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I 28 août.

Publié le 15/12/2013

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I 28 août. Le sentier longeait la falaise. Il était bordé de calamines en fleur et de brouillouses un peu passées dont les étales noircis jonchaient le sol. Des insectes pointus avaient creusé le sol de mille petits trous ; sous les pieds, c'était comme de l'éponge morte de froid. Jacquemort avançait sans se presser et regardait les calamines dont le coeur rouge sombre battait au soleil. À chaque pulsation, un nuage de pollen s'élevait, puis retombait sur les feuilles agitées d'un lent tremblement. istraites, des abeilles vaquaient. Du pied de la falaise s'élevait le bruit doux et rauque des vagues. S'arrêtant, Jacquemort se pencha sur l'étroit ebord qui le séparait du vide. En bas, tout était très loin, à pic, et de l'écume tremblait dans le creux des roches omme une gelée de juillet. Cela sentait l'algue braisée. Pris de vertige, Jacquemort s'agenouilla sur l'herbe terreuse de l'été, toucha le sol de ses deux mains étendues ; rencontrant dans ce geste des crottes de bique aux ontours bizarrement irréguliers, il conclut à la présence, parmi ces animaux, d'un bouc de Sodome dont il royait pourtant l'espèce disparue. Maintenant, il avait moins peur et il osa de nouveau s'incliner sur la falaise. Les grands pans de roc rouge ombaient à la verticale dans l'eau peu profonde, d'où ils ressortaient presque aussitôt pour donner lieu à une alaise rouge sur la crête de laquelle Jacquemort, à genoux, se penchait. Des récifs noirs émergeaient de place en place, huilés par le ressac et couronnés d'un anneau de vapeur. Le oleil corrodait la surface de la mer et la salissait de graffiti obscènes. Jacquemort se releva, reprit sa marche. Le chemin tournait. À gauche il vit des fougères déjà marquées de roux et des bruyères en fleur. Sur les rocs dénudés brillaient des cristaux de sel apportés par le chasse-marée. Le ol, vers l'intérieur du pays, s'élevait en pente escarpée. Le sentier contournait des masses brutales de granit noir, jalonné, par places, de nouvelles crottes de bique. De biques, point. Les douaniers les tuaient, à cause des crottes. Il accéléra l'allure, et se trouva brusquement dans l'ombre, car les rayons du soleil ne parvenaient plus à le suivre. Soulagé par la fraîcheur, il allait encore plus vite. Et les fleurs de calamines passaient en ruban de feu continu devant ses yeux. À de certains signes, il reconnut qu'il approchait et prit le soin de mettre en ordre sa barbe rousse et effilée. Puis, il repartit allègrement. Un instant, la Maison lui apparut tout entière entre deux pitons de granit, taillés par l'érosion en forme de sucette et qui encadraient le sentier comme les piliers d'une poterne géante. Le chemin tournait à nouveau, il la perdit de vue. Elle était assez loin de la falaise, tout en haut. Lorsqu'il passa entre les deux blocs sombres, elle se démasqua entièrement, très blanche, entourée d'arbres insolites. Une ligne claire se détachait du portail, serpentait paresseusement sur le coteau et rejoignait, à bout de course, le sentier. Jacquemort s'y engagea. Arrivé presque en haut de la côte, il se mit à courir car il entendait les cris. Du portail grand ouvert au perron de la maison une main prévoyante avait tendu un ruban de soie rouge. Le ruban montait l'escalier, aboutissait à la chambre. Jacquemort le suivit. Sur le lit, la mère reposait, en proie aux cent treize douleurs de l'enfantement. Jacquemort laissa tomber sa trousse de cuir, releva ses manches et se savonna les mains dans une auge de lave brute. II Seul dans sa chambre, Angel s'étonnait de ne pas souffrir. Il entendait sa femme gémir à côté, mais ne pouvait aller lui tenir les mains parce qu'elle le menaçait de son revolver. Elle préférait crier sans personne, car elle haïssait son gros ventre et ne voulait pas qu'on la vît dans cet état. Depuis deux mois, Angel restait seul en attendant que tout fût terminé ; il méditait sur des sujets infimes. Il tournait aussi en rond assez souvent, ayant appris par des reportages que les prisonniers tournent comme des bêtes, mais quelles ? Il dormait et tâchait de dormir en pensant aux fesses de sa femme, car, vu le ventre, il préférait penser à elle de dos. Une nuit sur deux, il se réveillait en sursaut. Le mal, en général, était fait et cela n'avait rien de satisfaisant. Les pas de Jacquemort résonnèrent dans l'escalier. En même temps, les cris de la femme cessèrent et Angel resta frappé de stupeur. S'approchant doucement de la porte, il essaya