Devoir de Philosophie

Le Rouge et Le Noir Mme de Rênal eut bien plus de peine à prouver à Julien que, faisant aux convenances de son mari le sacrifice d'une place de huit cents francs que lui offrait publiquement le directeur du dépôt, il pouvait sans honte accepter un dédommagement.

Publié le 12/04/2014

Extrait du document

Le Rouge et Le Noir Mme de Rênal eut bien plus de peine à prouver à Julien que, faisant aux convenances de son mari le sacrifice d'une place de huit cents francs que lui offrait publiquement le directeur du dépôt, il pouvait sans honte accepter un dédommagement. Mais, disait toujours Julien, jamais je n'ai eu, même pour un instant, le projet d'accepter ces offres. Vous m'avez trop accoutumé à la vie élégante, la grossièreté de ces gens-là me tuerait. La cruelle nécessité, avec sa main de fer, plia la volonté de Julien. Son orgueil lui offrait l'illusion de n'accepter que comme un prêt la somme offerte par le maire de Verrières, et de lui en faire un billet portant remboursement dans cinq ans avec intérêts. Mme de Rênal avait toujours quelques milliers de francs cachés dans la petite grotte de la montagne. Elle les lui offrit en tremblant, et sentant trop qu'elle serait refusée avec colère. Voulez-vous, lui dit Julien, rendre le souvenir de nos amours abominable? Enfin Julien quitta Verrières. M. de Rênal fut bien heureux au moment fatal d'accepter de l'argent de lui, ce sacrifice se trouva trop fort pour Julien. Il refusa net. M. de Rênal lui sauta au cou les larmes aux yeux. Julien lui ayant demandé un certificat de bonne conduite, il ne trouva pas dans son enthousiasme de termes assez magnifiques pour exalter sa conduite. Notre héros avait cinq louis d'économies et comptait demander une pareille somme à Fouqué. Il était fort ému. Mais à une lieue de Verrières, où il laissait tant d'amour, il ne songea plus qu'au bonheur de voir une capitale, une grande ville de guerre comme Besançon. Pendant cette courte absence de trois jours, Mme de Rênal fut trompée par une des plus cruelles déceptions de l'amour. Sa vie était passable, il y avait entre elle et l'extrême malheur cette dernière entrevue qu'elle devait avoir avec Julien. Elle comptait les heures, les minutes qui l'en séparaient. Enfin, pendant la nuit du troisième jour, elle entendit de loin le signal convenu. Après avoir traversé mille dangers, Julien parut devant elle. De ce moment, elle n'eut plus qu'une pensée: "c'est pour la dernière fois que je le vois. "Loin de répondre aux empressements de son ami, elle fut comme un cadavre à peine animé. Si elle se forçait à lui dire qu'elle l'aimait, c'était d'un air gauche qui prouvait presque le contraire. Rien ne put la distraire de l'idée cruelle de séparation éternelle. Le méfiant Julien crut un instant être déjà oublié. Ses mots piqués dans ce sens ne furent accueillis que par de grosses larmes coulant en silence, et des serrements de mains presque convulsifs. Mais, grand Dieu! comment voulez-vous que je vous croie, répondait Julien aux froides protestations de son amie, vous montreriez cent fois plus d'amitié sincère à Mme Derville, à une simple connaissance. Mme de Rênal, pétrifiée, ne savait que répondre. Il est impossible d'être plus malheureuse... j'espère que je vais mourir... je sens mon coeur se glacer... Telles furent les réponses les plus longues qu'il put en obtenir. Quand l'approche du jour vint rendre le départ nécessaire les larmes de Mme de Rênal cessèrent tout à fait. Elle le vit attacher une corde nouée à la fenêtre sans mot dire, sans lui rendre ses baisers. En vain Julien lui disait: CHAPITRE XXIII. CHAGRINS D'UN FONCTIONNAIRE 90 Le Rouge et Le Noir Nous voici arrivés à l'état que vous avez tant souhaité. Désormais vous vivrez sans remords. A la moindre indisposition de vos enfants, vous ne les verrez plus dans la tombe. Je suis fâchée que vous ne puissiez pas embrasser Stanislas, lui dit-elle froidement. Julien finit par être profondément frappé des embrassements sans chaleur de ce cadavre vivant; il ne put penser à autre chose pendant plusieurs lieues. Son âme était navrée, et avant de passer la montagne, tant qu'il put voir le clocher de l'église de Verrières, souvent il se retourna. CHAPITRE XX. UNE CAPITALE Que de bruit, que de gens affairés! que d'idées pour l'avenir dans une tête de vingt ans! quelle distraction pour l'amour! BARNAVE. Enfin il aperçut, sur une montagne lointaine, des murs noirs; c'était la citadelle de Besançon. "Quelle différence pour moi, dit-il en soupirant, si j'arrivais dans cette noble ville de guerre, pour être sous-lieutenant dans un des régiments chargés de la défendre!" Besançon n'est pas seulement une des plus jolies villes de France, elle abonde en gens de coeur et d'esprit. Mais Julien n'était qu'un petit paysan et n'eut aucun moyen d'approcher les hommes distingués. Il avait pris chez Fouqué un habit bourgeois, et c'est dans ce costume qu'il passa les ponts-levis. Plein de l'histoire du siège de 1674, il voulut voir, avant de s'enfermer au séminaire, les remparts et la citadelle. Deux ou trois fois, il fut sur le point de se faire arrêter par les sentinelles il pénétrait dans des endroits que le génie militaire interdit au public, afin de vendre pour douze ou quinze francs de foin tous les ans. La hauteur des murs, la profondeur des fossés, l'air terrible des canons l'avaient occupé pendant plusieurs heures, lorsqu'il passa devant le grand café sur le boulevard. Il resta immobile d'admiration; il avait beau lire le mot café, écrit en gros caractères au-dessus des deux immenses portes, il ne pouvait en croire ses yeux. Il fit effort sur sa timidité; il osa entrer, et se trouva dans une salle longue de trente ou quarante pas, et dont le plafond est élevé de vingt pieds au moins. Ce jour-là, tout était enchantement pour lui. Deux parties de billard étaient en train. Les garçons criaient les points, les joueurs couraient autour des billards encombrés de spectateurs. Des flots de fumée de tabac, s'élançant de la bouche de tous, les enveloppaient d'un nuage bleu. La haute stature de ces hommes, leurs épaules arrondies, leur démarche lourde, leurs énormes favoris, les longues redingotes qui les couvraient, tout attirait l'attention de Julien. Ces nobles enfants de l'antique Bisontium ne parlaient qu'en criant, ils se donnaient les airs de guerriers terribles. Julien admirait immobile; il songeait à l'immensité et à la magnificence d'une grande capitale telle que Besançon. Il ne se sentait nullement le courage de demander une tasse de café à un de ces messieurs au regard hautain, qui criaient les points du billard. Mais la demoiselle du comptoir avait remarqué la charmante figure de ce jeune bourgeois de campagne, qui, arrêté à trois pas du poêle, et son petit paquet sous le bras, considérait le buste du roi, en beau plâtre blanc. Cette demoiselle, grande Franc-comtoise, fort bien faite, et mise comme il le faut pour faire valoir un café, avait déjà dit deux fois, d'une petite voix qui cherchait à n'être entendue que de Julien: Monsieur! monsieur! Julien rencontra de grands yeux bleus fort tendres, et vit que c'était à lui qu'on parlait. CHAPITRE XX. UNE CAPITALE 91

