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Et m'ame Cointreau, sans lui faire de réponse, rentrait fièrement dans la grande boulangerie dont elle était la patronne.

Publié le 04/11/2013

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Et m'ame Cointreau, sans lui faire de réponse, rentrait fièrement dans la grande boulangerie dont elle était la patronne. Les boutiquières et les concierges, naguère assidues autour de sa voiture verdoyante et fleurie, maintenant se détournaient de lui. Parvenu à la cordonnerie de l'Ange-Gardien, qui est le point où commencèrent ses aventures judiciaires, il appela: "M'ame Bayard, m'ame Bayard, vous me devez quinze sous de l'autre fois." ais m'ame Bayard, qui siégeait à son comptoir, ne daigna pas tourner la tête. oute la rue Montmartre savait que le père Crainquebille sortait de prison, et toute la rue Montmartre ne le connaissait lus. Le bruit de sa condamnation était parvenu jusqu'au faubourg et à l'angle tumultueux de la rue Richer. Là, vers midi, il aperçut madame Laure, sa bonne et fidèle cliente, penchée sur la voiture du petit Martin. Elle tâtait un gros chou. Ses cheveux brillaient au soleil comme d'abondants fils d'or largement tordus. Et le petit Martin, un pas grand-chose, un sale coco, lui jurait, la main sur son coeur, qu'il n'y avait pas plus belle marchandise que la sienne. A ce spectacle le coeur de Crainquebille se déchira. Il poussa sa voiture sur celle du petit Martin et dit à Mme Laure, d'une voix plaintive et brisée: "C'est pas bien de me faire des infidélités." Mme Laure, comme elle le reconnaissait elle-même, n'était pas duchesse. Ce n'est pas dans le monde qu'elle VI. CRAINQUEBILLE DEVANT L'OPINION 12 Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables s'était fait une idée du panier à salade et du Dépôt. Mais on peut être honnête dans tous les états, pas vrai? Chacun a son amour-propre, et l'on n'aime pas avoir affaire à un individu qui sort de prison. Aussi ne répondit-elle à Crainquebille qu'en simulant un haut-le-coeur. Et le vieux marchand ambulant, ressentant l'affront, hurla: "Dessalée! va!" Mme Laure en laissa tomber son chou vert et s'écria: "Eh! va donc, vieux cheval de retour! Ça sort de prison, et ça insulte les personnes!" Crainquebille, s'il avait été de sang-froid, n'aurait jamais reproché à Mme Laure sa condition. Il savait trop qu'on ne fait pas ce qu'on veut dans la vie, qu'on ne choisit pas son métier, et qu'il y a du bon monde partout. Il avait coutume d'ignorer sagement ce que faisaient chez elles les clientes, et il ne méprisait personne. Mais il était hors de lui. Il donna par trois fois à Mme Laure les noms de dessalée, de charogne et de roulure. Un cercle de curieux se forma autour de Mme Laure et de Crainquebille, qui échangèrent encore plusieurs injures aussi solennelles que les premières, et qui eussent égrené tout du long leur chapelet, si un agent soudainement apparu ne les avait, par son silence et son immobilité, rendus tout à coup aussi muets et immobiles que lui. Ils se séparèrent. Mais cette scène acheva de perdre Crainquebille dans l'esprit du faubourg Montmartre et de la rue Richer. VII. LES CONSÉQUENCES Et le vieil homme allait marmonnant: Pour sûr que c'est une morue. Et même y a pas plus morue que cette femme-là." Mais dans le fond de son coeur, ce n'est pas de cela qu'il lui faisait un reproche. Il ne la méprisait pas d'être ce qu'elle était. Il l'en estimait plutôt, la sachant économe et rangée. Autrefois ils causaient tous deux volontiers ensemble. Elle lui arlait de ses parents qui habitaient la campagne. Et ils formaient tous deux le même voeu de cultiver un petit jardin et 'élever des poules. C'était une bonne cliente. De la voir acheter des choux au petit Martin, un sale coco, un pas grand-chose, il en avait reçu un coup dans l'estomac ; et quand il l'avait vue faisant mine de le mépriser, la moutarde lui avait monté au nez, et dame! Le pis, c'est qu'elle n'était pas la seule qui le traitât comme un galeux. Personne ne voulait plus le connaître. Tout comme Mme Laure, Mme Cointreau la boulangère, Mme Bayard de l'Ange-Gardien le méprisaient et le repoussaient. Toute la société, quoi. Alors! parce qu'on avait été mis pour quinze jours à l'ombre, on n'était plus bon seulement à vendre des poireaux! Est-ce que c'était juste? Est-ce qu'il y avait du bon sens à faire mourir de faim un brave homme parce qu'il avait eu des difficultés avec les flics? S'il ne pouvait plus vendre ses légumes, il n'avait plus qu'à crever. Comme le vin mal traité, il tournait à l'aigre. Après avoir eu "des mots" avec Mme Laure, il en avait maintenant avec tout le monde. Pour un rien, il disait leur fait aux chalandes, et sans mettre de gants, je vous prie de le croire. Si elles tâtaient un peu longtemps la marchandise, il les appelait proprement râleuses et purées ; pareillement chez le troquet, il engueulait les camarades. Son ami, le marchand de marrons, qui ne le reconnaissait plus, déclarait que ce sacré père Crainquebille était un vrai porc-épic. On ne peut le nier: il devenait incongru, mauvais coucheur, mal embouché, fort en gueule. C'est que, trouvant la société imparfaite, il avait moins de facilité qu'un professeur de l'École des sciences morales et politiques à exprimer ses idées sur les vices du système et sur les réformes nécessaires, et que ses pensées ne se déroulaient pas dans sa tête VII. LES CONSÉQUENCES 13 Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables avec