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Jacques RIGAUD. La créativité dans la société industrielle. (La Culture pour vivre, Gallimard)

Publié le 22/03/2011

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culture

   La créativité est l'ensemble des forces qui poussent l'être à affirmer sa personnalité propre dans une action créatrice, de quelque nature qu'elle soit. On peut poser en principe que tout être humain est doté d'un potentiel minimum de créativité. C'est un sujet sur lequel il est facile d'ironiser en raison de son caractère vague. En vérité, ce sont nos idées qui sont vagues, et flou le regard que nous portons sur une réalité fourmillante, qui montre la permanence et la force de ce besoin créatif de l'homme. L'une des caractéristiques de la culture populaire de type rationnel est précisément cette incitation très répandue à la création personnelle, à l'affirmation de soi. Les arts populaires, l'architecture paysanne et rurale, l'artisanat, les fêtes étaient autant d'expressions de cette création très humble, très empirique, mais qui, à travers les mimétismes, les traditions et les pressions de la communauté, offraient la possibilité d'une affirmation de la personne ou du groupe. Dans la vie quotidienne elle-même, dans l'ordonnance de la maison, dans la cuisine, la femme notamment avait une possibilité d'expression personnelle. Comme l'observe Pascal Lainé :    « Il est facile de se moquer—sous prétexte de modernisme et de « libéralisme « — de l'éducation ancienne des jeunes filles : couture, cuisine, etc. Et sans doute la femme d'aujourd'hui aspire-t-elle légitimement à « autre chose «. Cependant le métier de femme, l'artisanat domestique et les techniques de la maternité constituaient une véritable « culture « avec son système de valeurs propre et son échelle de maîtrise. «    Si l'on assigne, entre autres, ce sens très quotidien et pratique à la notion de créativité, on voit aussitôt l'importance qu'elle revêtait autrefois et sa quasi-disparition dans notre société mécanisée. Dans tous les domaines où étaient jadis possibles l'affirmation de soi et la création personnelle, règne aujourd'hui le produit standardisé ; l'individu ne peut même pas s'affirmer dans le choix de ces produits, qui est prédéterminé par la publicité et, au surplus, très limité par l'uniformisation industrielle. L'enfance elle-même n'échappe pas à cette transformation : le jouet fabriqué tue l'invention ou la cantonne à l'assemblage et à l'emploi d'objets qui font de l'enfant un apprenti consommateur; le jeu créatif, lieu d'éclosion de l'imaginaire, cède le pas aux loisirs organisés, à la télévision, au disque, qui ne sont que des consommations sophistiquées et passives.    Cependant, la créativité personnelle est un besoin tellement profond qu'il persiste et cherche sa voie à travers les rigidités de la société industrielle. Jamais le théâtre amateur n'a eu autant d'adeptes. Les écoles de musique refusent des élèves, comme les écoles d'art. A de multiples signes, on sent dans la jeunesse actuelle une soif d'affirmation créatrice. Si la culture, sous toutes ses formes, n'est pas au rendez-vous, on ne sait trop comment et par quoi pourra se manifester un besoin qu'elle est seule à pouvoir vraiment satisfaire. Sans elle, la créativité risque de ne s'exprimer que par ses formes les plus sommaires comme le bricolage ou par la violence, qui n'est qu'une créativité retournée, la volonté de détruire par rage de ne pouvoir construire.    Il faut ici écarter tout préjugé, en renonçant à une conception hiérarchique de la culture qui ne reconnaîtrait de valeur qu'aux genres nobles, et dans ces genres nobles, aux chefs-d'œuvre, rejetant tout le reste dans les ténèbres de la médiocrité. Une culture forme un tout; le jugement des générations peut produire des classements, non justifier des exclusions. Pour le passé comme pour le présent, il y a une unité culturelle profonde qui permet de reconnaître une valeur à toute création, pourvu qu'elle exprime la sincérité et la rigueur. Il faut aussi éviter le piège du progrès technique qui incite à croire que la société moderne offre à l'homme une telle multiplication, un tel enrichissement des moyens de création et d'expression mis à sa disposition, que le problème de la créativité se réglera tout seul, par l'audiovisuel, notamment. L'exemple de précédents progrès techniques doit inciter à la prudence : la diffusion des appareils photographiques, des caméras d'amateur, des magnétophones n'a guère conduit jusqu'ici à des résultats probants. L'utilisation ordinaire de ces engins fait peu de place à l'invention ; on enregistre des images et des sons davantage pour un plaisir d'emploi immédiat que pour un besoin de création : il s'agit plutôt d'une consommation répétitive. Plus l'usage des objets est facilité, moins l'esprit créatif s'y applique naturellement. Il est devenu presque impossible de rater une photographie, mais il est extrêmement calé d'en faire une qui soit une œuvre d'art. Vingt millions de photos de vacances ne représentent pas plus, du point de vue de la création, que les vingt millions de cartes postales expédiées dans le même temps. La créativité, loin d'être donnée en quelque sorte comme prime du progrès technique, est le défi sans cesse plus aigu lancé par la facilité apparente des appareils et des procédés modernes. C'est dire qu'une créativité générale n'est pas un sous-produit de la société de consommation, mais une nouvelle discipline du progrès. Aucune recette n'en garantit la propagation harmonieuse. Mais sollicitée de façon croissante par la multiplication de moyens d'expression toujours plus sophistiqués, elle voit s'ouvrir devant elle une nouvelle carrière.    L'épreuve comporte deux parties :    1) Dans une première partie, vous présenterez un résumé ou une analyse de ce texte, en indiquant nettement votre choix au début de la copie.    2) Dans une seconde partie intitulée discussion, vous dégagerez du texte un problème auquel vous attachez un intérêt particulier ; vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

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