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Chapitre 7 Le torrent de la Foïba Il était environ onze heures du soir.

Publié le 01/11/2013

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Chapitre 7 Le torrent de la Foïba Il était environ onze heures du soir. Les nuages orageux commençaient à se résoudre en de violentes averses. À la pluie se mêlaient d'énormes grêlons, qui mitraillaient les eaux de la Foïba et crépitaient sur les roches voisines. Les coups de feu, partis des embrasures du donjon, avaient cessé. À quoi bon user tant de balles contre les fugitifs ! La Foïba ne pouvait rendre que des cadavres, si même elle en rendait ! À peine le comte Sandorf eut-il été plongé dans le torrent, qu'il se sentit irrésistiblement entraîné à travers le Buco. En quelques instants, il passa de l'intense lumière, dont l'électricité emplissait le fond du gouffre, à la plus profonde obscurité. Le mugissement des eaux avait remplacé les éclats de la foudre. L'impénétrable caverne ne laissait plus rien passer des bruits ni des lueurs du dehors. « À moi !... « Ce cri se fit entendre. C'était Étienne Bathory qui l'avait jeté. La froideur des eaux venait de le rappeler à la vie ; mais il ne pouvait se soutenir à leur surface, et il se fût noyé, si un bras vigoureux ne l'eût saisi au moment où il allait disparaître. « Je suis là... Étienne !... Ne crains rien ! « Le comte Sandorf, près de son compagnon, le soulevait d'une main, tandis qu'il nageait de l'autre. La situation était extrêmement critique. Étienne Bathory pouvait à peine s'aider de ses membres, à demi paralysés par le passage du fluide électrique. Si la brûlure de ses mains s'était sensiblement amoindrie au contact de ces froides eaux, l'état d'inertie dans lequel il se trouvait ne lui permettait pas de s'en servir. Le comte Sandorf n'aurait pu l'abandonner un instant, sans qu'il eût été englouti, et pourtant il avait assez de se sauvegarder lui-même. Puis, il y avait cette incertitude complète sur la direction que suivait ce torrent, en quel endroit du pays il aboutissait, en quelle rivière ou en quelle mer il allait se perdre. Quand bien même Mathias Sandorf eût su que cette rivière était la Foïba, sa situation n'aurait pas été moins désespérée, puisqu'on ignore où se déversent ses eaux impétueuses. Des bouteilles fermées, jetées à l'entrée de la caverne, n'avaient jamais reparu en aucun tributaire de la péninsule istrienne, soit qu'elles se fussent brisées dans leur parcours à travers cette sombre substruction, soit que ces masses liquides les eussent entraînées en quelque gouffre de l'écorce terrestre. Cependant, les fugitifs étaient emportés avec une extrême vitesse, - ce qui leur rendait plus facile de se soutenir à la surface de l'eau. Étienne Bathory n'avait plus conscience de son état. Il était comme un corps inerte entre les mains du comte Sandorf. Celui-ci luttait pour deux, mais il sentait bien qu'il finirait par s'épuiser. Aux dangers d'être heurté contre quelque saillie rocheuse, aux flancs de la caverne ou aux pendentifs de la voûte, il s'en joignait de plus grands encore : c'était, surtout, d'être pris dans un de ces tourbillons que formaient de nombreux remous, là où un brusque retour de la paroi brisait et modifiait le courant régulier. Vingt fois, Mathias Sandorf se sentit saisi avec son compagnon dans un de ces suçoirs liquides, qui l'attiraient irrésistiblement par un effet de Maëlstrom. Enlacés alors dans un mouvement giratoire, puis rejetés à la périphérie du tourbillon, comme la pierre au bout d'une fronde, ils ne parvenaient à en sortir qu'au moment où le remous venait à se rompre. Une demi-heure s'écoula dans ces conditions avec la mort probable à chaque minute, à chaque seconde. Mathias Sandorf, doué d'une énergie surhumaine, n'avait pas encore faibli. En somme, il était heureux que son compagnon fût à peu près privé de sentiment. S'il avait eu l'instinct de la conservation, il se serait débattu. Il aurait fallu lutter pour le réduire à l'impuissance. Et alors ou le comte Sandorf eût été forcé de l'abandonner, ou ils se fussent