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Boule de suif nous.

Publié le 11/04/2014

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Boule de suif nous. Ici, encore, on n'est pas trop malheureux pour le moment, parce qu'ils ne font pas de mal et qu'ils travaillent comme s'ils étaient dans leurs maisons. Voyez-vous, Monsieur, entre pauvres gens, faut bien qu'on s'aide... C'est les grands qui font la guerre." Cornudet, indigné de l'entente cordiale établie entre les vainqueurs et les vaincus, se retira, préférant s'enfermer dans 1'auberge. Loiseau eut un mot pour rire : "Ils repeuplent." M. Carré-Lamadon eut un mot grave : "Ils réparent." Mais on ne trouvait pas le cocher. A la fin on le découvrit dans le café du village attablé fraternellement avec l'ordonnance de l'officier. Le comte l'interpella : "Ne vous avait-on pas donné l'ordre d'atteler pour huit heures ? Ah bien oui, mais on m'en a donné un autre depuis. Lequel ? De ne pas atteler du tout. Qui vous a donné cet ordre ? Ma foi ! le commandant prussien. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Allez lui demander. On me défend d'atteler, moi je n'attelle pas. Voilà. C'est lui-même qui vous a dit cela ? Non, Monsieur : c'est l'aubergiste qui m'a donné l'ordre de sa part. Quand ça ? Hier soir, comme j'allais me coucher." Les trois hommes rentrèrent fort inquiets. On demanda M. Follenvie, mais la servante répondit que Monsieur, à cause de son asthme, ne se levait jamais avant dix heures. Il avait même formellement défendu de le réveiller plus tôt, excepté en cas d'incendie. On voulut voir l'officier, mais cela était impossible absolument, bien qu'il logeât dans l'auberge. M. Follenvie seul était autorisé à lui parler pour les affaires civiles. Alors on attendit. Les femmes remontèrent dans leurs chambres, et des futilités les occupèrent. Cornudet s'installa sous la haute cheminée de la cuisine, où flambait un grand feu. Il se fit apporter là une des petites tables du café, une canette, et il tira sa pipe qui jouissait parmi les démocrates d'une considération presque égale à la sienne, comme si elle avait servi la patrie en servant à Cornudet. C'était une superbe pipe en écume admirablement culottée, aussi noire que les dents de son maître, mais parfumée, recourbée, luisante, familière à sa main, et complétant sa physionomie. Et il demeura immobile, les yeux tantôt fixés sur la flamme du foyer, tantôt sur la mousse qui couronnait sa chope ; et chaque fois qu'il avait bu, il passait d'un air satisfait ses longs doigts maigres dans ses longs cheveux gras, pendant qu'il humait sa moustache frangée d'écume. Boule de suif 13 Boule de suif Loiseau, sous prétexte de se dégourdir les jambes, alla placer du vin aux débitants du pays. Le comte et le manufacturier se mirent à causer politique. Ils prévoyaient l'avenir de la France. L'un croyait aux d'Orléans, l'autre à un sauveur inconnu, un héros qui se révélerait quand tout serait désespéré : un Du Guesclin, une Jeanne d'Arc peut-être ? ou un autre Napoléon Ier ? Ah ! si le prince impérial n'était pas si jeune ! Cornudet, les écoutant, souriait en homme qui sait le mot des destinées. Sa pipe embaumait la cuisine. Comme dix heures sonnaient, M. Follenvie parut. On l'interrogea bien vite ; mais il ne put que répéter deux ou trois fois, sans une variante, ces paroles : "L'officier m'a dit comme ça : "Monsieur Follenvie, vous défendrez qu'on attelle demain la voiture de ces voyageurs. Je ne veux pas qu'ils partent sans mon ordre. Vous entendez. Ca suffit." Alors on voulut voir l'officier. Le comte lui envoya sa carte où M. Carré-Lamadon ajouta son nom et tous ses titres. Le Prussien fit répondre qu'il admettrait ces deux hommes à lui parler quand il aurait déjeuné, c'est-à-dire vers une heure. Les dames reparurent et l'on mangea quelque peu, malgré l'inquiétude. Boule de suif semblait malade et prodigieusement troublée. On achevait le café quand l'ordonnance vint chercher ces messieurs. Loiseau se joignit aux deux premiers ; mais comme on essayait d'entraîner Cornudet pour donner plus de solennité à leur démarche, il déclara fièrement qu'il entendait n'avoir jamais aucun rapport avec les Allemands ; et il se remit dans sa cheminée, demandant une autre canette. Les trois hommes montèrent et furent introduits dans la plus belle chambre de l'auberge, où l'officier les reçut, étendu dans un fauteuil, les pieds sur la cheminée, fumant une longue pipe de porcelaine, et enveloppé par une robe de chambre flamboyante, dérobée sans doute dans la demeure abandonnée de quelque bourgeois de mauvais goût. Il ne se leva pas, ne les salua pas, ne les regarda pas. Il présentait un magnifique échantillon de la goujaterie naturelle au militaire victorieux. Au bout de quelques instants il dit enfin : "Qu'est-ce que fous foulez ?" Le comte prit la parole : "Nous désirons partir, Monsieur. Non. Oserai-je vous demander la cause de ce refus ? Parce que che ne feux pas. Je vous ferai respectueusement observer, Monsieur, que votre général en chef nous a délivré une permission de départ pour gagner Dieppe, et je ne pense pas que nous ayons rien fait pour mériter vos rigueurs. Che ne feux pas... foilà tout... Fous poufez tescentre." S'étant inclinés tous les trois, ils se retirèrent. L'après-midi fut lamentable. On ne comprenait rien à ce caprice d'Allemand, et les idées les plus singulières troublaient les têtes. Tout le monde se tenait dans la cuisine, et l'on discutait sans fin, imaginant des choses invraisemblables. On voulait peut-être les garder Boule de suif 14

