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LA LIBERTÉ ET LA MORALE SELON DIDEROT (Rêve de d'Alembert)

Publié le 07/02/2011

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morale

Qu'est-ce que cette liberté, qu'est-ce que cette volonté de l'homme qui rêve ?    Bordeu : Qu'est-ce ? c'est la même que celle de l'homme qui veille : la dernière impulsion du désir et de l'aversion, le dernier résultat de tout ce qu'on a été depuis sa naissance jusqu'au moment où l'on est ; et je défie l'esprit le plus délié d'y apercevoir la moindre différence.    D'Alembert : Vous croyez ?    Bordeu : Et c'est vous qui me faites cette question ! vous qui livré à des spéculations profondes, avez passé les deux tiers de votre vie à rêver les yeux ouverts, et à agir sans vouloir ; oui, sans vouloir bien moins que dans votre rêve. Dans votre rêve vous commandiez, vous ordonniez, on vous obéissait ; vous étiez mécontent ou satisfait, vous éprouviez de la contradiction, vous trouviez des obstacles, vous vous irritiez, vous aimiez, vous haïssiez, vous blâmiez, vous alliez, vous veniez. Dans le cours de vos méditations, à peine vos yeux s'ouvraient le matin que, ressaisi de l'idée qui vous avait occupé la veille, vous vous vêtiez, vous vous asseyiez à votre table, vous méditiez, vous traciez des figures, vous suiviez des calculs, vous dîniez, vous repreniez vos combinaisons, quelquefois vous quittiez la table pour les vérifier ; vous parliez à d'autres, vous donniez des ordres à votre domestique, vous soupiez, vous vous couchiez, vous vous endormiez sans avoir fait le moindre acte de volonté. Vous n'avez été qu'un point ; vous avez agi, mais vous n'avez pas voulu. Est-ce qu'on veut, de soi ? La volonté naît toujours de quelque motif intérieur ou extérieur, de quelque impression présente, de quelque réminiscence du passé, de quelque passion, de quelque projet dans l'avenir. Après cela je ne vous dirai de la liberté qu'un mot, c'est que la dernière de nos actions est l'effet nécessaire d'une cause une : nous, très compliquée, mais une.    Mademoiselle de l'Espinasse : Il a raison. Puisque j'agis ainsi, celui qui peut agir autrement n'est plus moi ; et assurer qu'au moment où je fais ou dis une chose, j'en puis dire ou faire une autre, c'est assurer que je suis moi et que je suis un autre. Mais, docteur, et le vice et la vertu ? La vertu, ce mot si saint dans toutes les langues, cette idée si sacrée chez toutes les nations !    Bordeu : Il faut le transformer en celui de bienfaisance, et son opposé en celui de malfaisance. On est heureusement ou malheureusement né ; on est irrésistiblement entraîné par le torrent général qui conduit l'un à la gloire, l'autre à l'ignominie.    Mademoiselle de l'Espinasse : Et l'estime de soi, et la honte, et le remords ?    Bordeu : Puérilité fondée sur l'ignorance et la vanité d'un être qui s'impute à lui-même le mérite ou le démérite d'un instant nécessaire.    Mademoiselle de l'Espinasse : Et les récompenses et les châtiments?    Bordeu : Des moyens de corriger l'être modifiable qu'on appelle méchant, et d'encourager celui qu'on appelle bon.    Mademoiselle de l'Espinasse : Et tout cette doctrine n'a-t-elle rien de dangereux ?    Bordeu : Est-elle vraie ou est-elle fausse ?    Mademoiselle de l'Espinasse : Je la crois vraie.   

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