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La Terre maintenait son gain d'un air de tranquille obstination.

Publié le 11/04/2014

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La Terre maintenait son gain d'un air de tranquille obstination. Pourtant, il paraissait avoir tort. Cela n'en finissait plus. Jesus-Christ, furieux, en arrivait a gueuler si haut, que le patron intervint. Alors, il se leva, circula de table en table, avec un acharnement d'ivrogne, promenant ses cartes, pour soumettre le coup aux autres consommateurs. Il assommait tout le monde. Et il se remit a crier, il revint vers le vieux, qui, fort de son mauvais droit, restait stoique sous les injures. --Lache! feignant! sors donc un peu, que je te demolisse! Puis, brusquement, Jesus-Christ reprit sa chaise en face de l'autre; et, calme: --Moi, je sais un jeu... Faut parier, hein! veux-tu? Il avait sorti une poignee de pieces de cent sous, quinze a vingt, et il les planta en une seule pile devant lui. --V'la ce que c'est... Mets-en autant. Le vieux, interesse, sortit sa bourse sans une parole, dressa une pile egale. --Alors, moi, j'en prends une a ton tas, et regarde! Il saisit la piece, se la posa gravement sur la langue comme une hostie, puis, d'un coup de gosier, l'avala. --A ton tour, prends a mon tas... Et celui qui en mange le plus a l'autre, les garde. V'la le jeu! Les yeux ecarquilles, le vieux accepta, fit disparaitre une premiere piece avec peine. Seulement, Jesus-Christ, tout en criant qu'il n'y avait pas besoin de se presser, gobait les ecus comme des pruneaux. Au cinquieme, il y eut une rumeur dans le cafe, un cercle se fit, petrifie d'admiration. Ah! le bougre, quelle gargamelle, pour se coller ainsi de la monnaie dans le gesier! Le vieux avalait sa quatrieme piece, lorsqu'il se renversa, la face violette, etouffant, ralant; et, un moment, on le crut mort. Jesus-Christ s'etait leve, tres a l'aise, l'air goguenard: il en avait pour son compte dix dans l'estomac, c'etait toujours trente francs de gain qu'il emportait. Buteau, inquiet, craignant d'etre compromis, si le vieux ne s'en tirait pas, avait quitte la table; et, comme il regardait les murs d'un oeil vague, sans parler de payer, bien que l'invitation vint de lui, Jean regla la note. Cela acheva de rendre le gaillard tres bon enfant. Dans la cour, apres avoir attele, il prit le camarade aux epaules. --Tu sais, je veux que t'en sois. La noce sera pour dans trois semaines... J'ai passe chez le notaire, j'ai signe l'acte, tous les papiers seront prets. Et, faisant monter Lise dans sa voiture: --Allons, houp! que je te ramene!... Je passerai par Rognes, ca ne m'allongera guere. Jean revint seul dans sa voiture. Il trouvait ca naturel, il les suivit. Cloyes dormait, retombe a sa paix morte, eclaire par les etoiles jaunes des reverberes; et, de la cohue du marche, on n'entendait plus; que le pas attarde et trebuchant d'un paysan ivre. Puis, la route s'etendit toute noire. Il finit pourtant par apercevoir l'autre voiture, celle qui emportait le menage. Ca valait mieux, c'etait tres bien. Et il sifflait fortement, rafraichi par la nuit, libre et envahi d'une allegresse. VI 97 La Terre VII On etait de nouveau a l'epoque de la fenaison, par un ciel bleu et tres chaud, que des brises rafraichissaient; et l'on avait fixe le mariage au jour de la Saint-Jean, qui tombait cette annee-la un samedi. Les Fouan avaient bien recommande a Buteau de commencer les invitations par la Grande, l'ainee de la famille. Elle exigeait des egards, en reine riche et redoutee. Aussi Buteau, un soir, s'en alla-t-il avec Lise, tous les deux endimanches, la prier d'assister a la noce, a la ceremonie, puis au repas, qui devait avoir lieu chez la mariee. La Grande tricotait, seule dans sa cuisine; et, sans ralentir le jeu des aiguilles, elle les regarda fixement, elle les laissa s'expliquer, redire a trois reprises les memes phrases. Enfin, de sa voix aigue: --A la noce, ah! non, bien sur!... Qu'est-ce que j'irais faire, a la noce?... C'est bon pour ceux qui s'amusent. Ils avaient vu sa face de parchemin se colorer, a l'idee de cette bombance qui ne lui couterait rien; ils etaient certains qu'elle accepterait; mais l'usage voulait qu'on la priat beaucoup. --Ma tante, la, vrai! ca ne peut pas se passer sans vous. --Non, non, ce n'est point fait pour moi. Est-ce que j'ai le temps, est-ce que j'ai de quoi me mettre? C'est toujours de la depense... On vit bien sans aller a la noce. Ils durent repeter dix fois l'invitation, et elle finit par dire d'un air maussade: --C'est bon, puisque c'est force, j'irai. Mais faut que ce soit vous pour que je me derange. Alors, en voyant qu'ils ne partaient pas, un combat se livra en elle, car d'habitude, dans cette circonstance, on offrait un verre de vin. Elle se decida, descendit a la cave, bien qu'il y eut la une bouteille entamee. C'etait qu'elle avait, pour ces occasions, un reste de vin tourne, qu'elle ne pouvait boire, tant il etait aigre, et qu'elle appelait du chasse-cousin. Elle emplit deux verres, elle regarda son neveu et sa niece d'un oeil si rond, qu'ils durent les vider sans une grimace, pour ne pas la blesser. Ils la quitterent, la gorge en feu. Ce meme soir, Buteau et Lise se rendirent a Roseblanche, chez les Charles. Mais, la, ils tomberent au-milieu d'une aventure tragique. M. Charles etait dans son jardin, tres agite. Sans doute une violente emotion venait de le saisir, au moment ou il nettoyait un rosier grimpant, car il tenait son secateur a la main, et l'echelle etait encore contre le mur. Il se contraignit pourtant, il les fit entrer au salon, ou Elodie brodait de son air modeste. --Ah! vous vous mariez dans huit jours. C'est tres bien, mes enfants... Mais nous ne pourrons etre des votres, Mme Charles est a Chartres, elle y restera une quinzaine. Il souleva ses paupieres lourdes, pour jeter un regard vers la jeune fille. --Oui, dans les moments de presse, aux grandes foires, Mme Charles va donner la-bas un coup de main a sa fille... Vous savez, le commerce est le commerce, il y a des jours ou l'on s'ecrase, dans la boutique. Estelle a beau avoir pris le courant, sa mere lui est bien utile, d'autant plus que, decidement, notre gendre Vaucogne n'en fait guere... Et puis, Mme Charles est heureuse de revoir la maison. Que voulez-vous? nous y avons laisse trente ans de notre vie, ca compte! VII 98

