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Dans l'attachement d'un homme à sa vie, il y a quelque chose de plus fort que toutes les misères du monde.

Publié le 04/11/2013

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Dans l'attachement d'un homme à sa vie, il y a quelque chose de plus fort que toutes les misères du monde. e jugement du corps vaut bien celui de l'esprit et le corps recule devant l'anéantissement. Nous prenons l'habitude de vivre avant d'acquérir celle de penser. Dans cette course qui nous précipite tous les jours un peu plus vers la mort, le corps garde cette avance irréparable. Enfin, l'essentiel de cette contradiction réside dans ce que j'appellerai l'esquive parce qu'elle est à la fois moins et plus que le divertissement au sens pascalien. L'esquive mortelle qui fait le troisième thème de cet essai, c'est l'espoir. Espoir d'une autre vie qu'il faut « mériter «, ou tricherie de ceux qui vivent non pour la vie elle-même, mais pour quelque grande idée qui la dépasse, la sublime, lui donne un sens et la trahit. Tout contribue ainsi à brouiller les cartes. Ce n'est pas en vain qu'on a jusqu'ici joué sur les mots et feint de croire que refuser un sens à la vie conduit forcément à déclarer qu'elle ne vaut pas la peine d'être vécue, En vérité, il n'y a aucune mesure forcée entre ces deux jugements. Il faut seulement refuser de se laisser égarer par les confusions, les divorces et les inconséquences jusqu'ici signalés. Il faut tout écarter et aller droit au vrai problème. On se tue parce que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue, voilà une vérité sans doute - inféconde cependant parce qu'elle est truisme. Mais est-ce que cette insulte à l'existence, ce démenti où on la plonge vient de ce qu'elle n'a point de sens ? Est-ce que son absurdité exige qu'on lui échappe, par l'espoir ou le suicide, voilà ce qu'il faut mettre à jour, poursuivre et illustrer en écartant tout le reste. L'absurde commande-t-il la mort, il faut donner à ce problème le pas sur les autres, en dehors de toutes les méthodes de pensée et des jeux de l'esprit désintéressé. Les nuances, les contradictions, la psychologie qu'un esprit « objectif « sait toujours introduire dans tous les problèmes, n'ont pas leur place dans cette recherche et cette passion. Il y faut seulement une pensée injuste, c'est-à-dire logique. Cela n'est pas facile. Il est toujours aisé d'être logique. Il est presque impossible d'être logique jusqu'au bout. Les hommes qui meurent de leurs propres mains suivent ainsi jusqu'à sa fin la pente de leur sentiment. La réflexion sur le suicide me donne alors l'occasion de poser le seul problème qui m'intéresse : y a-t-il une logique jusqu'à la mort ? Je ne puis le savoir qu'en poursuivant sans passion désordonnée, dans la seule lumière de l'évidence, le raisonnement dont j'indique ici l'origine. C'est ce que j'appelle un raisonnement absurde. Beaucoup l'ont commencé. Je ne sais pas encore s'ils s'y sont tenus. Lorsque Karl Jaspers, révélant l'impossibilité de constituer le monde en unité, s'écrie : « Cette limitation me conduit à moi-même, là où je ne me retire plus derrière un point de vue objectif que je ne fais que représenter, là où ni moi-même ni l'existence d'autrui ne peut plus devenir objet pour moi «, il évoque après bien d'autres ces lieux déserts et sans eau où la pensée arrive à ses confins. Après bien d'autres, oui sans doute, mais combien pressés d'en sortir ! A ce dernier tournant où la pensée vacille, beaucoup d'hommes sont arrivés et parmi les plus humbles. Ceux-là abdiquaient alors ce qu'ils avaient de plus cher qui était leur vie. D'autres, princes parmi l'esprit, ont abdiqué aussi, mais c'est au suicide de leur pensée, dans sa révolte la plus pure, qu'ils ont procédé. Le véritable effort est de s'y tenir au contraire, autant que cela est possible et d'examiner de près la végétation baroque de ces contrées éloignées. La ténacité et la clairvoyance sont des spectateurs privilégiés pour ce jeu inhumain où l'absurde, l'espoir et la mort échangent leurs répliques. Cette danse à la fois élémentaire et subtile, l'esprit peut alors en analyser les figures avant de les illustrer et de les revivre lui-même.       Le mythe de Sisyphe. Essai sur l'absurde. (1942)   Un raisonnement absurde   LES MURS ABSURDES       etour à la table des matières Comme les grandes oeuvres, les sentiments profonds signifient toujours plus qu'ils n'ont conscience de e dire. La constance d'un mouvement ou d'une répulsion dans une âme se retrouve dans des habitudes de faire ou de penser, se poursuit dans des conséquences que l'âme elle-même ignore. Les grands sentiments promènent avec eux leur univers, splendide ou misérable. Ils éclairent de leur passion un monde exclusif où ils retrouvent leur climat. Il y a un univers de la jalousie, de l'ambition, de l'égoïsme ou de la générosité. Un univers, c'est-à-dire une métaphysique et une attitude d'esprit. Ce qui est vrai de sentiments déjà spécialisés le sera plus encore pour des émotions à leur base aussi indéterminées à la fois aussi confuses et aussi « certaines «, aussi lointaines et aussi « présentes « que celles que nous donne le beau ou que uscite, l'absurde. Le sentiment de l'absurdité au détour de n'importe quelle rue peut frapper à la face de n'importe quel homme. Tel quel, dans sa nudité désolante, dans sa lumière sans rayonnement, il est insaisissable. Mais cette difficulté même mérite réflexion. Il est probablement vrai qu'un homme nous demeure à jamais inconnu et qu'il y a toujours en lui quelque chose d'irréductible qui nous échappe. Mais pratiquement, je connais les hommes et je les reconnais à leur conduite, à l'ensemble de leurs actes, aux conséquences que leur passage suscite dans la vie. De même tous ces sentiments irrationnels sur lesquels l'analyse ne saurait voir de prise, je puis pratiquement les définir, pratiquement les apprécier, à réunir la somme de leurs conséquences dans l'ordre de l'intelligence, à saisir et à noter tous leurs visages, à retracer leur univers. l est certain qu'apparemment, pour avoir vu cent fois le même acteur, je ne l'en connaîtrai personnellement pas mieux. Pourtant si je fais la somme des héros qu'il a incarnés et si je dis que je le connais un peu plus au centième personnage recensé, on sent qu'il y aura là une part de vérité. Car ce paradoxe apparent est aussi un apologue. Il a une moralité. Elle enseigne qu'un homme se définit aussi bien par ses comédies que par ses élans sincères. Il en est ainsi, un ton plus bas, des sentiments, inaccessibles dans le coeur, mais partiellement trahis par les actes qu'ils animent et les attitudes d'esprit qu'ils supposent. On sent bien qu'ainsi je définis une méthode. Mais on sent aussi que cette méthode est d'analyse et non de connaissance. Car les méthodes impliquent des métaphysiques, elles trahissent à leur insu les conclusions qu'elles prétendent parfois ne pas encore connaître. Ainsi les dernières pages d'un livre sont déjà dans les premières. Ce noeud est inévitable. La méthode définie ici confesse le sentiment que toute vraie connaissance, est impossible. Seules les apparences peuvent se dénombrer et le climat se faire sentir. Cet insaisissable sentiment de l'absurdité, peut-être alors pourrons-nous l'atteindre dans les mondes différents mais fraternels, de l'intelligence, de l'art de vivre ou de l'art tout court. Le climat de l'absurdité est au commencement. La fin, c'est l'univers absurde et cette attitude d'esprit qui éclaire le monde sous un jour qui lui est propre, pour en faire resplendir le visage privilégié et implacable qu'elle sait

