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Berr, la Synthèse en histoire (extrait)

Publié le 13/04/2013

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histoire

Philosophe et historien, Henri Berr est un des acteurs essentiels du renouvellement de l’histoire française au début du XXe siècle. Après avoir rédigé une thèse intitulée l’Avenir de la philosophie : esquisse d’une synthèse des connaissances fondées sur l’histoire (1893), il crée la Revue de synthèse historique en 1900, où se rencontrent historiens (L. Febvre), géographes (P. Vidal de la Blache), sociologues (É. Durkheim), économistes (F. Simiand) et psychologues (H. Wallon). Henri Berr prône le rapprochement de ces disciplines naissantes au sein d’une « science compréhensive de l’histoire «, qu’il désigne comme « la synthèse historique «. Cette entreprise novatrice, mais qui reste théorique, annonce la démarche qui sera mise en pratique par les fondateurs de l’école des « Annales « à partir de 1929. L’histoire se doit de devenir la science des sciences, comme l’explique Henri Berr dans le début de sa préface à la Synthèse en histoire, publié en 1911.

La Synthèse en histoire de Henri Berr (préface)

 

C’était jusqu’ici un lieu commun de célébrer les progrès accomplis par les études historiques depuis le début du xixe siècle. Le xixe siècle a été le « siècle de l’histoire «, voilà qui est convenu. Mais le progrès même de l’histoire a posé des problèmes qui ne sont pas résolus. Les sciences de la nature se sont créé des méthodes précises et efficaces ; elles se prêtent un mutuel appui, et leurs résultats se combinent dans des synthèses qui prennent un caractère de plus en plus positif. Les « sciences « historiques sont loin d’être aussi avancées. Leur état précaire, leur empirisme, leur incohérence, a frappé à diverses reprises des penseurs — historiens ou philosophes — qui ont cherché à y remédier. Et, en raison même de l’ardeur avec laquelle elles ont été cultivées, de la place énorme qu’elles occupent dans les livres et dans l’enseignement, des déceptions se manifestent, et voici que se dessine contre elles un mouvement de critique, assez confus et qui dépasse les bornes.

 

 

C’est ainsi qu’en France, on mène, depuis quelque temps, contre l’enseignement supérieur des « lettres « une campagne qui vise principalement l’histoire et ses tendances actuelles(1). Après avoir condamné les formes de l’histoire qui avaient la faveur du public, où celui-ci trouvait son plaisir et parfois son profit, les historiens « scientifiques «, dit-on, ne lui ont donné en échange que des documents, des faits, des monographies, qu’une singerie vaine de la science. Il est naturel que le public les accuse de stérilité, ou tout au moins se désintéresse de leur travail sans résultat et se jette sur des ouvrages que fabriquent, pour lui plaire, des fournisseurs avisés ; naturel que la jeunesse studieuse se détourne elle-même d’études mortes et rebutantes. — Si les adversaires déclarés de la science ou les « amateurs « frivoles de l’histoire étaient seuls à pousser cette attaque, il n’y aurait pas lieu de s’en occuper ; mais des esprits sérieux se mettent de la partie, et on exploite les aveux d’historiens scientifiques pour qui l’histoire ne « mène à rien «. Il y a donc actuellement une sorte de crise, où se traduit l’état inorganique des études historiques.

 

 

Je crois, pour ma part, que ce malaise — qui n’est pas spécial à la France, qui est plus ou moins sensible dans tous les pays de forte culture historique — provient de ce qu’un trop grand nombre d’historiens n’ont jamais réfléchi sur la nature de leur science. Ils établissent des faits parce que tel est leur goût et telle leur aptitude : ils n’ont pas plus réfléchi sur l’histoire que ces profanes qui demandent aux historiens de les distraire. On affirme que c’est parce que l’histoire est trop scientifique, qu’elle est sans contact avec la vie : je suis convaincu que c’est, au contraire, parce qu’elle ne l’est pas suffisamment. […]

 

 

1. J’ai parlé de cette polémique et j’en ai donné la bibliographie dans un article de la Revue de synthèse historique, août 1910, « Au bout de dix ans «. — cf. le volume du cinquantenaire de la Revue, t. LXVII, pp. 17-22.

 

 

Source : Berr (Henri), la Synthèse en histoire, Paris, Albin Michel, 1953.

 

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