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Jean Hamburger, L'Homme et les hommes

Publié le 31/03/2011

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Reconnaissons que, dans les effets biologiques de l'intervention humaine, comme en d'autres matières, la déconfiture flagrante de notre civilisation ne peut se traiter par voie purement raisonnable. Reconnaissons que les foules, les adolescents, les hommes et les femmes de nos pays occidentaux et d'ailleurs, ont moins envie de logique que de ferveur et que, par un étonnant paradoxe, dans le siècle et les régions du monde où s'est déroulé l'événement logique qu'on nomme naissance de l'humilité scientifique, les hommes continuent d'être soulevés par l'appel des mystiques exaltantes, qu'elles aient une origine admirable ou artificieuse, plutôt que par des propositions raisonnables. C'est même dans les régions d'Occident, là où les hommes pourraient être fiers d'avoir apporté au monde la méthode scientifique, achèvement prodigieux de la pensée humaine, qu'on a vu monter l'attrait des bains d'oubli collectif dans une foule enthousiasmée par les Beatles ou l'attirance des paradis artificiels ou, plus généralement encore, la tentation incongrue d'opposer la poésie et la science (pourtant merveilleusement complémentaires), d'adjuger à la poésie la source du bonheur et de la paix et d'attribuer à la science l'intolérable sécheresse des temps que nous vivons. Il est vrai que toutes ces formes de désarroi de l'homme, dans la société moderne, sont favorisées par des systèmes où le clan est roi et l'économie reine, deux tyrannies qui n'expriment assurément pas les aspirations les plus nobles de l'âme humaine. [...]    La première remarque est qu'un tel renouveau de la vie spirituelle de chacun rencontre aujourd'hui un obstacle majeur : l'homme moderne est un homme dispersé, éparpillé, distrait par mille occupations qui ne lui laissent plus ni le temps, ni surtout l'envie, de la méditation. [...]    Il est vrai qu'une sorte de pollution de notre vie mentale gêne de plus en plus le mûrissement de la pensée individuelle, nécessaire, on l'a dit plus haut, à toute évolution heureuse de la société des hommes. La vie que nous menons a dévoré peu à peu, par agressions extérieures incessantes (du transistor, dès le réveil, à la télévision, avant de dormir), les temps du silence et du recueillement solitaire. C'est tout juste si nous n'avons pas peur de ces temps-là et si nous ne les fuyons pas. Même nos « loisirs « sont organisés pour l'oubli plutôt que pour la méditation. Pourtant, les vertus de la méditation ne sont pas une idée neuve, elles sont enseignées par les philosophies orientales depuis des milliers d'années. Et dans ces jardins japonais où l'on voit, immobiles, les hommes immergés dans leur monde intérieur [...], je me disais que l'homme de Paris, de New York ou de Londres pourrait être tenté, lui aussi, de refaire plus ample connaissance avec lui-même et avec les rapports entre le monde et lui s'il redécouvrait, dans une vie trop courte, les arts du recueillement et de la retraite.    Mais, dira-t-on, comment l'ordonnance de la société peut-elle favoriser le désir d'un retour à la méditation personnelle ? Elle ne le peut sans doute pas, mais elle peut veiller à ne point se mettre en travers. Or c'est précisément ce qu'elle fait. Soit que, par le moyen magique des mass média, elle entrave la pensée libre de l'individu en la soumettant de persuasive façon à un conditionnement collectif. Soit, dans les civilisations qu'on dit libérales, que ces mêmes mass média interviennent par envahissement : l'intoxication collective de pays comme le nôtre par des émissions télévisées qui occupent futilement le champ de la pensée (au lieu de semer le désir de penser, comme elles le pourraient si aisément) est connue de tous et forme un modèle exemplaire de ces pollutions stérilisantes pour l'esprit de l'individu.    Si l'homme de nos pays retrouve le temps de penser à son aventure, il aura peut-être le sentiment qu'elle vaut la peine qu'on se batte pour elle.    Jean Hamburger, L'Homme et les hommes, 1982.    1. Vous résumerez ce texte en 180 mots (tolérance : 10 % en plus ou en moins). A la fin de votre résumé, vous indiquerez le nombre de mots employés.    2. Vous expliquerez les expressions suivantes :    — l'humilité scientifique ;    — pollutions stérilisantes.    3. « Même nos loisirs sont organisés pour l'oubli plutôt que pour la méditation. «    Que veut dire l'auteur par ces mots ?    Comment, à votre avis, pourrait-on organiser d'une autre manière — et avec succès — les loisirs des hommes modernes ?

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