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L'auberge de l'ange gardien MOUTIER.

Publié le 11/04/2014

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L'auberge de l'ange gardien MOUTIER.--Mais c'est tout juste ce que je vous disais, mon general; vous n'avez pas voulu me croire. LE GENERAL.--Vous me le disiez comme pour me narguer, en vous redressant de toute votre hauteur et pret a faire des gambades, pour faire voir a Elfy votre belle taille elancee, votre tournure leste et pour faire comparaison avec mon gros ventre, ma taille epaisse, mes lourdes jambes. On a son amour-propre, comme je vous l'ai dit jadis, et on ne veut pas, devant une jeune fille et une jeune femme, passer pour un infirme, un podagre, un vieillard decrepit. MOUTIER.--Je vous assure, mon general... LE GENERAL.--Je vous dis que ce n'est pas vrai, que c'est comme ca. MOUTIER.--Mais, mon general... LE GENERAL.--Il n'y a pas de mais; vous croyez que je n'ai pas vu votre malice de vous mettre a courir comme un derate pour me narguer. Vous vous disiez: "Tu t'assoiras, mon bonhomme; tu te reposeras, mon vieux! Je cours, toi tu t'arretes; je gambade, toi tu tombes. Vivent les jeunes! A bas les vieux!" Voila ce que vous pensiez, Monsieur; et votre bouche souriante en dit plus que votre langue. MOUTIER.--Je suis bien fache, mon general, que ma bouche... LE GENERAL.--Fache, par exemple! Vous etes enchante; vous riez sous cape; vous voudriez me voir tirer la langue et trainer la jambe, et que je restasse en chemin, pour dire: "Voila pour punir l'orgueil de ce vieux tamis crible de balles et de coups de baionnette!" Car j'en ai eu des blessures; personne n'en a eu comme moi. Oui, Monsieur, quoi que vous en disiez; quand vous m'avez ramasse a Malakoff, au moment ou j'allais sauter une seconde fois, j'avais plus de cinquante blessures sur le corps; et sans vous, Monsieur, je ne m'en serais jamais tire; c'est vous qui m'avez sauve la vie, je le repete et je le dirai jusqu'a la fin de mes jours; et vous avez beau me lancer des regards furieux (ce qui est fort inconvenant de la part d'un sergent a un general), vous ne me ferez pas taire, et je crierai sur les toits: "c'est Moutier, le brave sergent des zouaves, qui m'a sauve au risque de perir avec moi et pour moi; et je ne l'oublierai jamais, et je l'aime, et je ferai tout ce qu'il voudra, et il fera de moi ce qu'il Voudra." Le general, emu de sa colere passee et de son attendrissement present, tendit la main a Moutier qui s'assit pres de lui. "Reposons-nous encore, mon general; je ne fais qu'arriver; moi aussi j'ai une blessure qui me gene pour marcher, et je serais bien aise de..." --Vrai? dit le general avec une satisfaction evidente, vous avez vraiment besoin de vous reposer? MOUTIER.--Tres vrai, mon general. Ce que vous avez pris pour de la malice etait de la bravade, de l'entrain de zouave. Ah! qu'il fait bon se reposer au frais! continua-t-il en s'etendant sur l'herbe comme s'il se sentait reellement fatigue. Le general, enchante, se laissa aller et s'appuya franchement contre l'arbre; il ferma les yeux et ne tarda pas a s'endormir, Quand Moutier l'entendit legerement ronfler, il se releva lestement et partit au galop, laissant pres du general un papier sur lequel il avait ecrit: "Attendez-moi! mon general, je serai bientot de retour." Le general dormait, Moutier courait; il parait que sa blessure ne le genait guere, car il courut sans s'arreter jusqu'a Domfront; il demanda au premier individu qu'il rencontra ou il pourrait trouver une voiture a louer; on lui indiqua un aubergiste qui louait de tout; il y alla, fit marche pour une carriole, un cheval et un conducteur, XV. Premiere etape du general. 