«       Lemythe deSisyphe. Essai surl’absurde.

(1942)   Un raisonnement absurde  LESMURS ABSURDES       Retour àla table desmatièresComme lesgrandes œuvres, lessentiments profondssignifient toujoursplusqu'ils n'ontconscience de le dire.

Laconstance d'unmouvement oud'une répulsion dansuneâme seretrouve dansdeshabitudes de faire oude penser, sepoursuit dansdesconséquences quel'âme elle-même ignore.Lesgrands sentiments promènent aveceuxleur univers, splendide oumisérable.

Ilséclairent deleur passion unmonde exclusif où ils retrouvent leurclimat.

Ilyaun univers delajalousie, del'ambition, del'égoïsme oude lagénérosité. Un univers, c'est-à-dire unemétaphysique etune attitude d'esprit.

Cequi est vrai desentiments déjà spécialisés lesera plusencore pourdesémotions àleur base aussi indéterminées àla fois aussi confuses et aussi « certaines », aussilointaines etaussi « présentes » quecelles quenous donne lebeau ouque suscite, l'absurde. Le sentiment del'absurdité audétour den'importe quelleruepeut frapper àla face den'importe quel homme.

Telquel, danssanudité désolante, danssalumière sansrayonnement, ilest insaisissable.

Mais cette difficulté mêmemérite réflexion.

Ilest probablement vraiqu'un homme nousdemeure àjamais inconnu etqu'il yatoujours enlui quelque chosed'irréductible quinous échappe.

Mais pratiquement , je connais leshommes etjeles reconnais àleur conduite, àl'ensemble deleurs actes, auxconséquences que leur passage suscitedanslavie.

Demême touscessentiments irrationnels surlesquels l'analyse nesaurait avoir deprise, jepuis pratiquement les définir, pratiquement les apprécier, àréunir lasomme deleurs conséquences dansl'ordre del'intelligence, àsaisir etànoter tousleurs visages, àretracer leurunivers. Il est certain qu'apparemment, pouravoir vucent foislemême acteur, jene l'en connaîtrai personnellement pasmieux.

Pourtant sije fais lasomme deshéros qu'ilaincarnés etsije dis que jele connais unpeu plus aucentième personnage recensé,onsent qu'ilyaura làune part devérité.

Carce paradoxe apparentestaussi unapologue.

Ilaune moralité.

Elleenseigne qu'unhomme sedéfinit aussibien par sescomédies queparsesélans sincères.

Ilen est ainsi, unton plus bas, dessentiments, inaccessibles dans lecœur, maispartiellement trahisparlesactes qu'ilsaniment etles attitudes d'espritqu'ils supposent.

Onsent bienqu'ainsi jedéfinis uneméthode.

Maisonsent aussi quecette méthode est d'analyse etnon deconnaissance.

Carlesméthodes impliquent desmétaphysiques, ellestrahissent àleur insu lesconclusions qu'ellesprétendent parfoisnepas encore connaître.

Ainsilesdernières pagesd'un livre sontdéjà dans lespremières.

Cenœud estinévitable.

Laméthode définieiciconfesse lesentiment que toute vraieconnaissance, estimpossible.

Seuleslesapparences peuventsedénombrer etleclimat se faire sentir. Cet insaisissable sentimentdel'absurdité, peut-êtrealorspourrons-nous l'atteindredanslesmondes différents maisfraternels, del'intelligence, del'art devivre oude l'art toutcourt.

Leclimat de l'absurdité estaucommencement.

Lafin, c'est l'univers absurdeetcette attitude d'espritquiéclaire le monde sousunjour quiluiest propre, pourenfaire resplendir levisage privilégié etimplacable qu'ellesait. »

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