Le naturaliste Jean Rostand a écrit : « Il suffit de quelques savants pour doter l’humanité d’un monstrueux pouvoir, mais pour la rendre digne d’en user, il ne suffit pas de quelques hommes. » Que pensez-vous de cette affirmation?
Publié le 04/09/2015
Extrait du document
C’est aussi par un mouvement spontané que les hommes adoptent les découvertes scientifiques qui augmentent leur pouvoir. Nous avons le sentiment d’être dans la mesure où nous nous sentons puissants. Par suite, on comprend l’attrait qu'exerce sur nous tout ce qui peut augmenter notre puissance.
Au contraire, une sage utilisation du pouvoir dont il dispose exige de l’homme un renoncement véritable, une limitation de sa volonté de puissance et de sa volonté d’être. Pour l’obtenir, il ne suffit pas que quelques chefs de file en affirment la sagesse ou la nécessité : il reste à chacun de faire le sacrifice personnel du rêve qu’il avait fait.
b) En effet, dans le domaine de la morale et de l’idéal, c’est peu de chose que de connaître ce qu’il faudrait faire : l’essentiel est de posséder l’élan qui permettra de l'accomplir. Or, cet élan, on le trouve auprès des âmes énergiques et enthousiastes qui -se sont vouées à un idéal, auprès des saints. Aussi pourrait-on objecter à Jean Rostand qu’il suffirait de quelques saints pour amener l’humanité à ne pas abuser de son pouvoir.
Sans être trop candide, il ne faut pas se laisser hypnotiser par le sauvage égoïsme de l’homme. Il y a jusque chez les plus frustes des tendances altruistes et morales qui n’aspirent qu’à s’épanouir. Malheureusement, c’est surtout les appétits vulgaires qu’excite la propagande contemporaine des intérêts et des partis. Si elle se mettait en sourdine pour nous permettre d’entendre le message des « quelques saints « qu’il ne serait pas difficile de découvrir dans le monde, l’humanité retrouverait vite la sagesse dont nous redoutons la perte.
«
SUJETS GÉNÉRAUX 189
Jean RosTAND (1) : « Il suffit de quelques s-avants pour doter l'humanité d'un monstrueux pouvoir, mais pour la rendre digne d'en user, il ne suffit
pas de quelques hommes.
" Non~ examinerQns successivement les deux parties de cette assertiQn.
l.
~ ÛRIGI:'iE ET CAlHCTÈHE DE NOTRE POUYOIH.
A.
u Quelques savants u.
~ a) Nous serions tout d'abord enclins à taxer d 'e.ragération manifeste les premier€ mots de la pensée que nous exami nons : il n'a évidemment pas- suffi de « quelques savants n pour nous doter
du pouvoir dont dispose l'humanité dans son action sur la matière.
En
effet, l'adjectif «quelques "• entendu strictement, dé,signe un tout petit nombre : trois ou quatre, tout au plus une demi-douzaine.
Or, peut-on se contenter de cinq ou six noms pour rendre compte de l'ensemble des découverte!'~ qui ont transformé la vie de l'homme contemporain, ou même pour expliquer les dernières conquêtes des diverses techniques, depuis la
pénicilline et le penthotal jusqu'au microscope électronique et à la radio· activité artificielle?
Qu'il s'agisse de découvertes ;;cientifiques proprement dites ou des amé liorations techniques de la production industrielle, le progr(·s est une œuvre
collective.
Les pins grands savants .sont tributaires du savoir et de 1 'esprit sc:entifique qu'ils ont reçu de leurs devanciers, des travaux de leur contem porains et même des besoins- matériels ou intellectuels de leur époque, des
problèmes qui préoccupent les e~Sprits.
Les inventions ne consistent guère qu'à apporter un petit perfectionnement à une invention antérieure; par suite, toute création de la technique moderne, l'aut-omobile, par exemple, ou l'appareil radiophonique est l'œuvre, non pas de « quelques" inven·
teurs, mais de plusieurs dizaines, s-inon de plusieurs centaines.
b) Néanmoins, on peut reconnaître que l'affirmation de Jean RosTAND est moralement vraie : si, absolument parlant, le pouvoir dont dispose l'huma nité n'est pas dû à « quelques savants "• relativement à la masse du genre humain, le nombre de ceux qui collaborent directement au progrès scien tifique et technique ei'lt infime, et l'adjectif.
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