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Claude-Edmonde Magny

Publié le 23/04/2011

Extrait du document

« On se blase seulement sur ce qu'on n'a jamais profondément goûté, parce qu'on s'est borné à en jouir passivement, sans cet élan total, cette adhésion créatrice du cœur et de l'esprit qui, derrière le Bizarre, ragoût piquant pour des sens émoussés, saisit la valeur authentique, le Beau, Si les Français du temps de Saint-Evremond se prétendaient fatigués de Corneille, c'est qu'ils n'avaient jamais su en discerner les vrais mérites présents dans Rodogune ou dans Suréna comme dans Horace ou Polyeucte (1). L'idée même que la signification d'une œuvre valable puisse être épuisée après deux ou trois lectures est une idée frivole. Pire que frivole : c'est une idée paresseuse. Ce qui seul s'évanouit rapidement, c'est le divertissement que procure la chose nouvelle. Reste son apport permanent : mais celui-là ne se livre pas sans effort à la jouissance superficielle.    « C'est devenu un lieu commun depuis Bergson — suivi par Proust et même Péguy (2) — de blâmer l'habitude comme émoussant nos plaisirs, encrassant le monde au point de réduire celui-ci à n'offrir plus à notre perception qu'un monotone défilé d'objets sclérosés, connus d'avance, désormais dénués d'intérêt. Pourtant, ce n'est pas l'habitude qui est ici la vraie coupable, mais ce que bien souvent elle entraîne : une attitude passive et comme distraite devant des choses jugées trop familières. L'habitude, lorsqu'elle sait demeurer reconnaissance active, est au contraire à la source de nos plaisirs les plus intenses, poignants, profonds tout à la fois, soustraits qu'ils sont par la répétition à la mortalité immédiate dont l'inexorable durée frappe les expériences uniques ; elle seule peut nous donner ces jouissances non réduites à elles-mêmes, stables et en même temps pleines d'échos, qui, au lieu d'être précairement accrochées à la fugacité de l'instant qui va les anéantir avec soi, ont, pour les enrichir et les assurer, derrière elles toute l'épaisseur du passé, en avant d'elles toutes les promesses de l'avenir. Mais les sensations habituelles n'ont cette profondeur et cette sécurité, cette royale et péremptoire certitude que si nous allons vers elles du même élan, avec la même curiosité que si elles étaient neuves ; bref il faut pour qu'elles restent vivantes que nous leur demeurions actifs, que nous consentions à elles avec la même générosité, le même intérêt passionné que nous accordâmes la première fois à ce qu'elles avaient d'insolite. Si nous sommés distraits devant un plaisir devenu trop fréquent, si notre volonté ne le recrée plus par une adhésion aussi vivâce qu'au premier jour, alorâ saris doute il nous paraîtra usé, sans fraîcheur. Seulement ce n'est pas lui (ou le Monde) qui aura vieilli, mais nous, par notre lassitude et notre paresse devenus un peu plus proches de la mort. «    Claude-Edmonde Magny.    • Vous ferez d'abord, suivant votre préférence, soit un résumé soit une analyse de ce passage. Puis vous choisirez dans ce texte une question à laquelle vous attachez un intérêt particulier, vous en préciserez les données et vous exposerez vos propres vues sur le problème que vous aurez retenu.      (1) Horace date de 1640, Polyeucte de l'année suivante, Rodogune de 1644 et Suréna (dernière tragédie de Corneille) de 1674. En 1677, Saint-Evremond écrit sa Défense de quelques pièces de théâtre de M. Corneille.

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