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La Bete Humaine avaient pu assassiner leur bienfaiteur pour entrer en jouissance immédiate.

Publié le 11/04/2014

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La Bete Humaine avaient pu assassiner leur bienfaiteur pour entrer en jouissance immédiate. Cela le hantait d'autant plus, que M. Camy-Lamotte avait parlé singulièrement de madame Roubaud, comme l'ayant connue autrefois chez le président, lorsqu'elle était jeune fille. Seulement, que d'invraisemblances, que d'impossibilités matérielles et morales! Depuis qu'il dirigeait ses recherches dans ce sens, il butait à chaque pas contre des faits qui déroutaient sa conception d'une enquête judiciaire classiquement menée. Rien ne s'éclairait, la grande clarté centrale, la cause première, illuminant tout, manquait. Une autre piste existait bien, que M. Denizet n'avait pas perdue de vue, la piste fournie par Roubaud lui-même, celle de l'homme qui, grâce à la bousculade du départ, pouvait être monté dans le coupé. C'était le fameux assassin introuvable, légendaire, dont tous les journaux de l'opposition ricanaient. L'effort de l'instruction avait d'abord porté sur le signalement de cet homme, à Rouen d'où il était parti, à Barentin où il devait être descendu; mais il n'en était rien résulté de précis, certains témoins niaient même la possibilité du coupé réservé pris d'assaut, d'autres donnaient les renseignements les plus contradictoires. Et la piste ne semblait devoir mener à rien de bon, lorsque le juge, en interrogeant le garde-barrière Misard, tomba sans le vouloir sur la dramatique aventure de Cabuche et de Louisette, cette enfant qui, violentée par le président, serait allée mourir chez son bon ami. Ce fut pour lui le coup de foudre, d'un bloc l'acte d'accusation classique se formula dans sa tête. Tout s'y trouvait, des menaces de mort proférées par le carrier contre la victime, des antécédents déplorables, un alibi invoqué maladroitement, impossible à prouver. En secret, dans une minute d'inspiration énergique, il avait fait, la veille, enlever Cabuche de la petite maison qu'il occupait au fond des bois, sorte de tanière perdue, où l'on avait trouvé un pantalon taché de sang. Et, tout en se défendant encore contre la conviction qui l'envahissait, tout en se promettant de ne pas lâcher l'hypothèse des Roubaud, il exultait à l'idée que lui seul avait eu le nez assez fin pour découvrir l'assassin véritable. C'était dans le but de se faire une certitude qu'il avait mandé, ce jour-là, à son cabinet, plusieurs des témoins déjà entendus, au lendemain du crime. Le cabinet du juge d'instruction se trouvait, du côté de la rue Jeanne-d'Arc, dans le vieux bâtiment délabré, collé au flanc de l'ancien palais des ducs de Normandie, transformé aujourd'hui en Palais de Justice, qu'il déshonorait. Cette grande pièce triste, située au rez-de-chaussée, était éclairée d'un jour si blafard, qu'il fallait y allumer une lampe, dès trois heures, en hiver. Tendue d'un ancien papier vert décoloré, elle avait pour tout ameublement deux fauteuils, quatre chaises, le bureau du juge, la petite table du greffier; et, sur la cheminée froide, deux coupes de bronze flanquaient une pendule de marbre noir. Derrière le bureau, une porte conduisait à une seconde pièce, dans laquelle le juge cachait parfois les personnes qu'il voulait garder à sa disposition; tandis que la porte d'entrée s'ouvrait directement sur le large couloir, garni de banquettes, où attendaient les témoins. Dès une heure et demie, bien que la citation ne fût que pour deux heures, les Roubaud étaient là. Ils arrivaient du Havre, ils avaient à peine pris le temps de déjeuner, dans un petit restaurant de la Grande-Rue. Tous les deux vêtus de noir, lui en redingote, elle en robe de soie, comme une dame, gardaient la gravité un peu lasse et chagrine d'un ménage qui a perdu un parent. Elle s'était assise sur une banquette, immobile, sans une parole, pendant que, resté debout, les mains derrière le dos, il se promenait à pas lents devant elle. Mais, à chaque retour, leurs regards se rencontraient, et leur anxiété cachée passait alors, ainsi qu'une ombre, sur leurs faces muettes. Bien qu'il les eût comblés de joie, le