.

Sesambitions mortess’aigrissaient.

Illui fallut delongs moispourplierlesépaules etaccepter ses souffrances d’hommelaid,médiocre etpauvre.

Voulant échapper auxtentations deméchanceté, ilse jeta enpleine bonté idéale, ilse créa unrefuge dejustice etde vérité absolues.

Cefut alors qu’ildevint républicain ; ilentra dansla république commelesfilles désespérées entrentaucouvent.

Etne trouvant pasune république asseztiède, assez silencieuse, pourendormir sesmaux, ils’en créa une.

Leslivres luidéplaisaient ; toutcepapier noirci,aumilieu duquel il vivait, luirappelait laclasse puante, lesboulettes depapier mâché desgamins, latorture deslongues heuresstériles.

Puis, les livres neluiparlaient quederévolte, lepoussaient àl’orgueil, etc’était d’oubli etde paix dont ilse sentait l’impérieux besoin.

Sebercer, s’endormir, rêverqu’ilétait parfaitement heureux,quelemonde allaitledevenir, bâtirlacité républicaine oùilaurait vouluvivre : tellefutsarécréation, l’œuvreéternellement reprisedeses heures libres.Ilne lisait plus, endehors desnécessités del’enseignement ; ilremontait larue Saint-Jacques, jusqu’auxboulevards extérieurs, faisait unegrande courseparfois, revenait parlabarrière d’Italie ; et,tout lelong delaroute, lesyeux surlequartier Mouffetard étaléàses pieds, ilarrangeait desmesures morales, desprojets deloihumanitaires, quiauraient changé cette villesouffrante enune ville debéatitude.

Quandlesjournées defévrier ensanglantèrent Paris,ilfut navré, ilcourut les clubs, demandant lerachat decesang « par lebaiser fraternel desrépublicains dumonde entier ».

Ildevint undeces orateurs illuminés quiprêchèrent larévolution commeunereligion nouvelle, toutededouceur etde rédemption.

Ilfallut les journées dedécembre pourletirer desatendresse universelle.

Ilétait désarmé.

Ilse laissa prendre commeun mouton, etfut traité enloup.

Quand ils’éveilla deson sermon surlafraternité, ilcrevait lafaim surladalle froide d’une casemate deBicêtre. Quenu, quiavait alors vingt-deux ans,futpris d’une angoisse mortelle, enne voyant pasrentrer sonfrère.

Le lendemain, ilalla chercher, aucimetière Montmartre, parmilesmorts duboulevard, qu’onavaitalignés sousdelapaille ; les têtes passaient, affreuses.Lecœur luimanquait, leslarmes l’aveuglaient, ildut revenir àdeux reprises, lelong dela file.

Enfin, àla préfecture depolice, aubout dehuit grands jours,ilapprit quesonfrère étaitprisonnier.

Ilne put levoir. Comme ilinsistait, onlemenaça del’arrêter lui-même.

Ilcourut alorschezl’oncle Gradelle, quiétait unpersonnage pour lui, espérant ledéterminer àsauver Florent.

Maisl’oncle Gradelle s’emporta, prétenditquec’était bienfait,quecegrand. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles