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J. M. G. Le Clezio, Désert (Lalla Hawa, fille du désert, connaît l'exil des immigrés dans un quartier misérable de Marseille avant de devenir le modèle favori d'un photographe de mode qui la rend célèbre. Celui-ci sait toutefois qu'un jour elle repartira vers le désert).

Publié le 30/03/2011

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clezio

Chaque fois que son regard rencontre celui de Hawa, cela lui fait un pincement au cœur, et c'est pour cela qu'il se hâte de prendre des photos, toujours davantage de photos. Il avance, il recule, il change d'appareil, il met un genou par terre. Lalla se moque de lui : « On dirait que tu danses. «

Il voudrait se mettre en colère, mais c'est impossible. Il essuie son front mouillé de sueur, son arcade sourcilière qui glisse contre le viseur. Puis, tout d'un coup, Lalla sort du champ de lumière, parce qu'elle est fatiguée d'être photographiée. Elle s'en va. Lui, pour ne pas ressentir le vide, va continuer à la regarder encore pendant des heures, dans la nuit du laboratoire improvisé dans la salle de bains de sa chambre d'hôtel, attendant en comptant les coups de son cœur que le beau visage apparaisse dans le bac d'acide, surtout le regard, la lumière profonde qui jaillit des yeux obliques, la lumière couleur d'ombre. Du plus loin, comme si quelqu'un d'autre, de secret, regardait par ces pupilles, jugeait en silence. Et puis ce qui vient ensuite, lentement, pareil à un nuage qui se forme, le front, la ligne des pommettes hautes, le grain de la peau cuivrée, usée par le soleil et par le vent. Il y a quelque chose de secret en elle, qui se dévoile au hasard sur le papier, quelque chose qu'on peut voir, mais jamais posséder, même si on prenait des photographies à chaque seconde de son existence, jusqu'à la mort. Il y a le sourire aussi, très doux, un peu ironique, qui creuse les coins des lèvres, qui rétrécit les yeux obliques. C'est tout cela que le photographe voudrait prendre, avec ses appareils de photo, puis faire renaître dans l'obscurité de son laboratoire. Quelquefois, il a l'impression que cela va apparaître réellement, le sourire, la lumière des yeux, la beauté des traits. Mais cela ne dure qu'un très bref instant. Sur la feuille de papier plongée dans l'acide, le dessin bouge, se modifie, se trouble, se couvre d'ombre, et c'est comme si l'image effaçait la personne en train de vivre. J. M. G. Le Clezio, Désert, 1980. Sans dissocier l'étude de la forme de celle du fond vous ferez de ce texte un commentaire composé. Par exemple, vous pourrez montrer l'intérêt de ce portrait féminin tel qu'il se révèle progressivement aux yeux du photographe.

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