« \24Nous voici arrivés à l'état que vous avez tant souhaité.

Désormais vous vivrez sans remords.

A la moindre indisposition de vos enfants, vous ne les verrez plus dans la tombe. \24Je suis fâchée que vous ne puissiez pas embrasser Stanislas, lui dit-elle froidement. Julien finit par être profondément frappé des embrassements sans chaleur de ce cadavre vivant; il ne put penser à autre chose pendant plusieurs lieues.

Son âme était navrée, et avant de passer la montagne, tant qu'il put voir le clocher de l'église de Verrières, souvent il se retourna. CHAPITRE XX.

UNE CAPITALE Que de bruit, que de gens affairés! que d'idées pour l'avenir dans une tête de vingt ans! quelle distraction pour l'amour! BARNAVE. Enfin il aperçut, sur une montagne lointaine, des murs noirs; c'était la citadelle de Besançon.

"Quelle différence pour moi, dit-il en soupirant, si j'arrivais dans cette noble ville de guerre, pour être sous-lieutenant dans un des régiments chargés de la défendre!" Besançon n'est pas seulement une des plus jolies villes de France, elle abonde en gens de coeur et d'esprit. Mais Julien n'était qu'un petit paysan et n'eut aucun moyen d'approcher les hommes distingués. Il avait pris chez Fouqué un habit bourgeois, et c'est dans ce costume qu'il passa les ponts-levis.

Plein de l'histoire du siège de 1674, il voulut voir, avant de s'enfermer au séminaire, les remparts et la citadelle.

Deux ou trois fois, il fut sur le point de se faire arrêter par les sentinelles il pénétrait dans des endroits que le génie militaire interdit au public, afin de vendre pour douze ou quinze francs de foin tous les ans. La hauteur des murs, la profondeur des fossés, l'air terrible des canons l'avaient occupé pendant plusieurs heures, lorsqu'il passa devant le grand café sur le boulevard.

Il resta immobile d'admiration; il avait beau lire le mot café, écrit en gros caractères au-dessus des deux immenses portes, il ne pouvait en croire ses yeux.

Il fit effort sur sa timidité; il osa entrer, et se trouva dans une salle longue de trente ou quarante pas, et dont le plafond est élevé de vingt pieds au moins.

Ce jour-là, tout était enchantement pour lui. Deux parties de billard étaient en train.

Les garçons criaient les points, les joueurs couraient autour des billards encombrés de spectateurs.

Des flots de fumée de tabac, s'élançant de la bouche de tous, les enveloppaient d'un nuage bleu.

La haute stature de ces hommes, leurs épaules arrondies, leur démarche lourde, leurs énormes favoris, les longues redingotes qui les couvraient, tout attirait l'attention de Julien.

Ces nobles enfants de l'antique Bisontium ne parlaient qu'en criant, ils se donnaient les airs de guerriers terribles. Julien admirait immobile; il songeait à l'immensité et à la magnificence d'une grande capitale telle que Besançon.

Il ne se sentait nullement le courage de demander une tasse de café à un de ces messieurs au regard hautain, qui criaient les points du billard. Mais la demoiselle du comptoir avait remarqué la charmante figure de ce jeune bourgeois de campagne, qui, arrêté à trois pas du poêle, et son petit paquet sous le bras, considérait le buste du roi, en beau plâtre blanc. Cette demoiselle, grande Franc-comtoise, fort bien faite, et mise comme il le faut pour faire valoir un café, avait déjà dit deux fois, d'une petite voix qui cherchait à n'être entendue que de Julien: \24Monsieur! monsieur! Julien rencontra de grands yeux bleus fort tendres, et vit que c'était à lui qu'on parlait.

Le Rouge et Le Noir CHAPITRE XX.

UNE CAPITALE 91. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles