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La rotisserie de la Reine Pedauque --Comme je vous vois, répondit M.

Publié le 11/04/2014

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La rotisserie de la Reine Pedauque --Comme je vous vois, répondit M. d'Astarac, et même de plus près, au moins en ce qui regarde les Salamandres. --Monsieur, ce n'est point encore assez, reprit mon bon maître, pour croire à leur existence, qui est contraire aux enseignements de l'Église. Car on peut être séduit par des illusions. Les yeux et tous nos sens ne sont que des messagers d'erreurs et des courriers de mensonges. Ils nous abusent plus qu'ils ne nous instruisent. Ils ne nous apportent que des images incertaines et fugitives. La vérité leur échappe; participant de son principe éternel, elle est invisible comme lui. --Ah! dit M. d'Astarac, je ne vous savais pas si philosophe ni d'un esprit si subtil. --C'est vrai, répondit mon bon maître. Il est des jours où j'ai l'âme plus pesante et plus attachée au lit et à la table. Mais j'ai, cette nuit, cassé une bouteille sur la tète d'un publicain, et mes esprits en sont extraordinairement exaltés. Je me sens capable de dissiper les fantômes qui vous hantent et de souffler sur toute cette fumée. Car, enfin, monsieur, ces Sylphes ne sont que les vapeurs de votre cerveau. M. d'Astarac l'arrêta par un geste doux et lui dit: --Pardon! monsieur l'abbé; croyez-vous aux démons? --Je vous répondrai sans difficulté, dit mon bon maître, que je crois des démons tout ce qui est rapporté d'eux dans les livres saints, et que je rejette comme abus et superstition la croyance aux sortilèges, amulettes et exorcismes. Saint Augustin enseigne que quand l'Écriture nous exhorte à résister aux démons, elle entend que nous devons résister à nos passions et à nos appétits déréglés. Rien n'est plus détestable que toutes ces diableries dont les capucins effrayent les bonnes femmes. --Je vois, dit M. d'Astarac, que vous vous efforcez de penser en honnête homme. Vous haïssez les superstitions grossières des moines autant que je les déteste moi-même. Mais enfin, vous croyez aux démons, et je n'ai pas eu de peine à vous en tirer l'aveu. Sachez donc qu'ils ne sont autres que les Sylphes et les Salamandres. L'ignorance et la peur les ont défigurés dans les imaginations timides. Mais, en réalité, ils sont beaux et vertueux. Je ne vous mettrai point sur les chemins des Salamandres, n'étant pas assez assuré de la pureté de vos moeurs; mais rien n'empêche que je vous induise, monsieur l'abbé, à la fréquentation des Sylphes, qui habitent les plaines de l'air et qui s'approchent volontiers des hommes avec un esprit bienveillant et si affectueux, qu'on a pu les nommer des Génies assistants. Loin de nous pousser à notre perte, comme le croient les théologiens qui en font des diables, ils protègent et gardent de tout péril leurs amis terrestres. Je pourrais vous faire connaître des exemples infinis de l'aide qu'ils leur donnent. Mais comme il faut se borner, je m'autoriserai seulement d'un récit que je tiens de madame la maréchale de Grancey elle-même. Elle était sur l'âge et veuve déjà depuis plusieurs années, quand elle reçut, une nuit, dans son lit, la visite d'un Sylphe qui lui dit: "Madame, faites fouiller dans la garde-robe de feu votre époux. Il se trouve dans la poche d'un de ses hauts-de-chausses une lettre qui, si elle était connue, perdrait M. des Roches, mon bon ami et le vôtre. Faites-vous la remettre et ayez soin de la brûler." "La maréchale promit de ne point négliger cet avis et elle demanda des nouvelles du défunt maréchal au Sylphe, qui disparut sans lui répondre. A son réveil, elle appela ses femmes et les envoya voir s'il ne restait pas quelques habits du maréchal dans sa garderobe. Elles répondirent qu'il n'en restait aucun et que les laquais les avaient tous vendus au fripier. Madame de Grancey insista pour qu'elles cherchassent s'il ne se trouvait pas au moins une paire de chausses. "Ayant fouillé dans tous les coins, elles découvrirent enfin une vieille culotte de taffetas noir à oeillets, de mode ancienne, qu'elles apportèrent à la maréchale. Celle-ci mit la main dans une des poches et en tira une lettre qu'elle ouvrit et où elle trouva plus qu'il n'en fallait pour faire mettre M. des Roches dans une prison La rotisserie de la Reine Pedauque 77 La rotisserie de la Reine Pedauque d'État. Elle n'eut rien de si pressé que de jeter cette lettre au feu. Ainsi, ce gentilhomme fut sauvé par ses bons amis, le Sylphe et la maréchale. "Sont-ce là, je vous prie, monsieur l'abbé, des moeurs de démons? Mais je vais vous rapporter un trait auquel vous serez plus sensible, et qui, j'en suis sûr, ira au coeur d'un savant homme tel que vous. Vous n'ignorez point que l'Académie de Dijon est fertile en beaux esprits. L'un d'eux, dont le nom ne vous est point inconnu, vivant au siècle dernier, préparait, en de doctes veilles, une édition de Pindare. Une nuit qu'il avait pâli sur cinq vers dont il ne pouvait démêler le sens parce que le texte en était très corrompu, il s'endormit désespéré, au chant du coq. Pendant son sommeil, un Sylphe, qui l'aimait, le transporta en esprit à Stockholm, l'introduisit dans le palais de la reine Christine, le conduisit dans la bibliothèque et tira d'une des tablettes un manuscrit de Pindare, qu'il lui ouvrit à l'endroit difficile. Les cinq vers s'y trouvaient avec deux ou trois bonnes leçons qui les rendaient tout à fait intelligibles. "Dans la violence de son contentement, notre savant se réveilla, battit le briquet et nota tout aussitôt au crayon les vers tels qu'il les avait retenus. Après quoi il se rendormit profondément. Le lendemain, réfléchissant sur son aventure nocturne, il résolut d'en être éclairci. M. Descartes était alors en Suède, auprès de la reine, qu'il instruisait de sa philosophie. Notre pindariste le connaissait; mais il était en commerce plus familier avec l'ambassadeur du roi de Suède en France, M. Chanut. C'est à lui qu'il s'adressa pour faire tenir à M. Descartes une lettre par laquelle il le priait de lui dire s'il se trouvait réellement dans la bibliothèque de la Reine, à Stockholm, un manuscrit de Pindare contenant la variante qu'il lui désignait. M. Descartes, qui était d'une extrême civilité, répondit à l'académicien de Dijon que Sa Majesté possédait en effet ce manuscrit et qu'il y avait lu, lui-même, les vers avec la variante contenue dans la lettre. M. d'Astarac, ayant conté cette histoire en pelant une pomme, regarda l'abbé Coignard pour jouir du succès de son discours. Mon bon maître souriait. --Ah! monsieur, dit-il, je vois bien que je me flattais tout à l'heure d'une vaine espérance, et qu'on ne vous fera point renoncer à vos chimères. Je confesse de bonne grâce que vous nous avez fait paraître là un Sylphe ingénieux et que je voudrais avoir un aussi gentil secrétaire. Son secours me serait particulièrement utile en deux ou trois endroits de Zozime le Panopolitain, qui sont des plus obscurs. Ne pourriez-vous me donner le moyen d'évoquer au besoin quelque Sylphe de bibliothèque, aussi habile que celui de Dijon? M. d'Astarac répondit gravement: --C'est un secret, monsieur l'abbé, que je vous livrerai volontiers. Mais je vous avertis que si vous le communiquez aux profanes votre perte est certaine. --N'en ayez aucune inquiétude, dit l'abbé. J'ai grande envie de connaître un si beau secret, bien qu'à ne vous rien cacher, je n'en attende nul effet, ne croyant point à vos Sylphes. Instruisez-moi donc, s'il vous plaît. --Vous l'exigez? reprit le cabbaliste. Sachez donc que quand vous voudrez être assisté d'un Sylphe, vous n'aurez qu'à prononcer ce seul mot Agla. Aussitôt les fils de l'air voleront vers vous; mais vous entendez bien, monsieur l'abbé, que ce mot doit être récité du coeur aussi bien que des lèvres et que la foi lui donne toute sa vertu. Sans elle, il n'est qu'un vain murmure. Et tel que je viens de le prononcer, sans y mettre d'âme ni de désir, il n'a, même dans ma bouche, qu'une faible puissance, et c'est tout au plus si quelques enfants du jour, en l'entendant, viennent de glisser dans cette chambre leur légère ombre de lumière. Je les ai plutôt devinés que vus sur ce rideau, et ils se sont évanouis à peine formés. Vous n'avez, ni votre élève ni vous, soupçonné leur présence. Mais si j'avais prononcé ce mot magique avec un véritable sentiment, vous les eussiez vus paraître dans tout leur éclat. Ils sont d'une beauté charmante. Je vous ai appris là, monsieur l'abbé, un grand et La rotisserie de la Reine Pedauque 78

« d'État.

Elle n'eut rien de si pressé que de jeter cette lettre au feu.

