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La Terre Fouan, hors de lui, maintenait son prix, entrait dans

Publié le 11/04/2014

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La Terre Fouan, hors de lui, maintenait son prix, entrait dans un eloge outre de sa terre, une si bonne terre, qui donnait du ble toute seule, lorsque Delhomme, silencieux jusque-la, declara avec son grand accent d'honnetete: --Ca vaut quatre-vingts francs, pas un sou de plus, pas un sou de moins. Tout de suite, le vieux se calma. --Bon! mettons quatre-vingts; je veux bien faire un sacrifice pour mes enfants. Mais Rose, qui l'avait tire par un coin de sa blouse, lacha un seul mot, la revolte de sa ladrerie: --Non, non! Jesus-Christ s'etait desinteresse. La terre ne lui tenait plus au coeur, depuis ses cinq ans d'Afrique. Il ne brulait que d'un desir, avoir sa part, pour battre monnaie. Aussi continuait-il a se dandiner d'un air goguenard et superieur. --J'ai dit quatre-vingts, criait Fouan, c'est quatre-vingts! Je n'ai jamais eu qu'une parole: devant Dieu, je le jure! Neuf hectares et demi, voyons, ca fait sept cent soixante francs, en chiffres ronds huit cents... Eh bien! la pension sera de huit cents francs, c'est juste! Violemment, Buteau eclata de rire, pendant que Fanny protestait d'un branle de la tete, comme stupefiee. Et M. Baillehache, qui, depuis la discussion, regardait dans son jardin, les yeux vagues, revint a ses clients, sembla les ecouter en se tirant les favoris de son geste maniaque, assoupi par la digestion du fin dejeuner qu'il avait fait. Cette fois, pourtant, le vieux avait raison: c'etait juste. Mais les enfants, echauffes, emportes par la passion de conclure le marche au plus bas prix possible, se montraient terribles, marchandaient, juraient, avec la mauvaise foi des paysans qui achetent un cochon. --Huit cents francs! ricanait Buteau. C'est donc que vous allez vivre comme des bourgeois?... Ah bien! huit cents francs, on mangerait quatre! dites tout de suite que c'est pour vous crever d'indigestion! Fouan ne se fachait pas encore. Il trouvait le marchandage naturel, il faisait simplement face a ce dechainement prevu, allume lui aussi, allant carrement jusqu'au bout de ses exigences. --Et ce n'est pas tout, minute!... Nous gardons jusqu'a notre mort la maison et le jardin, bien entendu... Puis, comme nous ne recolterons plus rien, que nous n'aurons plus les deux vaches, nous voulons par an une piece de vin, cent fagots, et par semaine dix litres de lait, une douzaine d'oeufs et trois fromages. --Oh! papa! gemit douloureusement Fanny atterree, oh! papa! Buteau, lui, ne discutait plus. Il s'etait leve d'un bond, il marchait avec des gestes brusques; meme il avait enfonce sa casquette, pour partir. Jesus-Christ venait egalement de quitter sa chaise, inquiet a l'idee que toutes ces histoires pouvaient faire manquer le partage. Seul, Delhomme restait impassible, un doigt contre son nez, dans une attitude de profonde reflexion et de gros ennui. Alors, M. Baillehache sentit la necessite de hater un peu les choses. Il secoua son assoupissement, et en fouillant ses favoris d'une main plus active: --Vous savez, mes amis, que le vin, les fagots, ainsi que les fromages et les oeufs, sont dans les usages. II 15 La Terre Mais il fut interrompu par une volee de phrases aigres. --Des oeufs avec des poulets dedans, peut-etre! --Est-ce que nous buvons notre vin? nous le vendons! --Ne rien foutre et se chauffer, c'est commode, lorsque vos enfants s'esquintent! Le notaire, qui en avait entendu bien d'autres, continua avec flegme: --Tout ca, ce n'est pas a dire... Saperlotte! Jesus-Christ, asseyez-vous donc! Vous bouchez le jour, c'est agacant!... Et voila qui est entendu, n'est-ce pas, vous tous? Vous donnerez les redevances en nature, parce que vous vous feriez montrer au doigt... Il n'y a donc que le chiffre de la rente a debattre... Delhomme, enfin, fit signe qu'il avait a parler. Chacun venait de reprendre sa place, il dit lentement, au milieu de l'attention generale: --Pardon, ca semble juste, ce que demande le pere. On pourrait lui servir huit cents francs, puisque c'est huit cents francs qu'il louerait son bien... Seulement, nous ne comptons pas ainsi, nous autres. Il ne nous loue pas la terre, il nous la donne, et le calcul est de savoir ce que lui et la mere ont besoin pour vivre... Oui, pas davantage, ce qu'ils ont besoin pour vivre. --En effet, appuya le notaire, c'est ordinairement la base que l'on prend. Et une autre querelle s'eternisa. La vie des deux vieux fut fouillee, etalee, discutee besoin par besoin. On pesa le pain, les legumes, la viande; on estima les vetements, rognant sur la toile et sur la laine; on descendit meme aux petites douceurs, au tabac a fumer du pere, dont les deux sous quotidiens, apres des recriminations interminables, furent fixes a un sou. Lorsqu'on ne travaillait plus, il fallait savoir se reduire. Est-ce que la mere, elle aussi, ne pouvait se passer de cafe noir? C'etait comme leur chien, un vieux chien de douze ans qui mangeait gros, sans utilite: il y avait beau temps qu'on aurait du lui allonger un coup de fusil. Quand le calcul se trouva termine, on le recommenca, on chercha ce qu'on allait supprimer encore, deux chemises, six mouchoirs par an, un centime sur ce qu'on avait mis par jour pour le sucre. Et, en taillant et retaillant, en epuisant les economies infimes, on arriva de la sorte a un chiffre de cinq cent cinquante et quelques francs, ce qui laissa les enfants agites, hors d'eux, car ils s'entetaient a ne pas depasser cinq cents francs tout ronds. Cependant, Fanny se lassait. Elle n'etait pas mauvaise fille, plus pitoyable que les hommes, n'ayant point encore le coeur et la peau durcis par la rude existence au grand air. Aussi parlait-elle d'en finir, resignee a des concessions. Jesus-Christ, de son cote, haussait les epaules, tres large sur l'argent, envahi meme d'un attendrissement d'ivrogne, pret a offrir un appoint sur sa part, qu'il n'aurait, du reste, jamais paye. --Voyons, demanda la fille, ca va-t-il pour cinq cent cinquante? --Mais oui, mais oui! repondit-il. Faut bien qu'ils nocent un peu, les vieux! La mere eut pour son aine un regard souriant et mouille d'affection, tandis que le pere continuait la lutte avec le cadet. Il n'avait cede que pas a pas, bataillant a chaque reduction, s'entetant sur certains chiffres. Mais, sous l'opiniatrete froide qu'il montrait, une colere grandissait en lui, devant l'enragement de cette chair, qui etait la sienne, a s'engraisser de sa chair, a lui sucer le sang, vivant encore. Il oubliait qu'il avait mange son pere ainsi. Ses mains s'etaient mises a trembler, il gronda: II 16

