Devoir de Philosophie

C'EST AUX PHILOSOPHES QU'IL APPARTIENT DE GOUVERNER LA CITÉ

Publié le 12/08/2011

Extrait du document

- La loi ne se soucie pas de faire que dans la cité une unique classe bénéficie d'un bonheur privilégié; elle s'emploie au contraire à l'obtenir pour la cité tout entière, en accordant les citoyens par la persuasion comme par la contrainte; elle les dispose à échanger entre eux les services qu'ils sont respectivement à même de rendre à la collectivité, en formant dans la cité des hommes tels, non pour que chacun s'intéresse à ce qu'il veut, mais afin de se servir d'eux, elle-même, pour la coordination des organes de l'Etat. - Tu dis vrai, je l'avais en effet oublié. - Réfléchis donc, ami Glaucon, dis-je, que, de notre part, ce ne sera faire nullement tort à ceux qui seront devenus philosophes à notre école; nous ne leur imposerons rien que de juste, en les obligeant à s'intéresser aux autres et à les protéger. Dans les autres villes, leur dirons-nous, il est normal que les citoyens instruits de la sorte ne prennent pas leur part des soucis de la vie publique. En effet ils se sont formés eux-mêmes. en dehors de l'administration, et c'est juste que celui qui s'est formé lui-même et ne doit son pain à personne se refuse à le rembourser à qui que ce soit. Mais vous, nous vous avons formés pour le reste de la cité autant que pour vous-mêmes, comme dans les ruches les chefs et les rois, en vous donnant une éducation de choix, plus parfaite que celle des autres philosophes et qui vous permette de participer aux deux manières de vivre. Donc à chacun son tour de descendre au séjour du commun des hommes et de s'accoutumer à contempler les ombres, car, l'habitude prise, vous les distinguerez mille fois mieux que le commun et vous saurez identifier chacune de ces images avec ce qu'elles représentent, pour en déduire la vérité en ce qui concerne le beau, le juste et le bien. C'est ainsi que la cité, pour vous comme pour nous, se trouvera gouvernée à l'état de veille et non plus comme en songe; car la plupart des cités le sont maintenant par des hommes qui, en se disputant le pouvoir, se battent entre eux comme des ombres, comme si c'était là quelque grand bien. Et voilà ce qu'est au juste la vérité : quand dans une ville, ce sont ceux qui le désirent le moins qu'on appelle au gouvernement, il se trouve précisément que cette ville est la mieux gouvernée, avec le moins de trouble, et c'est le contraire pour les villes dont les gouvernants sont de sentiment contraire. - C'est absolument vrai, dit-il. - Or nos élèves, selon toi, se déroberont-ils en entendant notre argumentation, et refuseront-ils de travailler à tour de rôle au centre de la cité pour consacrer de préférence entre eux le plus clair de leur temps à la pensée pure? - Impossible, répondit-il; ce sont des esprits justes auxquels nous n'imposons rien que de juste. D'ailleurs, il est bien évident que chacun d'eux ne prendra le pouvoir que par devoir, au contraire de ceux qui actuellement gouvernent dans toute cité. - C'est bien ce qui se passe, camarade, ai-je répliqué. Si tu découvres pour les amateurs de gouvernement une situation meilleure que le pouvoir, tu détiendras le secret pour obtenir une ville bien gouvernée, car c'est dans cette ville seule que gouverneront ceux qui sont réellement riches, non point en or, mais en ce qu'il faut qu'un homme heureux soit riche, autrement dit en capital de vertu et de sagesse. Si des gueux, des individus affamés de biens se lancent dans la politique avec l'idée que c'est là qu'ils feront fortune par le vol, cela ne va pas. Le gouvernement devenant de ce fait objet de rivalité, c'est alors une guerre de l'espèce e domestique et intestine, qui amène leur perte avec celle de toute la cité. - C'est on ne peut plus vrai, fit-il. - Or donc, continuai-je, vois-tu une autre condition qui inspire le mépris du pouvoir, sinon la vraie philosophie? - Que non, par Zeus! s'exclama-t-il. - Eh bien, alors, il faut que ceux qui ne sont pas passionnés de pouvoir s'y consacrent; sinon, c'est la guerre entre des amants rivaux. - C'est indéniable. - Quels hommes donc obligeras-tu à s'occuper de la sauvegarde de la cité, sinon ceux qui connaissent le mieux les moyens propres à la gouverner, et qui, outre cela, se trouvent pourvus d'autres titres honorifiques avec des ressources préférables à celles de la politique? - Ceux-là et pas d'autres, répondit-il.

