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La mort de Sylvestre (1886). Pêcheur d'Islande - LOTI

Publié le 21/06/2011

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Voici la pitié humaine, simple, navrante en son réalisme, et agrandie et transfigurée par la nature, qui mêle à une scène désolante d'hôpital les reflets magiques de son soleil; et ce soleil a quelque chose de mystérieux et de vivant. — Sylvestre est un jeune Breton, qui s'est engagé, et qui est parti pour le Tonkin. Il a été blessé grièvement dans une reconnaissance. On le ramène; mais il meurt en route. Il faut lire dans le roman les admirables pages, où l'on voit comment sa grand'mère apprend sa mort. A bord de ce transport qui allait partir, on le coucha dans l'un des petits lits de fer alignés à l'hôpital, et il recommença en sens inverse sa longue promenade à travers les mers. Seulement, cette fois, au lieu de vivre comme un oiseau dans le plein vent des hunes, c'était dans les lourdeurs d'en bas, au milieu des exhalaisons de remèdes, de blessures et de misères. Les premiers jours, la joie d'être en route avait amené en lui un peu de mieux. Il pouvait se tenir soulevé sur son lit avec des oreillers, et de temps en temps il demandait sa boîte. Sa boîte de matelot était le coffret de bois blanc, acheté à Paimpol pour mettre ses choses précieuses; on y trouvait des lettres de grand'mère Yvonne, celles d'Yann et de Gaud (I), un cahier où il avait copié des chansons du bord, et un livre de Confucius en chinois, pris au hasard d'un pillage, sur lequel, au revers blanc des feuillets, il avait inscrit le journal naïf de sa campagne. Le mal pourtant ne s'améliorait pas, et, dès la première semaine, les médecins pensèrent que la mort ne pouvait plus être évitée. ... Près de l'équateur maintenant; dans l'excessive chaleur des. orages. Le transport s'en allait toujours vite, sur une mer remuée, tourmentée encore comme au renversement des moussons. Depuis le départ d'Ha-Long, il en était mort plus d'un, qu'il avait fallu jeter dans l'eau profonde, sur ce grand chemin de France; beaucoup de ces petits lits s'étaient débarrassés déjà de leur pauvre contenu. Et ce jour-là, dans l'hôpital mouvant, il faisait très sombre : on avait été obligé, à cause de la houle, de fermer les mantelets de fer des sabords, et cela rendait plus horrible cet étouffoir de malades. Il allait plus mal, lui; c'était la fin. Couché toujours sur son côté percé, il le comprimait des deux mains, avec tout ce qui lui restait de force, pour immobiliser cette eau, cette décomposition liquide dans ce poumon droit, et tâcher de respirer seulement avec l'autre. Mais cet autre aussi, peu à peu, s'était pris par voisinage, et l'angoisse suprême était commencée. Toutes sortes de visions du pays hantaient son cerveau mourant; dans l'obscurité chaude, des figures aimées ou affreuses venaient se pencher sur lui; il était dans un perpétuel rêve d'halluciné, où passaient la Bretagne et l'Islande. Le matin, il avait fait appeler le prêtre, et celui-ci, qui était un vieillard habitué à voir mourir des matelots, avait été surpris de trouver sous cette enveloppe si virile la pureté d'un petit enfant. Il demandait de l'air; mais il n'y en avait nulle part; les manches à vent n'en donnaient plus; l'infirmier qui l'éventait tout le temps avec un éventail à fleurs chinoises, ne faisait que remuer sur lui des buées malsaines, des fadeurs déjà cent fois respirées, dont les poitrines ne voulaient plus. Quelquefois, il lui prenait des rages désespérées pour sortir de ce lit, où il sentait si bien la mort venir; d'aller au plein vent là-haut, essayer de revivre.... Oh! les autres, qui couraient dans les haubans, qui habitaient dans les hunes 1 Mais tout son grand effort pour s'en aller n'aboutissait qu'à un soulèvement de sa tête et de son cou affaibli, — quelque chose comme ces mouvements incomplets que l'on fait pendant le sommeil. — Eh 1 non, il ne pouvait plus, il retombait dans les mêmes creux de son lit défait, déjà englué là par la mort ; et chaque fois, après la fatigue d'une telle secousse, il perdait pour un instant conscience de tout. Pour lui faire plaisir, on finit par ouvrir un sabord, bien que ce fût encore dangereux, la mer n'étant pas assez calmée. C'était le soir, vers six heures. Quand cet auvent de fer fut soulevé, il entra de la lumière seulement, de l'éblouissante lumière rouge. Le soleil couchant apparaissait à l'horizon avec une extrême splendeur, dans la déchirure d'un ciel sombre ; sa lueur aveuglante se promenait au roulis, et il éclairait cet hôpital en vacillant, comme une torche que l'on balance. De l'air, non, il n'en vint point ; le peu qu'il y en avait dehors était impuissant à entrer ici, à chasser les senteurs de la fièvre. Partout, à l'infini, sur cette mer équatoriale, ce n'était qu'humidité chaude, que lourdeur irrespirable. Pas d'air nulle part, pas même pour les mourants qui haletaient. ...Une dernière vision l'agita beaucoup : sa vieille grand'mère, passant sur un chemin, très vite, avec une expression d'anxiété déchirante; la pluie tombait sur elle, de nuages bas et funèbres ; elle se rendait à Paimpol, mandée au bureau de la marine pouf y être informée qu'il était mort. Il se débattait maintenant ; il râlait. On épongeait aux coins de sa bouche de l'eau et du sang, qui étaient remontés de sa poitrine, à flots, pendant ses contorsions d'agonie. Et le soleil magnifique l'éclairait toujours; au couchant, on eût dit l'incendie de tout un monde, avec du sang plein les nuages; par le trou de ce sabord ouvert entrait une large bande de feu rouge, qui venait finir sur le lit de Sylvestre, faire un nimbe autour de lui. ...A ce moment, ce soleil se voyait aussi, là-bas, en Bretagne, où midi allait sonner. Il était bien le même soleil, et au même instant précis de la durée sans fin ; là, pourtant, il avait une couleur très différente; il éclairait d'une douce lumière blanche la grand'mère Yvonne, qui travaillait à coudre, assise sur sa porte. En Islande, où c'était le matin, il paraissait aussi, à cette même minute de mort. Pâli davantage, on eût dit qu'il ne parvenait à être vu là que par une sorte de tour de force d'obliquité. Il rayonnait tristement, dans un fiord où dérivait la Marie, et son ciel était cette fois d'une de ces puretés hyperboréennes qui éveillent des idées de planètes refroidies n'ayant plus d'atmosphère. Avec une netteté glacée il accentuait les détails de ce chaos de pierres qui est l'Islande : tout ce pays, vu de la Marie, semblait plaqué sur un même plan et se tenir debout. Yann, qui était là, éclairé un peu étrangement lui aussi, pêchait comme d'habitude au milieu de ces aspects lunaires. Au moment où cette traînée de feu rouge, qui entrait par ce sabord de navire, s'éteignit, où le soleil équatorial disparut tout à fait dans les eaux dorées, on vit les yeux du petit-fils mourant se chavirer, se retourner vers le front comme pour disparaître dans la tête. Alors on abaissa dessus les paupières avec leurs longs cils, et Sylvestre redevint très beau et calme, comme un marbre couché....

