Devoir de Philosophie

LA BOUTEILLE A LA MER (Conseil à un jeune homme inconnu). Alfred de VIGNY

Publié le 09/07/2011

Extrait du document

vigny

Cette pièce est l'avant-dernière des douze pièces qui composent le recueil des Destinées. Près de sombrer, un marin explorateur confie le procès-verbal de ses découvertes à cette frêle messagère, qui s'en ira, ballottée au gré des flots, jusqu'à ce qu'un pêcheur la trouve dans ses filets. Symbole heureux, et poétiquement exprimé, de la pensée, du savoir, de l'œuvre d'esprit qu'il faut jeter à « la mer des multitudes «, en comptant que:

Dieu la prendra du doigt pour la conduire au port.

Voici les derniers couplets de ce poème, le seul peut-être de Vigny qu'on peut admirer sans réserve.

XX Seule dans l'Océan, seule toujours ! — Perdue Comme un point invisible en un mouvant désert, L'aventurière passe errant dans l'étendue, Et voit tel cap secret qui n'est pas découvert. Tremblante voyageuse à flotter condamnée, Elle sent sur son col que depuis une année L'algue et les goémons lui font un manteau vert.

XXI Un soir enfin, les vents qui soufflent des Florides L'entraînent vers la France et ses bords pluvieux. Un pêcheur accroupi sur des rochers arides Tire dans ses filets le flacon précieux. Il court, cherche un savant et lui montre sa prise, Et sans l'oser ouvrir, demande qu'on lui dise Quel est cet élixir noir et mystérieux.

XXII Quel est cet élixir ? Pêcheur, c'est la science, C'est l'élixir divin que boivent les esprits, Trésor de la pensée et de l'expérience ; Et, si tes lourds filets, ô pêcheur, avaient pris L'or qui toujours serpente aux veines du Mexique Les diamants de l'Inde et les perles d'Afrique, Ton labeur de ce jour aurait eu moins de prix.

XXIII Regarde. — Quelle joie ardente et sérieuse ! Une gloire de plus luit sur la nation. Le canon tout-puissant et la cloche pieuse Font sur les toits tremblants bondir l'émotion ; Aux héros du savoir plus qu'à ceux des batailles, On va faire aujourd'hui de grandes funérailles. Lis ce mot sur les murs : « Commémoration !  «

XXIV Souvenir éternel ! gloire à la découverte Dans l'homme ou la nature égaux en profondeur, ans le juste et le bien, source à peine entr'ouverte, ans l'art inépuisable, abîme de splendeur ! Qu'importe oubli, morsure, injustice insensée, Glaces et tourbillons de notre traversée ? Sur la pierre des morts croit l'arbre de grandeur.

XXV Cet arbre est le plus beau de la terre promise, C'est votre phare à tous, penseurs laborieux ! Voguez sans jamais craindre ou les îlots ou la brise Pour tout trésor scellé du cachet précieux. L'or pur doit surnager, et sa gloire est certaine. Dites en souriant, comme ce capitaine : « Qu'il aborde, si c'est la volonté des Dieux ! «

Et le poète conclut :

Répandons le savoir en fécondes ondées ; Pais, recueillant le fruit tel que de l'âme il sort, Tout empreint du parfum des saintes solitudes, Jetons l'œuvre à la mer, la mer des multitudes : — Dieu la prendra du doigt pour la conduire au port. — Ces derniers vers résument la pensée de Vigny : l'idée n'est jamais vaincue ; à travers toutes les vicissitudes, toujours elle triomphe ; c'est elle qui donne à l'homme sa grandeur ; c'est par elle et pour elle qu'elle doit vivre. Que le penseur donc brave la destinée et méprise les injures, l'oubli, les injustices : il accomplit un devoir supérieur qui portera tôt ou tard ses fruits.

Liens utiles