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La Chartreuse de Parme Fabrice doubla le pas, les femmes le suivirent en criant, et beaucoup de pauvres mâles, accourant par toutes les rues, firent une sorte de petite sédition.

Publié le 12/04/2014

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La Chartreuse de Parme Fabrice doubla le pas, les femmes le suivirent en criant, et beaucoup de pauvres mâles, accourant par toutes les rues, firent une sorte de petite sédition. Toute cette foule horriblement sale et énergique criait: Excellence. Fabrice eut beaucoup de peine à se délivrer de la cohue, cette scène rappela son imagination sur la terre."Je n'ai que ce que je mérite, se dit-il, je me suis frotté à la canaille." Deux femmes le suivirent jusqu'à la porte de Saragosse par laquelle il sortait de la ville'. Pépé les arrêta en les menaçant sérieusement de sa canne, et leur jetant quelque monnaie. Fabrice monta la charmante colline de San Michele in Bosco, fit le tour d'une partie de la ville en dehors des murs, prit un sentier, arriva à cinq cents pas sur la route de Florence, puis rentra dans Bologne et remit gravement au commis de la police un passeport où son signalement était noté d'une façon fort exacte. Ce passeport le nommait Joseph Bossi, étudiant en théologie. Fabrice y remarqua une petite tache d'encre rouge jetée, comme par hasard, au bas de la feuille vers l'angle droit. Deux heures plus tard il eut un espion à ses trousses, à cause du titre d'Excellence que son compagnon lui avait donné devant les pauvres de Saint-Pétrone, quoique son passeport ne portât aucun des titres qui donnent à un homme le droit de se faire appeler excellence par ses domestiques. Fabrice vit l'espion, et s'en moqua fort; il ne songeait plus ni aux passeports ni à la police, et s'amusait de tout comme un enfant. Pépé, qui avait ordre de rester auprès de lui, le voyant fort content de Ludovic, aima mieux aller porter lui-même de si bonnes nouvelles à la duchesse. Fabrice écrivit deux très longues lettres aux personnes qui lui étaient chères; puis il eut l'idée d'en écrire une troisième au vénérable archevêque Landriani. Cette lettre produisit un effet merveilleux, elle contenait un récit fort exact du combat avec Giletti. Le bon archevêque tout attendri, ne manqua pas d'aller lire cette lettre au prince, qui voulut bien l'écouter, assez curieux de voir comment ce jeune monsignore s'y prenait pour excuser un meurtre aussi épouvantable. Grâce aux nombreux amis de la marquise Raversi le prince ainsi que toute la ville de Parme croyait que Fabrice s'était fait aider par vingt ou trente paysans pour assommer un mauvais comédien qui avait l'insolence de lui disputer la petite Marietta. Dans les cours despotiques, le premier intrigant adroit dispose de la vérité, comme la mode en dispose à Paris. Mais, que diable! disait le prince à l'archevêque, on fait faire ces choses-là par un autre; mais les faire soi-même, ce n'est pas l'usage; et puis on ne tue pas un comédien tel que Giletti, on l'achète. Fabrice ne se doutait en aucune façon de ce qui se passait à Parme. Dans le fait, il s'agissait de savoir si la mort de ce comédien, qui de son vivant gagnait trente-deux francs par mois, amènerait la chute du ministère ultra et de son chef le comte Mosca. En apprenant la mort de Giletti, le prince, piqué des airs d'indépendance que se donnait la duchesse, avait ordonné au fiscal général Rassi de traiter tout ce procès comme s'il se fût agi d'un libéral. Fabrice, de son côté, croyait qu'un homme de son rang était au-dessus des lois; il ne calculait pas que dans les pays où les grands noms ne sont jamais punis, l'intrigue peut tout, même contre eux. Il parlait souvent à Ludovic de sa parfaite innocence qui serait bien vite proclamée; sa grande raison c'est qu'il n'était pas coupable. Sur quoi Ludovic lui dit un jour: Je ne conçois pas comment Votre Excellence, qui a tant d'esprit et d'instruction, prend la peine de dire de ces choses-là à moi qui suis son serviteur dévoué, Votre Excellence use de trop de précautions, ces choses-là sont bonnes à dire en public ou devant un tribunal. "Cet homme me croit un assassin et ne m'en aime pas moins", se dit Fabrice, tombant de son haut. CHAPITRE XII 111 La Chartreuse de Parme Trois jours après le départ de Pépé, il fut bien étonné de recevoir une lettre énorme fermée avec une tresse de soie comme du