legs de la Croix-de-Maufras venait de raviver leurs craintes; car la famille du président, sa fille surtout, outrée des donations étranges, si nombreuses qu'elles atteignaient la moitié de la fortune totale, parlait d'attaquer le testament; et madame de Lachesnaye, poussée par son mari, se montrait particulièrement dure contre son ancienne amie Séverine, qu'elle chargeait des soupçons les plus graves. D'autre part, la pensée d'une preuve, à laquelle Roubaud n'avait pas songé d'abord, le hantait maintenant d'une peur continue: la lettre qu'il avait fait écrire à sa femme afin de décider Grandmorin à partir, cette lettre qu'on allait retrouver, si celui-ci ne l'avait pas détruite, et dont on pouvait reconnaître l'écriture. Heureusement, les jours passaient, rien ne s'était encore produit, la lettre devait avoir été déchirée. Chaque citation nouvelle, au cabinet du juge d'instruction, n'en demeurait pas moins, pour le ménage, une cause de sueurs froides, sous leur correcte attitude d'héritiers et de témoins. IV 51 La Bete Humaine Deux heures sonnèrent. Jacques parut à son tour. Lui, arrivait de Paris. Tout de suite, Roubaud s'avança, la main tendue, très expansif. Ah! vous aussi, on vous a dérangé... Hein! est-ce ennuyeux, cette triste affaire qui n'en finit pas! Jacques, en apercevant Séverine, toujours assise, immobile, venait de s'arrêter net. Depuis trois semaines, tous les deux jours, à chacun de ses voyages au Havre, le sous-chef le comblait de prévenances. Même, une fois, il avait dû accepter à déjeuner. Et, près de la jeune femme, il s'était senti frémir de son frisson, dans un trouble croissant. Allait-il donc la vouloir aussi, celle-là? Son coeur battait, ses mains brûlaient, à voir seulement la ligne blanche de son cou, autour de l'échancrure du corsage. Aussi était-il désormais fermement résolu à la fuir. Et, reprit Roubaud, que dit-on de l'affaire, à Paris? Rien de nouveau, n'est-ce pas? Voyez-vous, on ne sait rien, on ne saura jamais rien... Venez donc dire bonjour à ma femme. Il l'entraîna, il fallut que Jacques s'approchât, saluât Séverine, gênée, souriante de son air d'enfant peureux. Il s'efforçait de causer de choses indifférentes, sous les regards du mari et de la femme qui ne le quittaient pas, comme s'ils avaient tâché de lire, au-delà même de sa pensée, dans les songeries vagues où lui-même hésitait à descendre. Pourquoi était-il si froid? pourquoi semblait-il chercher à les éviter? Est-ce que ses souvenirs se réveillaient, est-ce que c'était pour les confronter avec lui qu'on les avait rappelés? Cet unique témoin qu'ils redoutaient, ils auraient voulu le conquérir, se l'attacher par des liens d'une fraternité si étroite, qu'il ne trouvât plus le courage de parler contre eux. Ce fut le sous-chef, torturé, qui revint à l'affaire. Alors, vous ne vous doutez pas pour quelle raison on nous cite? Hein! peut-être y a-t-il du nouveau? Jacques eut un geste d'indifférence. Un bruit circulait tout à l'heure, à la gare, lorsque je suis arrivé. On parlait d'une arrestation. Les Roubaud s'étonnèrent, très agités, très perplexes. Comment, une arrestation? personne ne leur en avait soufflé mot! Une arrestation faite, ou une arrestation à faire? Ils l'accablaient de questions, mais il n'en savait pas davantage. A ce moment, dans le couloir, un bruit de pas éveilla l'attention de Séverine. Voici Berthe et son mari, murmura-t-elle. C'étaient, en effet, les Lachesnaye. Ils passèrent très raides devant les Roubaud, la jeune femme n'eut pas même un regard pour son ancienne camarade. Et un huissier les introduisit tout de suite dans le cabinet du juge d'instruction. Ah bien! Il faut nous armer de patience, dit Roubaud. Nous sommes là pour deux bonnes heures... Asseyez-vous donc! Lui-même venait de se placer à gauche de Séverine, et de la main il invitait Jacques à se mettre de l'autre côté, près d'elle. Celui-ci resta debout un instant encore. Puis, comme elle le regardait de son air doux et craintif, il se laissa aller sur la banquette. Elle était très frêle entre eux, il la sentait d'une tendresse soumise; et la tiédeur légère qui émanait de cette femme, pendant leur longue attente, l'engourdissait lentement, tout entier. IV 52

« Deux heures sonnèrent.