PLATON. La République, Livre VII, 5. Traduite par F. MILLEPIERRES, Hatier, édit.

- La loi ne se soucie pas de faire que dans la cité une unique classe bénéficie d'un bonheur privilégié; elle s'emploie au contraire à l'obtenir pour la cité tout entière, en accordant les citoyens par la persuasion comme par la contrainte; elle les dispose à échanger entre eux les services qu'ils sont respectivement à même de rendre à la collectivité, en formant dans la cité des hommes tels, non pour que chacun s'intéresse à ce qu'il veut, mais afin de se servir d'eux, elle-même, pour la coordination des organes de l'Etat. - Tu dis vrai, je l'avais en effet oublié. - Réfléchis donc, ami Glaucon, dis-je, que, de notre part, ce ne sera faire nullement tort à ceux qui seront devenus philosophes à notre école; nous ne leur imposerons rien que de juste, en les obligeant à s'intéresser aux autres et à les protéger. Dans les autres villes, leur dirons-nous, il est normal que les citoyens instruits de la sorte ne prennent pas leur part des soucis de la vie publique. En effet ils se sont formés eux-mêmes. en dehors de l'administration, et c'est juste que celui qui s'est formé lui-même et ne doit son pain à personne se refuse à le rembourser à qui que ce soit. Mais vous, nous vous avons formés pour le reste de la cité autant que pour vous-mêmes, comme dans les ruches les chefs et les rois, en vous donnant une éducation de choix, plus parfaite que celle des autres philosophes et qui vous permette de participer aux deux manières de vivre. Donc à chacun son tour de descendre au séjour du commun des hommes et de s'accoutumer à contempler les ombres, car, l'habitude prise, vous les distinguerez mille fois mieux que le commun et vous saurez identifier chacune de ces images avec ce qu'elles représentent, pour en déduire la vérité en ce qui concerne le beau, le juste et le bien. C'est ainsi que la cité, pour vous comme pour nous, se trouvera gouvernée à l'état de veille et non plus comme en songe; car la plupart des cités le sont maintenant par des hommes qui, en se disputant le pouvoir, se battent entre eux comme des ombres, comme si c'était là quelque grand bien. Et voilà ce qu'est au juste la vérité : quand dans une ville, ce sont ceux qui le désirent le moins qu'on appelle au gouvernement, il se trouve précisément que cette ville est la mieux gouvernée, avec le moins de trouble, et c'est le contraire pour les villes dont les gouvernants sont de sentiment contraire. - C'est absolument vrai, dit-il. - Or nos élèves, selon toi, se déroberont-ils en entendant notre argumentation, et refuseront-ils de travailler à tour de rôle au centre de la cité pour consacrer de préférence entre eux le plus clair de leur temps à la pensée pure? - Impossible, répondit-il; ce sont des esprits justes auxquels nous n'imposons rien que de juste. D'ailleurs, il est bien évident que chacun d'eux ne prendra le pouvoir que par devoir, au contraire de ceux qui actuellement gouvernent dans toute cité. - C'est bien ce qui se passe, camarade, ai-je répliqué. Si tu découvres pour les amateurs de gouvernement une situation meilleure que le pouvoir, tu détiendras le secret pour obtenir une ville bien gouvernée, car c'est dans cette ville seule que gouverneront ceux qui sont réellement riches, non point en or, mais en ce qu'il faut qu'un homme heureux soit riche, autrement dit en capital de vertu et de sagesse. Si des gueux, des individus affamés de biens se lancent dans la politique avec l'idée que c'est là qu'ils feront fortune par le vol, cela ne va pas. Le gouvernement devenant de ce fait objet de rivalité, c'est alors une guerre de l'espèce e domestique et intestine, qui amène leur perte avec celle de toute la cité. - C'est on ne peut plus vrai, fit-il. - Or donc, continuai-je, vois-tu une autre condition qui inspire le mépris du pouvoir, sinon la vraie philosophie? - Que non, par Zeus! s'exclama-t-il. - Eh bien, alors, il faut que ceux qui ne sont pas passionnés de pouvoir s'y consacrent; sinon, c'est la guerre entre des amants rivaux. - C'est indéniable. - Quels hommes donc obligeras-tu à s'occuper de la sauvegarde de la cité, sinon ceux qui connaissent le mieux les moyens propres à la gouverner, et qui, outre cela, se trouvent pourvus d'autres titres honorifiques avec des ressources préférables à celles de la politique? - Ceux-là et pas d'autres, répondit-il.

PLATON. La République, Livre VII, 5. Traduite par F. MILLEPIERRES, Hatier, édit.

Liens utiles