temps de Louis XIV, et adressée à Son Excellence révérendissime monseigneur Fabrice del Dongo, premier grand-vicaire du diocèse de Parme, chanoine, etc. "Mais, est-ce que je suis encore tout cela?"se dit-il en riant. L'épître de l'archevêque Landriani était un chef-d'oeuvre de logique et de clarté; elle n'avait pas moins de dix-neuf grandes pages, et racontait fort bien tout ce qui s'était passé à Parme à l'occasion de la mort de Giletti. Une armée française commandée par le maréchal Ney et marchant sur la ville n'aurait pas produit plus d'effet, lui disait le bon archevêque; à l'exception de la duchesse et de moi, mon très cher fils, tout le monde croit que vous vous êtes donné le plaisir de tuer l'histrion Giletti. Ce malheur vous fût-il arrivé ce sont de ces choses qu'on assoupit avec deux cents louis et une absence de six mois, mais la Raversi veut renverser le comte Mosca à l'aide de cet incident. Ce n'est point l'affreux péché du meurtre que le public blâme en vous, c'est uniquement la maladresse ou plutôt l'insolence de ne pas avoir daigné recourir à un bulo (sorte de fier-à-bras subalterne). Je vous traduis ici en termes clairs les discours qui m'environnent, car depuis ce malheur à jamais déplorable, je me rends tous les jours dans trois maisons des plus considérables de la ville pour avoir l'occasion de vous justifier. Et jamais je n'ai cru faire un plus saint usage du peu d'éloquence que le Ciel a daigné m'accorder. Les écailles tombaient des yeux de Fabrice, les nombreuses lettres de la duchesse, remplies de transports d'amitié, ne daignaient jamais raconter. La duchesse lui jurait de quitter Parme à jamais, si bientôt il n'y rentrait triomphant. "Le comte fera pour toi, lui disait-elle dans la lettre qui accompagnait celle de l'archevêque, tout ce qui est humainement possible. Quant à moi, tu as changé mon caractère avec cette belle équipée; je suis maintenant aussi avare que le banquier Tombone; j'ai renvoyé tous mes ouvriers, j'ai fait plus, j'ai dicté au comte l'inventaire de ma fortune, qui s'est trouvée bien moins considérable que je ne le pensais. Après la mort de l'excellent comte Pietranera, que, par parenthèses, tu aurais bien plutôt dû venger, au lieu de t'exposer contre un être de l'espèce de Giletti, je restai avec douze cents livres de rente et cinq mille francs de dette; je me souviens, entre autres choses, que j'avais deux douzaines et demie de souliers de satin blanc venant de Paris, et une seule paire de souliers pour marcher dans la rue. Je me suis presque décidée à prendre les trois cent mille francs que me laisse le duc, et que je voulais employer en entier à lui élever un tombeau magnifique. Au reste, c'est la marquise Raversi qui est ta principale ennemie, c'est-à-dire la mienne; si tu t'ennuies seul à Bologne, tu n'as qu'à dire un mot, j'irai te rejoindre. Voici quatre nouvelles lettres de change, etc." La duchesse ne disait mot à Fabrice de l'opinion qu'on avait à Parme sur son affaire, elle voulait avant tout le consoler et, dans tous les cas, la mort d'un être ridicule tel que Giletti ne lui semblait pas de nature à être reprochée sérieusement à un del Dongo. Combien de Giletti nos ancêtres n'ont-ils pas envoyés dans l'autre monde, disait-elle au comte, sans que personne se soit mis en tête de leur en faire un reproche? Fabrice tout étonné, et qui entrevoyait pour la première fois le véritable état des choses, se mit à étudier la lettre de l'archevêque. Par malheur, l'archevêque lui-même le croyait plus au fait qu'il ne l'était réellement. Fabrice comprit que ce qui faisait surtout le triomphe de la marquise Raversi, c'est qu'il était impossible de trouver des témoins de visu de ce fatal combat. Le valet de chambre qui le premier en avait apporté la nouvelle à Parme était à l'auberge du village Sanguigna lorsqu'il avait eu lieu; la petite Marietta et la vieille femme qui lui servait de mère avaient disparu, et la marquise avait acheté le veturino qui conduisait la voiture et qui faisait maintenant une déposition abominable. CHAPITRE XII 112

« Trois jours après le départ de Pépé, il fut bien étonné de recevoir une lettre énorme fermée avec une tresse de soie comme du temps de Louis XIV, et adressée à Son Excellence révérendissime monseigneur Fabrice del Dongo, premier grand-vicaire du diocèse de Parme, chanoine, etc. "Mais, est-ce que je suis encore tout cela?"se dit-il en riant.

