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Jean Rostand, Le Droit d'être naturaliste

Publié le 31/03/2011

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Acceptons résolument, courageusement, ce vieux mots, consacré par l'usage, de « vulgarisation «, en nous souvenant que vulgus veut dire « peuple « et non point le vulgaire, que les langues dites « vulgaires « sont les langues vivantes, et que la Bible elle-même n'a pu se répandre dans le monde que grâce à la traduction qu'on nomme la Vulgate... Oui, acceptons-le, ce mot, sauf à nous efforcer, en toute occasion, de lui restituer l'estime qui mérite la chose. Multiples, et de conséquence majeure, sont, en effet, les fonctions de la vulgarisation scientifique. Elle prolonge, corrige et complète l'instruction scolaire, inévitablement en retard sur la marche du progrès ; elle éveille des vocations de chercheurs, et, par là, sert tout directement la science créatrice, qu'elle sert également du fait qu'initiant le grand nombre à la puissance et à l'efficacité de la science, elle obtient pour celle-ci l'audience et le soutien de l'opinion ; elle établit un lien entre les spécialistes des diverses disciplines, car c'est bien grâce à elle que le physicien n'ignore pas tout de la biologie en train de se faire, ni le biologiste de la physique ; c'est elle qui renseigne — ou pourrait renseigner — les hommes de gouvernement, qui, de plus en plus, auraient besoin de ne pas rester entièrement étrangers aux acquisitions de la science. Mais, à vrai dire, et si considérables que soient ces rôles divers, ils laissent de côté sa véritable et spécifique fonction, qui est, tout bonnement, tout simplement, de faire participer le plus grand nombre de personnes à la souveraine dignité de la connaissance, qui est de veiller à ce que la foule reçoive un peu de ce qui fait l'honneur de l'esprit humain, et ainsi ne soit pas tenue à l'écart de la grandiose aventure de l'espèce, qui est de rapprocher l'homme de l'homme en travaillant à réduire cette terrible quoique invisible distance, l'ignorance, qui est de combattre la famine mentale et le sous-développement qui en résulte en fournissant à chacun une ration minimum de calories spirituelles... En bref, l'idéal de la vulgarisation scientifique — et c'est en quoi réside sa valeur morale — est un idéal d'assistance et de communion. Elle va tout à l'opposé de l'aristocratique conception renanienne, suivant laquelle une poignée de « sachants « tient sous sa tutelle une multitude inculte. Elle est, si l'on ose dire, une entreprise de dépaupérisation intellectuelle, et partant, de libération. Plus grave nous apparaît sa mission, et d'autant plus exigeants nous serons sur la façon dont elle doit être conduite. Nous lui demanderons d'abord une rigoureuse impartialité, une objectivité sans faille, une parfaite honnêteté philosophique. Il ne s'agit point, en se recouvrant de l'autorité de la science, d'endoctriner et de conformer les esprits ; il ne s'agit point d'implanter en eux je ne sais quels dogmes contraignants et rétrécissants, mais de les « convertir à des vérités hors de doute «, selon la belle formule du philosophe Guyau, afin que chacun, avec les matériaux bruts que loyalement on lui propose, puisse se construire librement son petit univers personnel. Inacceptable, aujourd'hui, la séparation de l'homme de science d'avec l'homme tout court ; inacceptable, une ségrégation fondée sur l'inégalité des connaissances. Qu'on le veuille ou non, le laboratoire, dès maintenant, communique avec la rue. La science fait plus que nous concerner à tout moment de notre vie quotidienne, elle nous poursuit, elle nous pourchasse. Ne sommes-nous pas tous, tant que nous sommes, devenus d'involontaires cobayes depuis que la désintégration atomique, sans nous demander notre avis, nous loge dans les os de malfaisantes particules ? L'obligation de subir suffit à légitimer le droit de savoir. On voit clairement approcher le moment où l'homme de la rue aura son mot à dire touchant les grands problèmes sociaux, nationaux, internationaux, moraux, que soulèvent, depuis peu, certaines des applications de la science, et où peut-être le spécialiste lui-même, las de porter tout seul la charge de trop pesantes responsabilités, se félicitera de trouver dans la science populaire une compréhension et un appui. Tous les hommes ont droit à recevoir le vrai, et le vrai a droit à parvenir jusqu'à tous. Jean Rostand, Le Droit d'être naturaliste, 1963. 1. Vous résumerez ce texte en le réduisant au quart de sa longueur, c'est-à-dire 165 mots. Une marge de 10 % en plus ou en moins de ce nombre est tolérée. Indiquez à la fin du résumé le nombre de mots employés. 2. Vous expliquerez les expressions suivantes : — une ration minimum de calories spirituelles ; — dogmes contraignants et rétrécissants.  

3. Sujet de discussion : « On voit clairement approcher le moment où l'homme de la rue aura son mot à dire touchant les grands problèmes sociaux, nationaux, internationaux, moraux, que soulèvent, depuis peu, certaines des applications de la science (...). «

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