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Emile AJAR (1914-1980). La vie devant soi (extrait)

Publié le 22/03/2011

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   La première chose que je1 peux vous dire c'est qu'on habitait au sixième à pied et que pour Mme Rosa, avec tous ces kilos qu'elle portait sur elle et seulement deux jambes, c'était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines. Elle nous le rappelait chaque fois qu'elle ne se plaignait pas d'autre part, car elle était également juive. Sa santé n'était pas bonne non plus et je peux vous dire aussi dès le début que c'était une femme qui aurait mérité un ascenseur.    Je devais avoir trois ans quand j'ai vu Mme Rosa pour la première fois. Avant, on n'a pas de mémoire et on vit dans l'ignorance. J'ai cessé d'ignorer à l'âge de trois ans ou quatre ans et parfois ça me manque.    Il y avait beaucoup d'autres juifs, Arabes et Noirs à Belleville , mais Mme Rosa était obligée de grimper les six étages seule. Elle disait qu'un jour elle allait mourir dans l'escalier, et tous les mômes se mettaient à pleurer parce que c'est ce qu'on fait toujours quand quelqu'un meurt. On était tantôt six ou sept tantôt même plus là-dedans.    Au début, je ne savais pas que Mme Rosa s'occupait de moi seulement pour toucher un mandat à la fin du mois. Quand je l'ai appris, j'avais déjà six ou sept ans et ça m'a fait un coup de savoir que j'étais payé. Je croyais que Mme Rosa m'aimait pour rien et qu'on était quelqu'un l'un pour l'autre. J'en ai pleuré toute une nuit et c'était mon premier grand chagrin.    Vous vous efforcerez de montrer à quel point ce texte, où se mêlent lucidité, sensibilité et humour, est original.    1. Je : Mohammed, dit « Momo « est un jeune Algérien d'une dizaine d'années « confié « dès son plus jeune âge à Mme Rosa par des parents qu'il n'a jamais revus.  2. Belleville est un quartier de Paris.   

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