Devoir de Philosophie

François Villon : « Je plains le temps de ma jeunesse... »

Publié le 29/08/2012

Extrait du document

villon

 

 

François Villon

 

Je plains le temps de ma jeunesse,

Auquel j’ai plus qu’autre gallé

Jusqu’à l’entrée de vieillesse,

Qui son partement m’a celé.

Il ne s’en est à pied allé,

N’à cheval ; hélas ! comment donc ?

Soudainement s’en est volé,

Et ne m’a laissé quelque don.

 

Allé s’en est, et je demeure

Pauvre de sens et de savoir,

Triste, failli, plus noir que meure,

Qui n’ai ni cens, rente, n’avoir ;

Des miens le moindre, je dis voir,

De me désavouer s’avance,

Oubliant naturel devoir,

Par faute d’un peu de chevance.

 

Si ne crains avoir dépendu

Par friander ni par lécher ;

Par trop aimer n’ai rien vendu

Qu’amis me puissent reprocher,

Au moins qui leur coûte moult cher.

Je le dis et ne crois médire ;

De ce me puis-je revancher :

Qui n’a méfait ne le doit dire.

 

Bien est verté que j’ai aimé

Et aimeraie volontiers ;

Mais triste cœur, ventre affamé

Qui n’est rassasié au tiers

M’ôte des amoureux sentiers.

Au fort, quelqu’un s’en récompense

Qui est rempli sur les chantiers !

Car la danse vient de la panse.

 

Hé ! Dieu, si j’eusse étudié

Au temps de ma jeunesse folle

Et à bonnes mœurs dédié,

J’eusse maison et couche molle !

Mais quoi ? Je fuyaie l’école,

Comme fait le mauvais enfant.

En écrivant cette parole,

À peu que le cœur ne me fend.

 

Le dit du sage trop lui fis

Favorable (bien en puis mais !)

Qui dit : « Éjouis-toi, mon fils,

En ton adolescence « ; mais

Ailleurs sert bien d’un autre mes,

Car « Jeunesse et adolescence «

C’est son parler, ni moins ni mais,

« Ne sont qu’abus et ignorance. «

 

Mes jours s’en sont allés errant

Comme, dit Job, d’une touaille

Font les filets, quand tisserand

En son poing tient ardente paille :

Lors s’il y a nul bout qui saille,

Soudainement il le ravit.

Si ne crains plus que rien m’assaille,

Car à la mort tout s’assouvit.

 

Où sont les gracieux galants

Que je suivais au temps jadis,

Si bien chantants, si bien parlants,

Si plaisants en faits et en dits ?

Les aucuns sont morts et raidis,

D’eux n’est-il plus rien maintenant :

Repos aient en Paradis,

Et Dieu sauve le remenant !

 

Et les autres sont devenus,

Dieu merci ! grands seigneurs et maîtres ;

Les autres mendient tous nus

Et pains ne voient qu’aux fenêtres ;

Les autres sont entrés en cloîtres

De Célestins et de Chartreux,

Bottés, houssés, comm’ pêcheurs d’huîtres.

Voyez l’état divers d’entre eux.

 

Aux grands maîtres Dieu doit bien faire,

Vivants en paix et en recoi ;

En eux il n’y a que refaire,

Et s’en fait bon taire tout coi.

Mais aux pauvres qui n’ont de quoi,

Comme moi, Dieu donne patience !

Aux autres ne faut qui ni quoi,

Car assez ont pain et pitance.

 

Bons vins ont, souvent embrochés,

Sauces, brouets, et gros poissons,

Tartes, flans, œufs frits et pochés,

Perdus et en toutes façons.

Pas ne ressemblent les maçons,

Que servir faut à si grand peine :

Ils ne veulent nuls échansons,

De soi verser chacun se peine.

 

En cet incident me suis mis

Qui de rien ne sert à mon fait ;

Je ne suis juge, ni commis

Pour punir n’absoudre méfait :

De tous suis le plus imparfait,

Loué soit le doux Jésus Christ !

Que par moi leur soit satisfait !

Ce que j’ai écrit est écrit.

 

Laissons le moutier où il est ;

Parlons de chose plus plaisante :

Cette matière à tous ne plaît,

Ennuyeuse est et déplaisante.

Pauvreté, chagrine, dolente,

Toujours, dépiteuse et rebelle,

Dit quelque parole cuisante ;

S’elle n’ose, si la pense elle.

 

Pauvre je suis de ma jeunesse,

De pauvre et de petite extrace ;

Mon père n’eut onc grand richesse,

Ni son aïeul nommé Horace ;

Pauvreté tous nous suit et trace.

Sur les tombeaux de mes ancêtres,

Les âmes desquels Dieu embrasse !

On n’y voit couronnes ni sceptres.

 

De pauvreté me guermantant,

Souventes fois me dit le coeur :

« Homme, ne te doulouse tant

Et ne démène tel douleur :

Si tu n’as tant qu’eut Jacques Cœur,

Mieux vaux vivre sous gros bureau

Pauvre, qu’avoir été seigneur

Et pourrir sous riche tombeau. «

 

Qu’avoir été seigneur ! ... Que dis ?

Seigneur, las ! et ne l’est-il mais ?

Selon les davitiques dits

Son lieu ne connaîtras jamais.

Quant du surplus, je m’en démets :

Il n’appartient à moi pécheur ;

Aux théologiens le remets,

Car c’est office de prêcheur.

 

Si ne suis, bien le considère,

Fils d’ange portant diadème

D’étoile ni d’autre sidère.

Mon père est mort, Dieu en ait l’âme !

Quant est du corps, il gît sous lame.

J’entends que ma mère mourra,

Et le sait bien, la pauvre femme,

Et le fils pas ne demourra.

 

Je connais que pauvres et riches,

Sages et fous, prêtres et lais,

Nobles, vilains, larges et chiches,

Petits et grands, et beaux et laids,

Dames à rebrasser collets,

De quelconque condition,

Portant atours et bourrelets,

Mort saisit sans exception.

 

Et meure Pâris ou Hélène,

Quiconque meurt, meurt à douleur

Telle qu’il perd vent et haleine ;

Son fiel se crève sur son cœur,

Puis sue, Dieu sait quelle sueur !

Et n’est qui de ses maux l’allège :

Car enfant n’a, frère ni sœur,

Qui lors voulsist être son plège.

 

La mort le fait frémir, pâlir,

Le nez courber, les veines tendre,

Le col enfler, la chair mollir,

Jointes et nerfs croître et étendre.

Corps féminin, qui tant est tendre,

Poli, souef, si précieux,

Te faudra il ces maux attendre ?

Oui, ou tout vif aller aux cieux.

Liens utiles