(Pêcheur d'Islande, Calmann-Lévy, éditeur.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Nature du morceau : une narration. — Narration pleine d'intérêt et empreinte d'un profond sentiment de pitié. — Le jeune Breton Sylvestre a été grièvement blessé : où? On le ramène en France : où l'a-t-on placé ? La mort ne se produit pas brusquement : montrez que l'état du blessé s'aggrave peu à peu et devient désespéré; parlez aussi des sentiments qu'il éprouve et des visions qui s'offrent à son pauvre cerveau mourant; En quoi vous paraît consister l'unité du morceau? (progrès du mal, chez Sylvestre... ; le suivre du commencement à la fin); Quelle impression laisse en vous cette lecture?

II. — L'analyse du morceau. — Distinguez les différentes parties du morceau : a) Au début, un léger mieux, dans l'état de Sylvestre; b) Le mal s'aggrave, et la mort ne peut être évitée; c) L'agonie; ses phases :il allait plus — il sentait la mort venir, — il râlait...; d) La mort; Sylvestre se résigne-t-il à mourir? (ses rages désespérées...) ; Quelles sont les visions qui hantent son cerveau? Quelle est la vision de Bretagne qui cause en lui une très vive agitation ? Comment vous expliquez-vous qu'il ait des visions d'Islande? Pourquoi demande-t-il de l'air? Faites ressortir le contraste saisissant produit par la vue du moribond et l'entrée dans l'hôpital mouvant des éblouissants rayons d'un soleil magnifique.