ordre et mesure. Le malheur le rendait injuste. Il se revanchait sur ceux qui ne lui voulaient pas de mal et quelquefois sur de plus faibles que lui. Une fois, il donna une gifle à Alphonse, le petit du marchand de vin, qui lui avait demandé si l'on était bien à l'ombre. Il le gifla et lui dit: Sale gosse! c'est ton père qui devrait être à l'ombre au lieu de s'enrichir à vendre du poison." cte et parole qui ne lui faisaient pas honneur, car, ainsi que le marchand de marrons le lui remontra justement, on ne oit pas battre un enfant, ni lui reprocher son père, qu'il n'a pas choisi. l s'était mis à boire. Moins il gagnait d'argent, plus il buvait d'eau-de-vie. Autrefois économe et sobre, il s'émerveillait ui-même de ce changement. J'ai jamais été fricoteur, disait-il. Faut croire qu'on devient moins raisonnable en vieillissant." arfois il jugeait sévèrement son inconduite et sa paresse: Mon vieux Crainquebille, t'es plus bon que pour lever le coude." arfois il se trompait lui-même et se persuadait qu'il buvait par besoin: Faut comme ça, de temps en temps, que je boive un verre pour me donner des forces et pour me rafraîchir. ûr que j'ai quelque chose de brûlé dans l'intérieur. Et il y a encore que la boisson comme rafraîchissement." ouvent il lui arrivait de manquer la criée matinale et il ne se fournissait plus que de marchandise avariée qu'on lui livrait crédit. Un jour, se sentant les jambes molles et le coeur las, il laissa sa voiture dans la remise et passa toute la sainte ournée à tourner autour de l'étal de madame Rose, la tripière, et devant tous les troquets des Halles. Le soir, assis sur un anier, il songea, et il eut conscience de sa déchéance. Il se rappela sa force première et ses antiques travaux, ses longues atigues et ses gains heureux, ses jours innombrables, égaux et pleins ; les cent pas, la nuit, sur le carreau des Halles, en ttendant la criée ; les légumes enlevés par brassées et rangés avec art dans la voiture, le petit noir de la mère Théodore valé tout chaud d'un coup, au pied levé, les brancards empoignés solidement ; son cri, vigoureux comme le chant du coq, échirant l'air matinal, sa course par les rues populeuses, toute sa vie innocente et rude de cheval humain, qui, durant un emi-siècle, porta, sur son étal roulant, aux citadins brûlés de veilles et de soucis, la fraîche moisson des jardins potagers. t secouant la tête il soupira: Non! j'ai plus le courage que j'avais. Je suis fini. Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse. Et puis, depuis mon ffaire en justice, je n'ai plus le même caractère. Je suis plus le même homme, quoi!" nfin il était démoralisé. Un homme dans cet état-là, autant dire que c'est un homme par terre et incapable de se relever. ous les gens qui passent lui pilent dessus. VIII. LES DERNIERES CONSÉQUENCES La misère vint, la misère noire. Le vieux marchand ambulant, qui rapportait autrefois du faubourg Montmartre les pièces de cent sous à plein sac, maintenant n'avait plus un rond. C'était l'hiver. Expulsé de sa soupente, il coucha sous des charrettes, dans une remise. Les pluies étant tombées pendant vingt-quatre jours, les égouts débordèrent et la remise fut inondée. Accroupi dans sa voiture, au-dessus des eaux empoisonnées, en compagnie des araignées, des rats et des VIII. LES DERNIERES CONSÉQUENCES 14 Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables chats faméliques, il songeait dans l'ombre. N'ayant rien mangé de la journée et n'ayant plus pour se couvrir les sacs du marchand de marrons, il se rappela les deux semaines durant lesquelles le gouvernement lui avait donné le vivre et le couvert. Il envia le sort des prisonniers, qui ne souffrent ni du froid ni de la faim, et il lui vint une idée: "Puisque je connais le truc, pourquoi que je m'en servirais pas?" Il se leva et sortit dans la rue. Il n'était guère plus de onze heures. Il faisait un temps aigre et noir. Une bruine tombait, plus froide et plus pénétrante que la pluie. De rares passants se coulaient au ras des murs. Crainquebille longea l'église Saint-Eustache et tourna dans la rue Montmartre. Elle était déserte. Un gardien de la paix se tenait planté sur le trottoir, au chevet de l'église, sous un bec de gaz, et l'on voyait, autour de la flamme, tomber une petite pluie rousse. L'agent la recevait sur son capuchon, il avait l'air transi, mais soit qu'il préférât la lumière à l'ombre, soit qu'il fût las de marcher, il restait sous son candélabre, et peut-être s'en faisait-il un compagnon, un ami. Cette flamme tremblante était son seul entretien dans la nuit solitaire. Son immobilité ne paraissait pas tout à fait humaine ; le reflet de ses bottes sur le trottoir mouillé, qui semblait un lac, le prolongeait intérieurement et lui donnait de loin l'aspect d'un monstre amphibie, à demi sorti des eaux. De plus près, encapuchonné et armé, il avait l'air monacal et militaire. Les gros traits de son visage, encore grossis par l'ombre du capuchon, étaient paisibles et tristes. Il avait une moustache épaisse, courte et grise. C'était un vieux sergot, un homme d'une quarantaine d'années. Crainquebille s'approcha doucement de lui et, d'une voix hésitante et faible, lui dit: "Mort aux vaches!" Puis il attendit l'effet de cette parole consacrée. Mais elle ne fut suivie d'aucun effet. Le sergot resta immobile et muet, les bras croisés sous son manteau court. Ses yeux, grands ouverts et qui luisaient dans l'ombre, regardaient Crainquebille avec tristesse, vigilance et mépris.