« Mais il fut interrompu par une volee de phrases aigres. —Des oeufs avec des poulets dedans, peut-etre! —Est-ce que nous buvons notre vin? nous le vendons! —Ne rien foutre et se chauffer, c'est commode, lorsque vos enfants s'esquintent! Le notaire, qui en avait entendu bien d'autres, continua avec flegme: —Tout ca, ce n'est pas a dire...

Saperlotte! Jesus-Christ, asseyez-vous donc! Vous bouchez le jour, c'est agacant!...

Et voila qui est entendu, n'est-ce pas, vous tous? Vous donnerez les redevances en nature, parce que vous vous feriez montrer au doigt...

Il n'y a donc que le chiffre de la rente a debattre... Delhomme, enfin, fit signe qu'il avait a parler.

Chacun venait de reprendre sa place, il dit lentement, au milieu de l'attention generale: —Pardon, ca semble juste, ce que demande le pere.

On pourrait lui servir huit cents francs, puisque c'est huit cents francs qu'il louerait son bien...

Seulement, nous ne comptons pas ainsi, nous autres.

Il ne nous loue pas la terre, il nous la donne, et le calcul est de savoir ce que lui et la mere ont besoin pour vivre...

Oui, pas davantage, ce qu'ils ont besoin pour vivre. —En effet, appuya le notaire, c'est ordinairement la base que l'on prend. Et une autre querelle s'eternisa.

La vie des deux vieux fut fouillee, etalee, discutee besoin par besoin.

On pesa le pain, les legumes, la viande; on estima les vetements, rognant sur la toile et sur la laine; on descendit meme aux petites douceurs, au tabac a fumer du pere, dont les deux sous quotidiens, apres des recriminations interminables, furent fixes a un sou.

Lorsqu'on ne travaillait plus, il fallait savoir se reduire.

Est-ce que la mere, elle aussi, ne pouvait se passer de cafe noir? C'etait comme leur chien, un vieux chien de douze ans qui mangeait gros, sans utilite: il y avait beau temps qu'on aurait du lui allonger un coup de fusil.

Quand le calcul se trouva termine, on le recommenca, on chercha ce qu'on allait supprimer encore, deux chemises, six mouchoirs par an, un centime sur ce qu'on avait mis par jour pour le sucre.

Et, en taillant et retaillant, en epuisant les economies infimes, on arriva de la sorte a un chiffre de cinq cent cinquante et quelques francs, ce qui laissa les enfants agites, hors d'eux, car ils s'entetaient a ne pas depasser cinq cents francs tout ronds. Cependant, Fanny se lassait.

Elle n'etait pas mauvaise fille, plus pitoyable que les hommes, n'ayant point encore le coeur et la peau durcis par la rude existence au grand air.

Aussi parlait-elle d'en finir, resignee a des concessions.

Jesus-Christ, de son cote, haussait les epaules, tres large sur l'argent, envahi meme d'un attendrissement d'ivrogne, pret a offrir un appoint sur sa part, qu'il n'aurait, du reste, jamais paye. —Voyons, demanda la fille, ca va-t-il pour cinq cent cinquante? —Mais oui, mais oui! repondit-il.

Faut bien qu'ils nocent un peu, les vieux! La mere eut pour son aine un regard souriant et mouille d'affection, tandis que le pere continuait la lutte avec le cadet.

Il n'avait cede que pas a pas, bataillant a chaque reduction, s'entetant sur certains chiffres.

Mais, sous l'opiniatrete froide qu'il montrait, une colere grandissait en lui, devant l'enragement de cette chair, qui etait la sienne, a s'engraisser de sa chair, a lui sucer le sang, vivant encore.

Il oubliait qu'il avait mange son pere ainsi. Ses mains s'etaient mises a trembler, il gronda: La Terre II 16. »

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