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Bérénice. ACTE II. SCENE II - RACINE

Publié le 12/07/2011

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racine

TITUS. Pour jamais je vais m'en séparer. Mon cœur en ce moment ne vient pas de se rendre. Si je t'ai fait parler, si j'ai voulu t'entendre, Je voulais que ton zèle achevât en secret De confondre un amour qui se tait à regret. Bérénice a longtemps balancé la victoire; Et si je penche enfin du côté de ma gloire, Crois qu'il m'en a coûté, pour vaincre tant d'amour, Des combats dont mon cœur saignera plus d'un jour. J'aimais, je soupirais dans une paix profonde: Un autre était chargé de l'empire du monde; Maître de mon destin, libre dans mes soupirs, Je ne rendais qu'à moi compte de mes désirs. Mais à peine le ciel eut rappelé mon père, Dès que ma triste main eut fermé sa paupière, De mon aimable erreur je fus désabusé: Je sentis le fardeau qui m'était imposé; Je connus que bientôt, loin d'être à ce que j'aime, Il fallait, cher Paulin, renoncer à moi-même; Et que le choix des Dieux, contraire à mes amours, Livrait à l'univers le reste de mes jours. Rome observe aujourd'hui ma conduite nouvelle. Quelle honte pour moi, quel présage pour elle, Si dès le premier pas, renversant tous ses droits, Je fondais mon bonheur sur le débris des lois ! Résolu d'accomplir ce cruel sacrifice, J'y voulus préparer la triste Bérénice; Mais par où commencer? Vingt fois depuis huit jours J'ai voulu devant elle en ouvrir le discours; Et dès le premier mot ma langue embarrassée Dans ma bouche vingt fois a demeuré glacée. J espérais que du moins mon trouble et ma douleur Lui feraient pressentir notre commun malheur; Mais sans me soupçonner, sensible à mes alarmes, Elle m'offre sa main pour essuyer mes larmes, Et ne prévoit rien moins dans cette obscurité Que la fin d'un amour qu'elle a trop mérité. Enfin j'ai ce matin rappelé ma constance: il faut la voir, Paulin, et rompre le silence. J'attends Antiochus pour lui recommander Ce dépôt précieux que je ne puis garder. Jusque dans l'Orient je veux qu'il la remène. Demain Rome avec lui verra partir la Reine. Elle en sera bientôt instruite par ma voix, Et je vais lui parler pour la dernière fois.

L'ensemble. — Bérénice, a-t-on dit, est une « élégie «. La tragédie tout entière repose sur ce mot de Suétone : « Titus, malgré lui, renvoya Bérénice, malgré elle. « C'est donc un drame tout intérieur où la détermination de Titus, qui sacrifie Bérénice à son devoir d'empereur, où la douleur de Bérénice, qui se sacrifie à la volonté de Titus, constituent toutes les péripéties. Racine reconnaît que, dans cette pièce, il a fait « quelque chose de rien «; aussi, toutes les nuances du cœur sont étudiées et mises en valeur, toutes les hésitations, tous les regrets de Titus, sont analysés, ainsi que le montre le fragment cité. On voit là, également, que Racine a su peindre des âmes cornéliennes, chez lesquelles un idéal moral, un devoir d'état, l'emportent sur la passion. Au point de vue historique, ceci nous rappelle que les Romains ne voulaient pas qu'une reine devînt impératrice. C'est ce qui rendit Antoine impopulaire.   

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