engloutis tous deux. Toutefois, cette situation ne pouvait se prolonger. Les forces de Mathias Sandorf commençaient à s'épuiser sensiblement. En de certains moments, tandis qu'il soulevait la tête d'Étienne Bathory, la sienne s'enfonçait sous la couche liquide. La respiration lui manquait subitement. Il haletait, il étouffait, il avait à se débattre contre un commencement d'asphyxie. Plusieurs fois, même, il dut lâcher son compagnon, dont la tête s'immergeait aussitôt ; mais toujours il parvint à le ressaisir, et cela au milieu de cet entraînement des eaux qui, gonflées en certains points resserrés du canal, déferlaient avec un effroyable bruit. Bientôt le comte Sandorf se sentit perdu. Le corps d'Étienne Bathory lui échappa définitivement. Par un dernier effort, il essaya de le reprendre... Il ne le trouva plus, et luimême s'enfonça dans les nappes inférieures du torrent. Soudain, un choc violent lui déchira l'épaule. Il étendit la main, instinctivement. Ses doigts, en se refermant, saisirent une touffe de racines, qui pendaient dans les eaux. Ces racines étaient celles d'un tronc d'arbre, emporté par le torrent. Mathias Sandorf se cramponna solidement à cette épave, et revint à la surface de la Foïba. Puis, pendant qu'il se retenait d'une main à la touffe, il chercha de l'autre son compagnon. Un instant après, Étienne Bathory était saisi par le bras, et, après de violents efforts, hissé sur le tronc d'arbre, où Mathias Sandorf prit place à son tour. Tous deux étaient momentanément hors de ce danger immédiat d'être noyés, mais liés au sort même de cette épave, livrée aux caprices des rapides du Buco. Le comte Sandorf avait pendant un instant perdu connaissance. Aussi, son premier soin fut-il de s'assurer qu'Étienne Bathory ne pouvait glisser du tronc d'arbre. Par surcroît de précaution, d'ailleurs, il se plaça derrière lui, de manière à pouvoir le soutenir. Ainsi posé, il regardait en avant. Pour le cas où quelque lueur du jour pénétrerait dans la caverne, il serait à même de l'apercevoir et d'observer l'état des eaux à leur sortie d'aval. Mais rien n'indiquait qu'il fût près d'atteindre l'issue de cet interminable canal. Cependant, la situation des fugitifs s'était quelque peu améliorée. Ce tronc d'arbre mesurait une dizaine de pieds dans sa longueur, et ses racines, en s'appuyant sur les eaux, devaient faire obstacle à ce qu'il se retournât brusquement. À moins de chocs violents, sa stabilité paraissait assurée, malgré les dénivellations de la masse liquide. Quant à sa vitesse, elle ne pouvait pas être estimée à moins de trois lieues à l'heure, étant égale à celle du torrent qui l'entraînait. Mathias Sandorf avait repris tout son sang-froid. Il essaya alors de ranimer son compagnon, dont la tête reposait sur ses genoux. Il s'assura que son coeur battait toujours, mais qu'il respirait à peine. Il se pencha sur sa bouche pour insuffler un peu d'air à ses poumons. Peutêtre les premières atteintes de l'asphyxie n'avaient-elles point produit en son organisme d'irréparables désordres ! En effet, Étienne Bathory fit bientôt un léger mouvement. Des expirations plus accentuées entrouvrirent ses lèvres. Enfin, quelques mots s'échappèrent de sa bouche : « Ma femme !... Mon fils !... Mathias ! « C'était toute sa vie qui tenait dans ces mots. « Étienne, m'entends-tu ?... m'entends-tu ? demanda le comte Sandorf, qui dut crier au milieu des mugissements dont le torrent emplissait les voûtes du Buco. - Oui... oui... ! Je l'entends !... Parle !... Parle !... Ta main dans la mienne ! - Étienne, nous ne sommes plus dans un danger immédiat, répondit le comte Sandorf. Une épave nous emporte... Où ?... Je ne puis le dire, mais du moins, elle ne nous manquera pas ! - Mathias, et le donjon ?... - Nous en sommes loin déjà ! On doit croire que nous avons trouvé la mort dans les eaux de ce gouffre, et, certainement on ne peut songer à nous y poursuivre ! En quelque endroit que se déverse ce torrent, mer ou rivière, nous y arriverons, et nous y arriverons vivants ! Que le courage ne t'abandonne pas, Étienne ! Je veille sur toi !