Jacques parut à son tour.

Lui, arrivait de Paris.

Tout de suite, Roubaud s'avança, la main tendue, très expansif. \24Ah! vous aussi, on vous a dérangé...

Hein! est-ce ennuyeux, cette triste affaire qui n'en finit pas! Jacques, en apercevant Séverine, toujours assise, immobile, venait de s'arrêter net.

Depuis trois semaines, tous les deux jours, à chacun de ses voyages au Havre, le sous-chef le comblait de prévenances.

Même, une fois, il avait dû accepter à déjeuner.

Et, près de la jeune femme, il s'était senti frémir de son frisson, dans un trouble croissant.

Allait-il donc la vouloir aussi, celle-là? Son coeur battait, ses mains brûlaient, à voir seulement la ligne blanche de son cou, autour de l'échancrure du corsage.

Aussi était-il désormais fermement résolu à la fuir. \24Et, reprit Roubaud, que dit-on de l'affaire, à Paris? Rien de nouveau, n'est-ce pas? Voyez-vous, on ne sait rien, on ne saura jamais rien...

Venez donc dire bonjour à ma femme. Il l'entraîna, il fallut que Jacques s'approchât, saluât Séverine, gênée, souriante de son air d'enfant peureux.

Il s'efforçait de causer de choses indifférentes, sous les regards du mari et de la femme qui ne le quittaient pas, comme s'ils avaient tâché de lire, au-delà même de sa pensée, dans les songeries vagues où lui-même hésitait à descendre.

Pourquoi était-il si froid? pourquoi semblait-il chercher à les éviter? Est-ce que ses souvenirs se réveillaient, est-ce que c'était pour les confronter avec lui qu'on les avait rappelés? Cet unique témoin qu'ils redoutaient, ils auraient voulu le conquérir, se l'attacher par des liens d'une fraternité si étroite, qu'il ne trouvât plus le courage de parler contre eux. Ce fut le sous-chef, torturé, qui revint à l'affaire. \24Alors, vous ne vous doutez pas pour quelle raison on nous cite? Hein! peut-être y a-t-il du nouveau? Jacques eut un geste d'indifférence. \24Un bruit circulait tout à l'heure, à la gare, lorsque je suis arrivé.

On parlait d'une arrestation. Les Roubaud s'étonnèrent, très agités, très perplexes.

Comment, une arrestation? personne ne leur en avait soufflé mot! Une arrestation faite, ou une arrestation à faire? Ils l'accablaient de questions, mais il n'en savait pas davantage. A ce moment, dans le couloir, un bruit de pas éveilla l'attention de Séverine. \24Voici Berthe et son mari, murmura-t-elle. C'étaient, en effet, les Lachesnaye.

Ils passèrent très raides devant les Roubaud, la jeune femme n'eut pas même un regard pour son ancienne camarade.

Et un huissier les introduisit tout de suite dans le cabinet du juge d'instruction. \24Ah bien! Il faut nous armer de patience, dit Roubaud.

Nous sommes là pour deux bonnes heures... Asseyez-vous donc! Lui-même venait de se placer à gauche de Séverine, et de la main il invitait Jacques à se mettre de l'autre côté, près d'elle.

Celui-ci resta debout un instant encore.

Puis, comme elle le regardait de son air doux et craintif, il se laissa aller sur la banquette.

Elle était très frêle entre eux, il la sentait d'une tendresse soumise; et la tiédeur légère qui émanait de cette femme, pendant leur longue attente, l'engourdissait lentement, tout entier.

La Bete Humaine IV 52. »

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