« Loiseau, sous prétexte de se dégourdir les jambes, alla placer du vin aux débitants du pays.

Le comte et le manufacturier se mirent à causer politique.

Ils prévoyaient l'avenir de la France.

L'un croyait aux d'Orléans, l'autre à un sauveur inconnu, un héros qui se révélerait quand tout serait désespéré : un Du Guesclin, une Jeanne d'Arc peut-être ? ou un autre Napoléon Ier ? Ah ! si le prince impérial n'était pas si jeune ! Cornudet, les écoutant, souriait en homme qui sait le mot des destinées.

Sa pipe embaumait la cuisine.

Comme dix heures sonnaient, M.

Follenvie parut.

On l'interrogea bien vite ; mais il ne put que répéter deux ou trois fois, sans une variante, ces paroles : "L'officier m'a dit comme ça : "Monsieur Follenvie, vous défendrez qu'on attelle demain la voiture de ces voyageurs.

Je ne veux pas qu'ils partent sans mon ordre. Vous entendez.

Ca suffit." Alors on voulut voir l'officier.

Le comte lui envoya sa carte où M.

Carré-Lamadon ajouta son nom et tous ses titres.

Le Prussien fit répondre qu'il admettrait ces deux hommes à lui parler quand il aurait déjeuné, c'est-à-dire vers une heure.

Les dames reparurent et l'on mangea quelque peu, malgré l'inquiétude.

Boule de suif semblait malade et prodigieusement troublée.

On achevait le café quand l'ordonnance vint chercher ces messieurs.

Loiseau se joignit aux deux premiers ; mais comme on essayait d'entraîner Cornudet pour donner plus de solennité à leur démarche, il déclara fièrement qu'il entendait n'avoir jamais aucun rapport avec les Allemands ; et il se remit dans sa cheminée, demandant une autre canette.

Les trois hommes montèrent et furent introduits dans la plus belle chambre de l'auberge, où l'officier les reçut, étendu dans un fauteuil, les pieds sur la cheminée, fumant une longue pipe de porcelaine, et enveloppé par une robe de chambre flamboyante, dérobée sans doute dans la demeure abandonnée de quelque bourgeois de mauvais goût.

Il ne se leva pas, ne les salua pas, ne les regarda pas.

Il présentait un magnifique échantillon de la goujaterie naturelle au militaire victorieux.

Au bout de quelques instants il dit enfin : "Qu'est-ce que fous foulez ?" Le comte prit la parole : "Nous désirons partir, Monsieur.

\24\24 Non.

\24\24 Oserai-je vous demander la cause de ce refus ? \24\24 Parce que che ne feux pas.

\24\24 Je vous ferai respectueusement observer, Monsieur, que votre général en chef nous a délivré une permission de départ pour gagner Dieppe, et je ne pense pas que nous ayons rien fait pour mériter vos rigueurs.

\24\24 Che ne feux pas...

foilà tout...

Fous poufez tescentre." S'étant inclinés tous les trois, ils se retirèrent.

L'après-midi fut lamentable.

On ne comprenait rien à ce caprice d'Allemand, et les idées les plus singulières troublaient les têtes.

Tout le monde se tenait dans la cuisine, et l'on discutait sans fin, imaginant des choses invraisemblables.

On voulait peut-être les garder Boule de suif Boule de suif 14. »

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