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LA ROCHEFOUCAULD. Maximes.

Publié le 12/07/2011

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LA ROCHEFOUCAULD (1613-1689). — Ayant participé à la Fronde, il fut forcé, malgré son origine illustre, de vivre dans une demi-retraite; sa rancœur personnelle, sa connaissance aiguë de l'humanité, se manifestèrent dans ses Maximes, parues en 1663. Il fut l'hôte assidu du Salon de Mme de Sablé, d'abord, puis de celui de Mme de la Fayette, dont l'amitié adoucit sa vie. Il y rencontra souvent Mme de Sévigné. La Rochefoucauld est le grand moraliste de cette période. Il en reflète Vacuité de l'observation, la simplicité de l'expression, le pessimisme des conclusions. Si son système est exagéré et faux, comme tous les systèmes, il n'en a pas moins jeté un admirable coup de sonde dans l'âme humaine, en nous aidant à démasquer au fond de nous, les faiblesses, les hypocrisies, les lâchetés dont, parfois même, nous ne nous rendons pas compte. Son style nu et pur accentue encore le caractère universel de son œuvre. Aucun détail de costume, de manie, d'époque, aucune satire politique, ne vient, dans les Maximes de La Rochefoucauld, nous distraire de la pensée de l'homme, en général, c'est-à-dire de chacun de nous. Par ce trait, c'est encore line œuvre bien classique.  

Maximes.

Les défauts de l'esprit augmentent en vieillissant, comme ceux du visage. Il y a de bons mariages; mais il n'y en a point de délicieux. On ne peut se consoler d'être trompé par ses ennemis et trahi par ses amis, et l'on est souvent satisfait de l'être par soi- même. Il est aussi facile de se tromper soi-même sans s'en apercevoir qu'il est difficile de tromper les autres sans qu'ils s'en aperçoivent. Rien n'est moins sincère que la manière de demander et de donner des conseils. Celui qui en demande paraît avoir une déférence respectueuse pour les sentiments de son ami, bien qu'il ne pense qu'à lui faire approuver le« siens et à le rendre garant de sa conduite; et celui qui conseille paye la confiance qu'on lui témoigne d'un zèle ardent et désintéressé, quoiqu'il ne cherche le plus souvent dans les conseils qu'il donne que son propre intérêt ou sa gloire. Il y a des gens qui n'auraient jamais été amoureux s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour. On parle peu quand la vanité ne fait pas parler. On aime mieux dire du mal de soi-même que de n'en point parler. Une des choses qui font que l'on trouve si peu de gens qui paraissent raisonnables et agréables dans la conversation, c'est qu'il n'y a presque personne qui ne pense plutôt à ce qu'il veut dire qu'à répondre précisément à ce qu'on lui dit. Les plus habiles et les plus complaisants se contentent de montrer seulement une mine attentive, en même temps que l'on voit dans leurs yeux et dans leur esprit un égarement pour ce qu'on leur dit et une précipitation pour retourner à ce qu'ils veulent dire; au lieu de considérer que c'est un mauvais moyen de plaire aux autres ou de les persuader, que de chercher si fort à se plaire à soi- même, et que bien écouter et bien répondre est une des plus grandes perfections qu'on puisse avoir dans la conversation. Un homme d'esprit serait souvent bien embarrassé sans la compagnie des sots. Nous nous vantons souvent de ne nous point ennuyer, nous sommes si glorieux que nous ne voulons pas nous trouver de mauvaise compagnie. L'espérance, toute trompeuse qu'elle est, sert au moins à nous mener à la fin de la vie par un chemin agréable. Pendant que la paresse et la timidité nous retiennent dans notre devoir, notre vertu en a souvent tout l'honneur. Il est difficile de démêler si un procédé net, sincère et honnête est un effet de probité ou d'habileté. Les vertus se perdent dans l'intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer. Si l'on examine bien les divers effets de l'ennui, on trouvera qu'il fait manquer à plus de devoirs que l'intérêt. Il y a diverses sortes de curiosité; l'une d'intérêt, qui nous porte à désirer d'apprendre ce qui nous peut être utile; et l'autre d'orgueil, qui vient du désir de savoir ce que les autres ignorent. Il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent qu'à prévoir celles qui nous peuvent arriver. Il y a deux sortes de constances en amour: l'une vient de ce que l'on trouve sans cesse dans la personne que l'on aime de nouveaux sujets d aimer, et l'autre vient de ce qu'on se fait un honneur d'être constant. La persévérance n'est digne ni de blâme, ni de louange, parce qu'elle n'est que la durée des goûts et des sentiments qu'on ne s'ôte et qu'on ne se donne point. Ce qui nous fait aimer les nouvelles connaissances n'est pas tant la lassitude que nous avons des vieilles, ou le plaisir de les changer, que le dégoût de n'être pas assez admirés de ceux qui nous connaissent trop, et l'espérance de l'être davantage de ceux qui ne nous connaissent pas tant.

 

L'ensemble. — Les Maximes de La Rochefoucauld sont plus faciles à méditer qu'à commenter. Nous voyons combien l'auteur est habile à démasquer tous les défauts humains : hypocrisie, amour- propre, vanité, égoïsme... Nous pouvons remarquer sa connaissance du cœur humain, son esprit d'observation. Il sait combien l'homme est entêté de lui-même et à quel point il cherche toujours à se faire valoir, ce qui le rend justement peu agréable dans le monde et difficile à vivre en société. Poussé par cette juste méfiance à l'égard de l'humanité, La Rochefoucauld va parfois un peu loin et il ne croit pas assez à ce qu'il peut y avoir de bon dans certains cœurs, c'est ce qui lui fait dire que « les vertus se perdent dans l'intérêt comme les fleuves dans la mer «. L'affirmation est sans doute trop absolue, mais la vertu parfaitement pure n'est-elle pas très rare ?

Le style. — La Rochefoucauld est, parmi les grands moralistes du XVIIe siècle, celui qui appartient le plus nettement à l'école de 1660 par sa pensée comme par son style. Il écrit d'une façon pure et précise, sans détails de mœurs, ni d'époque, sans chercher à retenir l'attention par le pittoresque de la forme. Ses phrases, un peu sèches parfois, sont remarquables de concision et de force. L'ensemble est clair; peu de mots demandent à être expliqués.

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