Devoir de Philosophie

Jean Rostand, Droit d'être naturaliste.

Publié le 24/04/2011

Extrait du document

rostand

« Dans un discours prononcé naguère, et que j'ai des raisons pour bien connaître, Jules Romains a, lui aussi, parlé avec une subtile générosité de l'opération de l'intelligence qui consiste à rendre assimilables par la totalité de l'esprit humain « les apports fournis par un exercice particulier de ce même esprit « ; et à ce propos, il a regretté qu'une telle opération — selon lui des plus utiles et des plus élevées — se trouvât fâcheusement disqualifiée par le terme qui la désigne et qui entraîne avec lui une fâcheuse idée de vulgarité...    « Pour ma part, je doute fort qu'on le trouve jamais, ce synonyme plus relevé qui nous contenterait tous. Acceptons donc résolument, courageusement ce vieux mot, consacré par l'usage, de « vulgarisation «, en nous souvenant que vulgus veut dire « peuple «, et non point le vulgaire, que les langues dites « vulgaires « sont les langues vivantes, et que la Bible elle-même n'a pu se répandre dans le monde que grâce à la traduction qu'on nomme la Vulgate... Oui, acceptons-le ce mot, sauf à nous efforcer, en toute occasion, de lui restituer l'estime que mérite la chose.    « Multiples, et de conséquences majeures, sont en effet les fonctions de la vulgarisation scientifique. Elle prolonge, corrige et complète l'instruction scolaire, inévitablement en retard sur la marche du progrès ; elle éveille des vocations de chercheurs, et, par là, sert tout directement la science créatrice, qu'elle sert également du fait qu'initiant le grand nombre à la puissance et à l'efficacité de la science, elle obtient pour celle-ci l'audience et le soutien de l'opinion ; elle établit un lien entre les spécialistes des diverses disciplines, car c'est bien grâce à elle que le physicien n'ignore pas tout de la biologie en train de se faire, ni le biologiste de la physique ; c'est elle qui renseigne — ou pourrait renseigner — les hommes de gouvernement, qui, de plus en plus, auraient besoin de ne pas rester entièrement étrangers aux acquisitions de la science.    « Mais, à vrai dire, et si considérables que soient ces rôles divers, ils laissent de côté sa véritable et spécifique fonction, qui est, tout bonnement, tout simplement, de faire participer le plus grand nombre de personnes à la souveraine dignité de la connaissance, qui est de veiller à ce que la foule reçoive un peu de ce qui fait l'honneur de l'esprit humain, et ainsi ne soit pas tenue à l'écart de la grandiose aventure de l'espèce, qui est de rapprocher l'homme de l'homme en travaillant à réduire cette terrible quoique invisible distance, l'ignorance, qui est de combattre la famine mentale et le sous-développement qui en résulte en fournissant à chacun une ration minimum de calories spirituelles...    « En bref, l'idéal de la vulgarisation scientifique — et c'est en quoi réside sa valeur morale — est un idéal d'assistance et de communion. Elle va tout à l'opposé de l'aristocratique conception renanienne, suivant laquelle une poignée de « Sachants « tient sous sa tutelle une multitude inculte. Elle est, si l'on ose dire, une entreprise de (...) dépaupérisation intellectuelle, et, partant, de libération.    « Plus grave nous apparaît sa mission, et d'autant plus exigeants nous serons sur la façon dont elle doit être conduite. Nous lui demanderons d'abord une rigoureuse impartialité, une objectivité sans faille, une parfaite honnêteté philosophique. Il ne s'agit point, en se recouvrant de l'autorité de la science, d'endoctriner et de conformer les esprits ; il ne s'agit point d'implanter en eux je ne sais quels dogmes contraignants et rétrécissants, mais de les « convertir à des vérités hors de doute «, selon la belle formule du philosophe Guyau, afin que chacun, avec les matériaux bruts que loyalement on lui propose, puisse se construire librement son petit univers personnel.    Jean Rostand, Droit d'être naturaliste.   

Liens utiles