« Toutefois, cettesituation nepouvait seprolonger.

Lesforces deMathias Sandorf commençaient às’épuiser sensiblement.

Ende certains moments, tandisqu’ilsoulevait latête d’Étienne Bathory,lasienne s’enfonçait souslacouche liquide.

Larespiration luimanquait subitement.

Ilhaletait, ilétouffait, ilavait àse débattre contreuncommencement d’asphyxie. Plusieurs fois,même, ildut lâcher soncompagnon, dontlatête s’immergeait aussitôt ;mais toujours ilparvint àle ressaisir, etcela aumilieu decet entraînement deseaux qui,gonflées en certains pointsresserrés ducanal, déferlaient avecuneffroyable bruit. Bientôt lecomte Sandorf sesentit perdu.

Lecorps d’Étienne Bathoryluiéchappa définitivement.

Parundernier effort,ilessaya delereprendre… Ilne letrouva plus,etlui- même s’enfonça danslesnappes inférieures dutorrent. Soudain, unchoc violent luidéchira l’épaule.

Ilétendit lamain, instinctivement.

Sesdoigts, en se refermant, saisirentunetouffe deracines, quipendaient dansleseaux. Ces racines étaient cellesd’untronc d’arbre, emporté parletorrent.

Mathias Sandorfse cramponna solidementàcette épave, etrevint àla surface delaFoïba.

Puis,pendant qu’ilse retenait d’unemainàla touffe, ilchercha del’autre soncompagnon. Un instant après,Étienne Bathory étaitsaisiparlebras, et,après deviolents efforts,hissésurle tronc d’arbre, oùMathias Sandorfpritplace àson tour.

Tousdeux étaient momentanément hors decedanger immédiat d’êtrenoyés, maisliésausort même decette épave, livréeaux caprices desrapides duBuco. Le comte Sandorf avaitpendant uninstant perduconnaissance.

Aussi,sonpremier soinfut-il de s’assurer qu’Étienne Bathorynepouvait glisserdutronc d’arbre.

Parsurcroît deprécaution, d’ailleurs, ilse plaça derrière lui,demanière àpouvoir lesoutenir.

Ainsiposé, ilregardait en avant.

Pourlecas oùquelque lueurdujour pénétrerait danslacaverne, ilserait àmême de l’apercevoir etd’observer l’étatdeseaux àleur sortie d’aval.

Maisrienn’indiquait qu’ilfûtprès d’atteindre l’issuedecet interminable canal. Cependant, lasituation desfugitifs s’étaitquelque peuaméliorée.

Cetronc d’arbre mesurait une dizaine depieds danssalongueur, etses racines, ens’appuyant surleseaux, devaient faire obstacle àce qu’il seretournât brusquement.

Àmoins dechocs violents, sastabilité paraissait assurée, malgrélesdénivellations delamasse liquide.

Quantàsa vitesse, ellenepouvait pas être estimée àmoins detrois lieues àl’heure, étantégale àcelle dutorrent quil’entraînait. Mathias Sandorfavaitrepris toutsonsang-froid.

Ilessaya alorsderanimer soncompagnon, dont latête reposait surses genoux.

Ils’assura quesoncœur battait toujours, maisqu’il respirait àpeine.

Ilse pencha sursabouche pourinsuffler unpeu d’air àses poumons.

Peut- être lespremières atteintesdel’asphyxie n’avaient-elles pointproduit enson organisme d’irréparables désordres ! En effet, Étienne Bathory fitbientôt unléger mouvement.

Desexpirations plusaccentuées entrouvrirent seslèvres.

Enfin,quelques motss’échappèrent desabouche : « Ma femme !… Monfils !… Mathias ! » C’était toutesavie qui tenait danscesmots. « Étienne, m’entends-tu ?… m’entends-tu ?demandalecomte Sandorf, quidut crier aumilieu des mugissements dontletorrent emplissait lesvoûtes duBuco. – Oui… oui… !Jel’entends !… Parle !…Parle !… Tamain danslamienne ! – Étienne, nousnesommes plusdans undanger immédiat, réponditlecomte Sandorf.

Une épave nousemporte… Où ?…Jene puis ledire, mais dumoins, ellenenous manquera pas ! – Mathias, etledonjon ?… – Nous ensommes loindéjà ! Ondoit croire quenous avons trouvé lamort dansleseaux dece gouffre, et,certainement onnepeut songer ànous ypoursuivre ! Enquelque endroitquese déverse cetorrent, merourivière, nousyarriverons, etnous yarriverons vivants !Quele courage net’abandonne pas,Étienne ! Jeveille surtoi !. »

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