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Georges BALANDIER, Le désordre

Publié le 21/06/2012

Extrait du document

 

Éditions Fayard, 1988.

Il fut un temps où les civilisations, les cultures, considérées dans leur

forme générale, étaient partagées selon la place qu'elles accordaient

ou qu'elles refusaient au mouvement et au désordre. Apolliniennes,

elles privilégiaient l'ordre, la mesure, l'harmonie, et tout ce qui portait

menace revêtait l'aspect du mal ou de la catastrophe. Dionysiennes,

elles plaçaient l'accent sur la fécondité du désordre, l'excès et

l'effervescence, elles associaient le mouvement aux forces de vie, et son

épuisement en un ordre figé à la mort. Deux grandes figures de la destinée,

mais un trop simple partage : les civilisations et les cultures naissent

du désordre et se développent comme ordre, elles sont vivantes

par l'un et l'autre, elles les portent tous deux en elles, bien que leurs

aspects particuliers manifestent l'importance très inégale qu'elles leur

attribuent respectivement, en général et au gré de variations soumises

« RÉSUMÉ.

QUESTIONS DE VOCABULAIRE.

DISCUSSION.

aux conjonctures ou aux circonstances.

Dans les sociétés de la tradi­ tion, le mythe dit l'ordre, mais à partir du chaos, du désordre qu'il contribue à ordonner et à maîtriser sans fin.

Avec l'irruption des moder­ nités au cours de la longue histoire des civilisations et des sociétés occi­ dentales, des figures et des thèmes nouveaux apparaissent, tous liés au mouvement, au dépassement.

L'idée faustienne 1 est celle d'une force sans cesse en action contre les obstacles ; la lutte devient l'essence même de la vie ; sans elle, l'existence personnelle est dépourvue de sens, et seules les valeurs les plus ordinaires peuvent être atteintes ; l'homme faustien se forme dans l'affrontement et ses aspirations refusent les limites, elles sont infinies.

Avec l'idée prométhéenne- celle qui servit à qualifier les sociétés entreprenantes et accumulatrices -, ce qui est désigné, c'est la capacité de l'homme de se libérer collectivement de ce.

qui le tient en soumission, et notamment les dieux, la capacité d'accé­ der à la maîtrise et possession du monde par sa propre entreprise, ses techniques et ses arts.

C'est la rupture qui substitue à un ordre déjà là, gouverné par une puissance extérieure et pour cette raison hétéronome 2 , un ordre à faire et dont la réalisation s'interprète comme progrès.

Avec la figure de Don Juan se trouve exalté le refus indivi­ duel de tout ordre ; c'est l'élévation de la transgression à l'état de valeur suprême, fût-ce au prix de la vengeance divine.

La séduction sans bor­ nes, le libertinage et les contre-conduites se traduisent en défi porté jusqu'au risque extrême -la mort: ultime affrontement dans lequel la liberté absolue de l'individu est confrontée à la Loi, au Comman­ deur, [ ...

].Trois figures mythiques qui, à travers des métamorphoses effectuées au cours des siècles, expriment l'inépuisable confrontation de l'ordre et du désordre, de la nécessité et de la liberté, de la violence fondatrice et de la violence ravageuse, l'impossible victoire totale de l'un des deux termes.

[ ...

] La gestion du mouvement, et donc du désordre, ne peut se réduire à une action défensive, à une opération de restauration, à un jeu d'appa­ rences qui n'imposerait des effets d'ordre qu'en surface.

Plus encore que dans les périodes paisibles, elles est une conquête, une création cons­ tante que des valeurs jeunes, une éthique nouvelle et largement parta­ gée, orientent.

Ce qui implique de donner toutes ses chances à ce qui est porteur de vie et non à ce qui relève d'un fonctionnement mécani­ que, à la société civile et non aux appareils.

Je retouve ici une conclu­ sion déjà proposée naguère : faire participer de façon continue le grand nombre des acteurs sociaux aux définitions- toujours à reprendre­ de la société, reconnaître la nécessité de leur présence en ces lieux où se forment les choix qui la produisent et où s'engendrent les éléments de sa signification.

Autrement dit, faire l'éloge du mouvement, dissi­ per les craintes qu'il inspire, et, surtout, ne jamais consentir à exploi­ ter la peur confuse qu'il nourrit.

1.

Faust : personnage mythique qui incarne la volonté désespérée de connaître.

2.

Hétéronome : qui obéit à une loi extérieure.. »

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