« que lui.Une fois, ildonna unegifle àAlphonse, lepetit dumarchand devin, quiluiavait demandé sil'on était bienà l'ombre.

Ille gifla etlui dit: "Sale gosse! c'esttonpère quidevrait êtreàl'ombre aulieu des'enrichir àvendre dupoison." Acte etparole quineluifaisaient pashonneur, car,ainsi quelemarchand demarrons lelui remontra justement, onne doit pasbattre unenfant, nilui reprocher sonpère, qu'iln'apas choisi. Il s'était misàboire.

Moins ilgagnait d'argent, plusilbuvait d'eau−de−vie.

Autrefoiséconome etsobre, ils'émerveillait lui−même decechangement. "J'ai jamais étéfricoteur, disait−il.Fautcroire qu'ondevient moinsraisonnable envieillissant." Parfois iljugeait sévèrement soninconduite etsa paresse: "Mon vieuxCrainquebille, t'esplus bonquepour lever lecoude." Parfois ilse trompait lui−même etse persuadait qu'ilbuvait parbesoin: "Faut comme ça,detemps entemps, quejeboive unverre pourmedonner desforces etpour merafraîchir. Sûr que j'aiquelque chosedebrûlé dansl'intérieur.

Etilya encore quelaboisson commerafraîchissement." Souvent illui arrivait demanquer lacriée matinale etilne sefournissait plusquedemarchandise avariéequ'onluilivrait à crédit.

Unjour, sesentant lesjambes mollesetlecoeur las,illaissa savoiture danslaremise etpassa toutelasainte journée àtourner autourdel'étal demadame Rose,latripière, etdevant touslestroquets desHalles.