de voir, mais le pied du lit lui masquait tout le reste et il se tordit douloureusement l'oeil droit sans résultat appréciable. Il se redressa et tendit l'oreille, à personne en particulier. III Jacquemort reposa le savon sur le bord de l'auge et saisit la serviette-éponge. Il s'essuya les mains, ouvrit sa trousse. De l'eau grouillait non loin de là, dans un vase électrique. Jacquemort y stérilisa son doigtier, le doigta habilement et découvrit la femme pour voir de quoi il retournait. Ayant vu, il se redressa et dit d'un ton dégoûté : - Il y en a trois. - Trois..., murmura la mère, étonnée. Puis elle se remit à hurler car son ventre lui rappelait soudain qu'elle y avait très mal. Jacquemort prit dans sa trousse quelques pilules de fortifiant et les avala, il en aurait besoin. Puis, décrochant une bassinoire, il en donna un grand coup par terre pour faire monter la valetaille. Il entendit courir en bas, puis attaquer l'escalier. La nurse apparut, vêtue de blanc comme pour un enterrement chinois. - Préparez les appareils, dit Jacquemort. Comment vous appelez-vous ? - J'm'appelle Culblanc, M'sieur, répondit-elle avec un fort accent campagnard. - J'aime mieux ne pas vous appeler, dans ce cas, grogna Jacquemort. La fille ne dit rien et se mit à astiquer des machins nickelés. Il s'approcha du lit. Soudain la femme se tut. La douleur la violait. Jacquemort saisit un outil dans sa trousse et, d'une main experte, rasa le pubis. Puis, d'un trait de peinture blanche, il circonscrivit le champ opératoire. La nurse le regardait faire, un peu stupéfaite car ses connaissances en obstétrique n'allaient guère au-delà du vêlage. - Avez-vous un Larousse médical ! demanda Jacquemort en rangeant son pinceau. Ceci dit et fait, il se pencha sur son oeuvre et souffla sur la peinture pour qu'elle sèche plus vite. - J'ai que le Catalogue général de la Manufacture française d'armes et cycles de Saint-Étienne, répondit la nurse. - C'est embêtant, dit Jacquemort. Ça nous renseignerait peut-être. Sans écouter la réponse, il laissa errer ses yeux au hasard de la pièce et son regard tomba sur la porte derrière laquelle Angel s'ennuyait. - Qui s'ennuie derrière cette porte ? demanda-t-il. - C'est Monsieur..., répondit la nurse. Il est enfermé. À ce moment, la mère sortit de sa torpeur et poussa une série de cris suraigus. Ses poings se crispaient et se décontractaient. Jacquemort se tourna vers la nurse : - Vous avez un bassin ? demanda-t-il. - J'm'en vais en chercher un, répondit la nurse. - Remuez-vous, créature stupide, dit Jacquemort. Vous voulez donc qu'elle nous gâte une paire de draps ? Elle sortit en trombe et Jacquemort l'entendit avec satisfaction se casser la figure dans l'escalier. Il s'approcha de la femme. Tendrement, il caressa le visage épouvanté. Elle lui saisit le poignet de ses deux mains crispées. - Vous voulez voir votre mari ? demanda-t-il. - Oh ! oui, répondit-elle. Mais donnez-moi d'abord le revolver, dans l'armoire... Jacquemort hocha la tête. La nurse revint, munie d'un baquet ovale à éplucher les chiens. - C'est tout ce que j'ai, dit-elle. Faut vous en accommoder. - Aidez-moi à le lui glisser sous les reins, dit Jacquemort. - Le bord est coupant, remarqua la nurse. - Apparemment, opina l'autre, on les punit de cette façon-là. - Ça n'a pas de sens, marmonna la nurse. Elle n'a rien fait de mal. - Et qu'est-ce qu'elle a fait de bien ? Le dos épaissi de la mère reposait sur le bord du baquet plat.

« II Seul dans sachambre, Angels’étonnait dene pas souffrir.

Ilentendait safemme gémiràcôté, mais ne pouvait allerluitenir lesmains parcequ’elle lemenaçait deson revolver.

Ellepréférait criersanspersonne, car elle haïssait songros ventre etne voulait pasqu’on lavît dans cetétat.

Depuis deuxmois, Angel restait seulen attendant quetout fûtterminé ; ilméditait surdes sujets infimes.

Iltournait aussienrond assez souvent, ayant appris pardes reportages quelesprisonniers tournentcommedesbêtes, maisquelles ? Ildormait ettâchait de dormir enpensant auxfesses desafemme, car,vuleventre, ilpréférait penseràelle dedos.

Une nuitsurdeux, il se réveillait ensursaut.

Lemal, engénéral, étaitfaitetcela n’avait riendesatisfaisant. Les pasdeJacquemort résonnèrent dansl’escalier.

Enmême temps, lescris delafemme cessèrent etAngel resta frappé destupeur.

S’approchant doucementdelaporte, ilessaya devoir, mais lepied dulitlui masquait tout lereste etilse tordit douloureusement l’œildroit sansrésultat appréciable.

Ilse redressa ettendit l’oreille, à personne enparticulier.. »

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