« VII On etait de nouveau a l'epoque de la fenaison, par un ciel bleu et tres chaud, que des brises rafraichissaient; et l'on avait fixe le mariage au jour de la Saint-Jean, qui tombait cette annee-la un samedi. Les Fouan avaient bien recommande a Buteau de commencer les invitations par la Grande, l'ainee de la famille.

Elle exigeait des egards, en reine riche et redoutee.

Aussi Buteau, un soir, s'en alla-t-il avec Lise, tous les deux endimanches, la prier d'assister a la noce, a la ceremonie, puis au repas, qui devait avoir lieu chez la mariee. La Grande tricotait, seule dans sa cuisine; et, sans ralentir le jeu des aiguilles, elle les regarda fixement, elle les laissa s'expliquer, redire a trois reprises les memes phrases.

Enfin, de sa voix aigue: —A la noce, ah! non, bien sur!...

Qu'est-ce que j'irais faire, a la noce?...

C'est bon pour ceux qui s'amusent. Ils avaient vu sa face de parchemin se colorer, a l'idee de cette bombance qui ne lui couterait rien; ils etaient certains qu'elle accepterait; mais l'usage voulait qu'on la priat beaucoup. —Ma tante, la, vrai! ca ne peut pas se passer sans vous. —Non, non, ce n'est point fait pour moi.

Est-ce que j'ai le temps, est-ce que j'ai de quoi me mettre? C'est toujours de la depense...

On vit bien sans aller a la noce. Ils durent repeter dix fois l'invitation, et elle finit par dire d'un air maussade: —C'est bon, puisque c'est force, j'irai.

Mais faut que ce soit vous pour que je me derange. Alors, en voyant qu'ils ne partaient pas, un combat se livra en elle, car d'habitude, dans cette circonstance, on offrait un verre de vin.

Elle se decida, descendit a la cave, bien qu'il y eut la une bouteille entamee.

C'etait qu'elle avait, pour ces occasions, un reste de vin tourne, qu'elle ne pouvait boire, tant il etait aigre, et qu'elle appelait du chasse-cousin.

Elle emplit deux verres, elle regarda son neveu et sa niece d'un oeil si rond, qu'ils durent les vider sans une grimace, pour ne pas la blesser.

Ils la quitterent, la gorge en feu. Ce meme soir, Buteau et Lise se rendirent a Roseblanche, chez les Charles.

Mais, la, ils tomberent au-milieu d'une aventure tragique. M.

Charles etait dans son jardin, tres agite.

Sans doute une violente emotion venait de le saisir, au moment ou il nettoyait un rosier grimpant, car il tenait son secateur a la main, et l'echelle etait encore contre le mur.

Il se contraignit pourtant, il les fit entrer au salon, ou Elodie brodait de son air modeste. —Ah! vous vous mariez dans huit jours.

C'est tres bien, mes enfants...

Mais nous ne pourrons etre des votres, Mme Charles est a Chartres, elle y restera une quinzaine. Il souleva ses paupieres lourdes, pour jeter un regard vers la jeune fille. —Oui, dans les moments de presse, aux grandes foires, Mme Charles va donner la-bas un coup de main a sa fille...

Vous savez, le commerce est le commerce, il y a des jours ou l'on s'ecrase, dans la boutique.

Estelle a beau avoir pris le courant, sa mere lui est bien utile, d'autant plus que, decidement, notre gendre Vaucogne n'en fait guere...

Et puis, Mme Charles est heureuse de revoir la maison.

Que voulez-vous? nous y avons laisse trente ans de notre vie, ca compte! La Terre VII 98. »

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