III. — Le style; -- les expressions. — Attachez-vous à montrer le réalisme de ce récit (d'où l'emploi d'expressions imagées : il était couché sur son côté percé; il comprimait...; il retombait dans les mêmes creux de son lit défait, déjà englué par la mort.... La belle image de la fin est à citer également : « Sylvestre redevint très beau et calme, comme un marbre couché «; Faites remarquer que le style est empreint d'une sensibilité contenue (Beaucoup de ces petits lits s'étaient débarrassés de leur Pauvre contenu... ; il allait plus mal, lui; c'était la fin... ; les figures aimées venaient se pencher vers lui...; sa vieille grand'mère, passant sur un chemin, très vite, avec une expression d'anxiété déchirante...); Faites ressortir la précision des termes (l'angoisse suprême..., l'éblouissante lumière rouge..., des nuages bas et funèbres...); Quel est le sens de chacune des expressions suivantes : en sens inverse, — le plein vent des hunes, — le journal naïf? Que signifient les mots : coffret, feuillet ? (nature des mots terminés par le suffixe et) ?

IV. — La grammaire. — Distinguez les propositions contenues dans la première phrase du morceau; — nature de chacune d'elles; Indiquez les verbes pronominaux employés dans le dernier alinéa; 30 Fonction du mot marbre, à la fin de ce même alinéa.

Rédaction. — Sylvestre, sur le navire qui revient en France, songe à sa vieille grand'mère et à sa Bretagne. — Comment lui apparaissent-elles? -- Quels sentiments doit-il alors éprouver.?   

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« disparut tout à fait dans les eaux dorées, on vit les yeux du petit-fils mourant se chavirer, se retourner vers le frontcomme pour disparaître dans la tête.

Alors on abaissa dessus les paupières avec leurs longs cils, et Sylvestreredevint très beau et calme, comme un marbre couché.... (Pêcheur d'Islande, Calmann-Lévy, éditeur.) QUESTIONS D'EXAMEN I.

— L'ensemble.

— Nature du morceau : une narration.

— Narration pleine d'intérêt et empreinte d'un profondsentiment de pitié.

— Le jeune Breton Sylvestre a été grièvement blessé : où? On le ramène en France : où l'a-t-onplacé ? La mort ne se produit pas brusquement : montrez que l'état du blessé s'aggrave peu à peu et devientdésespéré; parlez aussi des sentiments qu'il éprouve et des visions qui s'offrent à son pauvre cerveau mourant; Enquoi vous paraît consister l'unité du morceau? (progrès du mal, chez Sylvestre...

; le suivre du commencement à lafin); Quelle impression laisse en vous cette lecture? II.

— L'analyse du morceau.

— Distinguez les différentes parties du morceau : a) Au début, un léger mieux, dansl'état de Sylvestre; b) Le mal s'aggrave, et la mort ne peut être évitée; c) L'agonie; ses phases :il allait plus — ilsentait la mort venir, — il râlait...; d) La mort; Sylvestre se résigne-t-il à mourir? (ses rages désespérées...) ;Quelles sont les visions qui hantent son cerveau? Quelle est la vision de Bretagne qui cause en lui une très viveagitation ? Comment vous expliquez-vous qu'il ait des visions d'Islande? Pourquoi demande-t-il de l'air? Faitesressortir le contraste saisissant produit par la vue du moribond et l'entrée dans l'hôpital mouvant des éblouissantsrayons d'un soleil magnifique. III.

— Le style; -- les expressions.

— Attachez-vous à montrer le réalisme de ce récit (d'où l'emploi d'expressionsimagées : il était couché sur son côté percé; il comprimait...; il retombait dans les mêmes creux de son lit défait,déjà englué par la mort....

La belle image de la fin est à citer également : « Sylvestre redevint très beau et calme,comme un marbre couché »; Faites remarquer que le style est empreint d'une sensibilité contenue (Beaucoup de cespetits lits s'étaient débarrassés de leur Pauvre contenu...

; il allait plus mal, lui; c'était la fin...

; les figures aiméesvenaient se pencher vers lui...; sa vieille grand'mère, passant sur un chemin, très vite, avec une expressiond'anxiété déchirante...); Faites ressortir la précision des termes (l'angoisse suprême..., l'éblouissante lumièrerouge..., des nuages bas et funèbres...); Quel est le sens de chacune des expressions suivantes : en sens inverse,— le plein vent des hunes, — le journal naïf? Que signifient les mots : coffret, feuillet ? (nature des mots terminéspar le suffixe et) ? IV.

— La grammaire.

— Distinguez les propositions contenues dans la première phrase du morceau; — nature dechacune d'elles; Indiquez les verbes pronominaux employés dans le dernier alinéa; 30 Fonction du mot marbre, à lafin de ce même alinéa. Rédaction.

— Sylvestre, sur le navire qui revient en France, songe à sa vieille grand'mère et à sa Bretagne.

—Comment lui apparaissent-elles? -- Quels sentiments doit-il alors éprouver.?. »

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