Lesoir, assis surun panier, ilsongea, etileut conscience desadéchéance.

Ilse rappela saforce première etses antiques travaux,seslongues fatigues etses gains heureux, sesjours innombrables, égauxetpleins ;les cent pas,lanuit, surlecarreau desHalles, en attendant lacriée ;les légumes enlevésparbrassées etrangés avecartdans lavoiture, lepetit noirdelamère Théodore avalé toutchaud d'uncoup, aupied levé, lesbrancards empoignés solidement ;son cri,vigoureux commelechant ducoq, déchirant l'airmatinal, sacourse parlesrues populeuses, toutesavie innocente etrude decheval humain, qui,durant un demi−siècle, porta,surson étal roulant, auxcitadins brûlésdeveilles etde soucis, lafraîche moisson desjardins potagers. Et secouant latête ilsoupira: "Non! j'aiplus lecourage quej'avais.

Jesuis fini.

Tant valacruche àl'eau qu'àlafin elle secasse.

Etpuis, depuis mon affaire enjustice, jen'ai plus lemême caractère.

Jesuis plus lemême homme, quoi!" Enfin ilétait démoralisé.

Unhomme danscetétat−là, autantdirequec'est unhomme parterre etincapable deserelever. Tous lesgens quipassent luipilent dessus. VIII. LESDERNIERES CONSÉQUENCES La misère vint,lamisère noire.Levieux marchand ambulant, quirapportait autrefoisdufaubourg Montmartre lespièces de cent sous àplein sac,maintenant n'avaitplusunrond.

C'était l'hiver.

Expulsé desasoupente, ilcoucha sousdes charrettes, dansuneremise.

Lespluies étanttombées pendantvingt−quatre jours,leségouts débordèrent etlaremise fut inondée. Accroupi danssavoiture, au−dessus deseaux empoisonnées, encompagnie desaraignées, desrats etdes VIII.

LES DERNIERES CONSÉQUENCES 14 Crainquebille, Putois,Riquetetplusieurs autresrécitsprofitables chatsfaméliques, ilsongeait dansl'ombre.

N'ayantrien mangé delajournée etn'ayant pluspour secouvrir lessacs dumarchand demarrons, ilse rappela lesdeux semaines durant lesquelles legouvernement luiavait donné levivre etlecouvert.

Ilenvia lesort desprisonniers, quinesouffrent ni du froid nide lafaim, etillui vint une idée: "Puisque jeconnais letruc, pourquoi quejem'en servirais pas?" Il se leva etsortit danslarue.

Iln'était guèreplusdeonze heures.

Ilfaisait untemps aigreetnoir.

Unebruine tombait, plus froide etplus pénétrante quelapluie.

Derares passants secoulaient auras des murs. Crainquebille longeal'église Saint−Eustache ettourna danslarue Montmartre.

Elleétait déserte.

Ungardien delapaix se tenait planté surletrottoir, auchevet del'église, sousunbec degaz, etl'on voyait, autour delaflamme, tomberune petite pluierousse.

L'agent larecevait surson capuchon, ilavait l'airtransi, maissoitqu'il préférât lalumière àl'ombre, soit qu'il fûtlasdemarcher, ilrestait soussoncandélabre, etpeut−être s'enfaisait−il uncompagnon, unami.

Cette flamme tremblante étaitsonseul entretien danslanuit solitaire.

Sonimmobilité neparaissait pastout àfait humaine ;le reflet deses bottes surletrottoir mouillé, quisemblait unlac, leprolongeait intérieurement etlui donnait deloin l'aspect d'un monstre amphibie, àdemi sortideseaux. De plus près, encapuchonné etarmé, ilavait l'airmonacal etmilitaire.

Lesgros traits deson visage, encore grossispar l'ombre ducapuchon, étaientpaisibles ettristes.

Ilavait unemoustache épaisse,courteetgrise. C'était unvieux sergot, unhomme d'unequarantaine d'années. Crainquebille s'approchadoucement deluiet, d'une voixhésitante etfaible, luidit: "Mort auxvaches!" Puis ilattendit l'effetdecette parole consacrée.

Maisellenefut suivie d'aucun effet.Lesergot restaimmobile etmuet, les bras croisés soussonmanteau court.Sesyeux, grands ouverts etqui luisaient dansl'ombre, regardaient Crainquebille avec tristesse, vigilanceetmépris.. »

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