Ainsi, ce gentilhomme fut sauvé par ses bons amis, le Sylphe et la maréchale. “Sont-ce là, je vous prie, monsieur l'abbé, des moeurs de démons? Mais je vais vous rapporter un trait auquel vous serez plus sensible, et qui, j'en suis sûr, ira au coeur d'un savant homme tel que vous.

Vous n'ignorez point que l'Académie de Dijon est fertile en beaux esprits.

L'un d'eux, dont le nom ne vous est point inconnu, vivant au siècle dernier, préparait, en de doctes veilles, une édition de Pindare.

Une nuit qu'il avait pâli sur cinq vers dont il ne pouvait démêler le sens parce que le texte en était très corrompu, il s'endormit désespéré, au chant du coq.

Pendant son sommeil, un Sylphe, qui l'aimait, le transporta en esprit à Stockholm, l'introduisit dans le palais de la reine Christine, le conduisit dans la bibliothèque et tira d'une des tablettes un manuscrit de Pindare, qu'il lui ouvrit à l'endroit difficile.

Les cinq vers s'y trouvaient avec deux ou trois bonnes leçons qui les rendaient tout à fait intelligibles. “Dans la violence de son contentement, notre savant se réveilla, battit le briquet et nota tout aussitôt au crayon les vers tels qu'il les avait retenus.

Après quoi il se rendormit profondément.

Le lendemain, réfléchissant sur son aventure nocturne, il résolut d'en être éclairci.

M.

Descartes était alors en Suède, auprès de la reine, qu'il instruisait de sa philosophie.

Notre pindariste le connaissait; mais il était en commerce plus familier avec l'ambassadeur du roi de Suède en France, M.

Chanut.

C'est à lui qu'il s'adressa pour faire tenir à M.

Descartes une lettre par laquelle il le priait de lui dire s'il se trouvait réellement dans la bibliothèque de la Reine, à Stockholm, un manuscrit de Pindare contenant la variante qu'il lui désignait.

M.

Descartes, qui était d'une extrême civilité, répondit à l'académicien de Dijon que Sa Majesté possédait en effet ce manuscrit et qu'il y avait lu, lui-même, les vers avec la variante contenue dans la lettre. M.

d'Astarac, ayant conté cette histoire en pelant une pomme, regarda l'abbé Coignard pour jouir du succès de son discours. Mon bon maître souriait. —Ah! monsieur, dit-il, je vois bien que je me flattais tout à l'heure d'une vaine espérance, et qu'on ne vous fera point renoncer à vos chimères.

Je confesse de bonne grâce que vous nous avez fait paraître là un Sylphe ingénieux et que je voudrais avoir un aussi gentil secrétaire.

Son secours me serait particulièrement utile en deux ou trois endroits de Zozime le Panopolitain, qui sont des plus obscurs.

Ne pourriez-vous me donner le moyen d'évoquer au besoin quelque Sylphe de bibliothèque, aussi habile que celui de Dijon? M.

d'Astarac répondit gravement: —C'est un secret, monsieur l'abbé, que je vous livrerai volontiers.

Mais je vous avertis que si vous le communiquez aux profanes votre perte est certaine. —N'en ayez aucune inquiétude, dit l'abbé.

J'ai grande envie de connaître un si beau secret, bien qu'à ne vous rien cacher, je n'en attende nul effet, ne croyant point à vos Sylphes.

Instruisez-moi donc, s'il vous plaît. —Vous l'exigez? reprit le cabbaliste.

Sachez donc que quand vous voudrez être assisté d'un Sylphe, vous n'aurez qu'à prononcer ce seul mot Agla.

Aussitôt les fils de l'air voleront vers vous; mais vous entendez bien, monsieur l'abbé, que ce mot doit être récité du coeur aussi bien que des lèvres et que la foi lui donne toute sa vertu.

Sans elle, il n'est qu'un vain murmure.

Et tel que je viens de le prononcer, sans y mettre d'âme ni de désir, il n'a, même dans ma bouche, qu'une faible puissance, et c'est tout au plus si quelques enfants du jour, en l'entendant, viennent de glisser dans cette chambre leur légère ombre de lumière.

Je les ai plutôt devinés que vus sur ce rideau, et ils se sont évanouis à peine formés.

Vous n'avez, ni votre élève ni vous, soupçonné leur présence.

Mais si j'avais prononcé ce mot magique avec un véritable sentiment, vous les eussiez vus paraître dans tout leur éclat.

Ils sont d'une beauté charmante.

Je vous ai appris là, monsieur l'abbé, un grand et La rotisserie de la Reine Pedauque La rotisserie de la Reine Pedauque 78. »

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