L'épître de l'archevêque Landriani était un chef-d'oeuvre de logique et de clarté; elle n'avait pas moins de dix-neuf grandes pages, et racontait fort bien tout ce qui s'était passé à Parme à l'occasion de la mort de Giletti. Une armée française commandée par le maréchal Ney et marchant sur la ville n'aurait pas produit plus d'effet, lui disait le bon archevêque; à l'exception de la duchesse et de moi, mon très cher fils, tout le monde croit que vous vous êtes donné le plaisir de tuer l'histrion Giletti.

Ce malheur vous fût-il arrivé ce sont de ces choses qu'on assoupit avec deux cents louis et une absence de six mois, mais la Raversi veut renverser le comte Mosca à l'aide de cet incident.

Ce n'est point l'affreux péché du meurtre que le public blâme en vous, c'est uniquement la maladresse ou plutôt l'insolence de ne pas avoir daigné recourir à un bulo (sorte de fier-à-bras subalterne).

Je vous traduis ici en termes clairs les discours qui m'environnent, car depuis ce malheur à jamais déplorable, je me rends tous les jours dans trois maisons des plus considérables de la ville pour avoir l'occasion de vous justifier.

Et jamais je n'ai cru faire un plus saint usage du peu d'éloquence que le Ciel a daigné m'accorder. Les écailles tombaient des yeux de Fabrice, les nombreuses lettres de la duchesse, remplies de transports d'amitié, ne daignaient jamais raconter.

La duchesse lui jurait de quitter Parme à jamais, si bientôt il n'y rentrait triomphant. "Le comte fera pour toi, lui disait-elle dans la lettre qui accompagnait celle de l'archevêque, tout ce qui est humainement possible.

Quant à moi, tu as changé mon caractère avec cette belle équipée; je suis maintenant aussi avare que le banquier Tombone; j'ai renvoyé tous mes ouvriers, j'ai fait plus, j'ai dicté au comte l'inventaire de ma fortune, qui s'est trouvée bien moins considérable que je ne le pensais.

Après la mort de l'excellent comte Pietranera, que, par parenthèses, tu aurais bien plutôt dû venger, au lieu de t'exposer contre un être de l'espèce de Giletti, je restai avec douze cents livres de rente et cinq mille francs de dette; je me souviens, entre autres choses, que j'avais deux douzaines et demie de souliers de satin blanc venant de Paris, et une seule paire de souliers pour marcher dans la rue.

Je me suis presque décidée à prendre les trois cent mille francs que me laisse le duc, et que je voulais employer en entier à lui élever un tombeau magnifique.

Au reste, c'est la marquise Raversi qui est ta principale ennemie, c'est-à-dire la mienne; si tu t'ennuies seul à Bologne, tu n'as qu'à dire un mot, j'irai te rejoindre.

Voici quatre nouvelles lettres de change, etc." La duchesse ne disait mot à Fabrice de l'opinion qu'on avait à Parme sur son affaire, elle voulait avant tout le consoler et, dans tous les cas, la mort d'un être ridicule tel que Giletti ne lui semblait pas de nature à être reprochée sérieusement à un del Dongo. \24 Combien de Giletti nos ancêtres n'ont-ils pas envoyés dans l'autre monde, disait-elle au comte, sans que personne se soit mis en tête de leur en faire un reproche? Fabrice tout étonné, et qui entrevoyait pour la première fois le véritable état des choses, se mit à étudier la lettre de l'archevêque.

Par malheur, l'archevêque lui-même le croyait plus au fait qu'il ne l'était réellement. Fabrice comprit que ce qui faisait surtout le triomphe de la marquise Raversi, c'est qu'il était impossible de trouver des témoins de visu de ce fatal combat.

Le valet de chambre qui le premier en avait apporté la nouvelle à Parme était à l'auberge du village Sanguigna lorsqu'il avait eu lieu; la petite Marietta et la vieille femme qui lui servait de mère avaient disparu, et la marquise avait acheté le veturino qui conduisait la voiture et qui faisait maintenant une déposition abominable.

La Chartreuse de Parme CHAPITRE XII 112. »

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