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La pensée et les apparences

Publié le 12/06/2011

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« Que toute notre connaissance commence avec l'expérience, cela ne soulève aucun doute. En effet, par quoi notre pouvoir de connaître pourrait-il être éveillé et mis en action, si ce n'est par des objets qui frappent nos sens et qui, d'une part, produisent par eux-mêmes des représentations et, d'autre part, mettent en mouvement notre faculté intellectuelle afin qu'elle compare, lie ou sépare ces représentations et travaille ainsi la matière brute des impressions sensibles pour en tirer une connaissance des objets, celle qu'on nomme l'expérience ? Ainsi, chronologiquement, aucune connaissance ne précède en nous l'expérience et c'est avec elle que toutes commencent. « Mais si toute notre connaissance débute avec l'expérience, cela ne prouve pas qu'elle dérive toute de l'expérience, car il se pourrait bien que même notre connaissance par expérience fût un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de ce que notre propre pouvoir de connaître (simplement excité par des impressions sensibles) produit de lui-même : addition que nous ne distinguons pas de la matière première jusqu'à ce que notre attention y ait été portée par un long exercice qui nous ait appris à l'en séparer. « C'est donc au moins une question qui exige encore un examen plus approfondi et que l'on ne saurait résoudre du premier coup d'oeil que celle de savoir s'il y a une connaissance de ce genre, indépendante de l'expérience et même de toutes les impressions des sens. De telles connaissances sont appelées a priori et l'on distingue des empiriques qui ont leur source a posteriori, à savoir dans l'expérience. «

Emmanuel KANT, philosophe allemand (1724-1804) Critique de la raison pure (introduction), PUF.

« C'est au moyen de la sensibilité que des objets nous sont donnés, seule elle nous fournit des intuitions ; mais c'est l'entendement qui pense ces objets et c'est de lui que naissent les concepts. «

Emmanuel KANT, Critique de la raison pure, Esthétique transcendentale. « Si quelqu'un me demandait où il faut se placer pour apercevoir que le système de Copernic est vrai, je lui dirais : "Ici où vous êtes, et n'importe où." Le système de Copernic n'est qu'une manière de penser les apparences de ces belles nuits hivernales. On lit quelquefois que Copernic a vu les choses du Soleil, abandonnant par la pensée cette petite Terre où l'observation est trompeuse. C'est parler trop vite. Un spectateur placé sur le Soleil verrait d'autres apparences, mais ce seraient toujours des apparences ; personne ne peut jamais voir autre chose que la perspective du système de Copernic, et cette perspective dépend du point que l'on choisit ; il faut toujours remonter de l'apparence à la chose ; il n'y a point au monde de lunette ni d'observatoire d'où l'on voie autre chose que des apparences. La perception droite, ou, si l'on veut, la science, consiste à se faire une idée exacte de la chose, d'après laquelle idée on pourra expliquer toutes les apparences. Par exemple, on peut penser le Soleil à deux cents pas en l'air ; on expliquera ainsi qu'il passe au-dessus des arbres et de la colline ; mais on n'expliquera pas bien que les ombres soient toutes parallèles ; on expliquera encore moins que le Soleil se couche au-delà des objets les plus lointains ; on n'expliquera nullement comment deux visées vers le centre du Soleil, aux deux extrémités d'une base de cent mètres, soient comme parallèles. Et, en suivant cette idée, on arrive peu à peu à reculer le Soleil, d'abord au-delà de la Lune, et ensuite bien loin au-delà de la Lune, d'où l'on concluera que le Soleil est fort gros. Je ne vois point que le Soleil est bien plus gros que la Terre ; mais je pense qu'il est ainsi. Il n'y a point d'instrument qui me fera voir cette pensée comme vraie. « Cette remarque assez simple mettrait sans doute un peu d'ordre dans ces discussions que l'on peut lire partout sur la valeur des hypothèses scientifiques. Car ceux qui se sont instruits trop vite et qui n'ont jamais réfléchi sur des exemples simples, voudraient qu'on leur montre la vérité comme on voit la Lune grossie dans une lunette. Mais, si grossie que soit la Lune, elle n'est toujours qu'une apparence sur laquelle il faut raisonner. «

ALAIN, Les Vigiles de l'esprit, Gallimard.   

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