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CONSEILS À UN JEUNE HOMME

Publié le 12/08/2011

Extrait du document

Selon moi, vous devez obéir en toute chose à la loi générale, sans la discuter, qu'elle blesse ou flatte votre intérêt. Quelque simple que puisse vous paraître ce principe, il est difficile en ses applications; il est comme une sève qui doit s'infiltrer dans les moindres tuyaux capillaires pour vivifier l'arbre, lui conserver sa verdure, développer ses fleurs et bonifier ses fruits si magnifiquement qu'il excite une admiration générale. Cher, les lois ne sont pas toutes écrites dans un livre, les moeurs aussi créent des lois, les plus importantes sont les moins connues; il n'est ni professeurs, ni traités, ni écoles pour ce droit qui régit vos actions, vos discours, votre vie extérieure, la manière de vous présenter au monde ou d'aborder la fortune. Faillir à ces lois secrètes, c'est rester au fond de l'état social, au lieu de le dominer

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En considérant ainsi la société dans laquelle vous voudrez une place en harmonie avec votre intelligence et vos facultés, vous avez donc à poser, comme principe générateur, cette maxime : Ne se rien permettre ni contre sa conscience ni contre la conscience publique. Quoique mon insistance puisse vous sembler superflue, je vous supplie de bien peser les sens de ces deux paroles. Simples en apparence, elles signifient, cher, que la droiture, l'honneur, la loyauté, la politesse sont les instruments les plus sûrs et les plus prompts de votre fortune. Dans ce monde égoïste, une foule de gens vous diront que l'on ne fait pas son chemin par les sentiments, que les considérations morales trop respectées retardent leur marche; vous verrez des hommes mal élevés, malappris ou incapables de toiser l'avenir, froissant un petit, se rendant coupables d'une impolitesse envers une vieille femme, refusant de s'ennuyer un moment avec quelque bon vieillard, sous prétexte qu'ils ne leur sont utiles à rien; plus tard, vous apercevrez ces hommes accrochés à des épines qu'ils n'auront pas épointées, et manquant leur fortune pour un rien; tandis que l'homme rompu de bonne heure à cette théorie des devoirs ne rencontrera point d'obstacles; peut-être arrivera-t-il moins promptement, mais sa fortune sera solide et restera quand celle des autres croulera!

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Quand il vous sera demandé quelque chose que vous ne sauriez faire, refusez net, en ne laissant aucune fausse espérance; puis accordez promptement ce que vous voulez octroyer : vous acquerrez ainsi la grâce du refus et la grâce du bienfait, double loyauté qui relève merveilleusement un caractère. Je ne sais si l'on ne nous en veut pas plus d'un espoir déçu qu'on ne nous sait gré d'une faveur. Surtout, mon ami, car ces petites choses sont bien dans mes attributions, et je puis m'appesantir sur ce que je crois savoir, ne soyez ni confiant, ni banal, ni empressé, trois écueils! La trop grande confiance diminue le respect, la banalité nous vaut le mépris, le zèle nous rend excellents à exploiter.

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Placez vos sentiments purs en des lieux inaccessibles où les fleurs soient passionnément admirées, où l'artiste rêvera presque amoureusement au chef-d'oeuvre. Les devoirs, mon ami, ne sont pas des sentiments. Faire ce qu'on doit n'est pas faire ce qui plaît. Un homme doit aller mourir froidement pour son pays, et peut donner avec bonheur sa vie à une femme. La plupart des jeunes gens perdent leur précieuse fortune, le temps nécessaire pour se créer des relations qui sont la moitié de la vie sociale; comme ils plaisent par eux-mêmes, ils ont peu de chose à faire pour qu'on s'attache à leurs intérêts; mais ce printemps est rapide, sachez le bien employer. Cultivez donc les femmes influentes. Les femmes influentes sont les vieilles femmes; elles vous apprendront les alliances, les secrets de toutes les familles, et les chemins de traverse qui peuvent vous mener rapidement au but. Elles seront à vous de coeur; la protection est leur dernier amour, quand elles ne sont pas dévotes; elles vous serviront merveilleusement, elles vous prôneront et vous rendront désirable. Fuyez les jeunes femmes! Ne croyez pas qu'il y ait le moindre intérêt personnel dans ce que je vous dis. La femme de cinquante ans fera tout pour vous, et la femme de vingt ans rien; celle-ci veut toute votre vie, l'autre ne vous demandera qu'un moment, une attention. Raillez les jeunes femmes, prenez d'elles tout en plaisanterie, elles sont incapables d'avoir une pensée sérieuse. Les jeunes femmes, mon ami, sont égoïstes, petites, sans amitié vraie, elles n'aiment qu'elles, elles vous sacrifieraient à un succès. D'ailleurs, toutes veulent du dévouement, et votre situation exigera qu'on en ait pour vous, deux prétentions inconciliables. Aucune d'elles n'aura l'entente de vos intérêts, toutes penseront à elles et non à vous, toutes vous nuiront plus par leur vanité qu'elles ne vous serviront par leur attachement; elles vous dévoreront sans scrupule votre temps, vous feront manquer votre fortune, vous détruiront de la meilleure grâce du monde. Si vous vous plaignez, la plus sotte d'entre elles vous prouvera que son gant vaut le monde, que rien n'est plus glorieux que de la servir. Toutes vous diront qu'elles donnent le bonheur, et vous feront oublier vos belles destinées : leur bonheur est variable, votre grandeur sera certaine.

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Toute jeune femme qui va dans le monde, qui vit de plaisirs et de vaniteuses satisfactions, est une femme à demi corrompue qui vous corrompra. Là ne sera pas la créature chaste et recueillie dans l'âme de laquelle vous régnerez toujours. Ah! elle sera solitaire, celle qui vous aimera : ses plus belles fêtes seront vos regards, elle vivra de vos paroles. Que cette femme soit donc pour vous le monde entier, car vous serez tout pour elle : aimez-la bien, ne lui donnez ni chagrins, ni rivales, n'excitez pas sa jalousie. Etre aimé, cher, être compris, est le plus grand bonheur; je souhaite que vous le goûtiez, mais ne compromettez pas la fleur de votre âme, soyez bien sûr du coeur où vous placerez vos affections. Cette femme ne sera jamais elle, elle ne devra jamais penser à elle, mais à vous; elle ne vous disputera rien, elle n'entendra jamais ses propres intérêts et saura flairer pour vous un danger là où vous n'en verrez point, là où elle oubliera le sien propre; enfin, si elle souffre, elle souffrira sans se plaindre, elle n'aura point de coquetterie personnelle, mais elle aura comme un respect de ce que vous aimerez en elle. Répondez à cet amour en le surpassant.

H. de BALZAC. Le Lys dans la vallée, 1835.

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