57 L'auberge de l'ange gardien fit atteler de suite, monta dedans et fit prendre au grand trot la route de Loumigny; il ne tarda pas a arriver au tertre et a l'arbre ou il avait laisse le general; personne! Le general avait disparu, laissant sa redingote, que Moutier avait deposee par terre pres de lui. Le pauvre Moutier eut un instant de terreur. Le cocher, voyant l'alteration de cette belle figure si franche, si ouverte, si gaie, devenue sombre, inquiete, presque terrifiee, lui demanda ce qui causait son inquietude. MOUTIER.--J'avais laisse la ce bon general, ereinte et endormi. Je ne retrouve que sa redingote. Qu'est-il devenu? LE COCHER.--Il, s'en est peut-etre retourne, ne vous voyant pas venir. MOUTIER.--Tiens, c'est une idee! Merci, mon ami; continuons alors jusqu'a Loumigny. Le cocher fouetta son cheval qui repartit au grand trot; ils ne tarderent pas a arriver a l'Ange-Gardien. Moutier sauta a bas de la carriole, entra precipitamment et se trouva en face du general en manches de chemise, son gros ventre se deployant dans toute son ampleur, la face rouge comme s'il allait eclater, la bouche beante, les yeux egares par la surprise. Le general fut le premier a le reconnaitre. "Que veut dire cette farce, Monsieur? Suis-je un Polichinelle, un Jocrisse, un Pierrot, pour que vous vous permettiez un tour pareil? Me planter la au pied d'un arbre! me perdre comme le Petit-Poucet! Profiter d'un sommeil que vous avez perfidement provoque en feignant vous-meme de dormir! Qu'est-ce, Monsieur? Dites. Parlez! MOUTIER.--Mon general... LE GENERAL.--Pas de vos paroles mielleuses, Monsieur! Expliquez-vous... Dites... MOUTIER, vivement.--Et comment voulez-vous que je m'explique, mon general, quand vous ne me laissez pas dire un mot? LE GENERAL.--Parlez, Monsieur l'impatient, le colere, l'ecervele, parlez! nous vous ecoutons. MOUTIER.--Je vous dirai en deux mots, mon general, que, vous voyant ereinte, n'en pouvant plus, j'ai profite de votre sommeil... LE GENERAL.--Pour vous sauver, parbleu; je le sais bien. MOUTIER.--Mais non, mon general; pour courir au pas de charge jusqu'a Domfront, vous chercher une voiture que j'ai trouvee, que j'ai amenee au grand trot du cheval, et qui est ici a la porte, prete a vous emmener, puisqu'il faut que nous partions. Et a present, mon general, que je me suis explique, je dois dire deux mots a Elfy qui rit dans son petit coin. Et, allant a Elfy, il lui parla bas et lui raconta quelque chose de plaisant sans doute, car Elfy riait et Moutier souriait. Il faut dire que l'entree du general en manches de chemise, descendant peniblement de dessus un ane a la porte de l'Ange-Gardien, avait excite la gaiete d'Elfy et de sa soeur, et qu'elle etait encore sous cette impression. Le general ne bougeait pas, il restait au milieu de la salle, les bras croises, les jambes ecartees; ses veines se degonflaient, la rougeur violacee de son visage faisait place au rouge sans melange; ses sourcils se detendaient, son front se deridait. XV. Premiere etape du general. 58

« fit atteler de suite, monta dedans et fit prendre au grand trot la route de Loumigny; il ne tarda pas a arriver au tertre et a l'arbre ou il avait laisse le general; personne! Le general avait disparu, laissant sa redingote, que Moutier avait deposee par terre pres de lui. Le pauvre Moutier eut un instant de terreur.

Le cocher, voyant l'alteration de cette belle figure si franche, si ouverte, si gaie, devenue sombre, inquiete, presque terrifiee, lui demanda ce qui causait son inquietude. MOUTIER.—J'avais laisse la ce bon general, ereinte et endormi.

Je ne retrouve que sa redingote.

Qu'est-il devenu? LE COCHER.—Il, s'en est peut-etre retourne, ne vous voyant pas venir. MOUTIER.—Tiens, c'est une idee! Merci, mon ami; continuons alors jusqu'a Loumigny. Le cocher fouetta son cheval qui repartit au grand trot; ils ne tarderent pas a arriver a l'Ange-Gardien.

Moutier sauta a bas de la carriole, entra precipitamment et se trouva en face du general en manches de chemise, son gros ventre se deployant dans toute son ampleur, la face rouge comme s'il allait eclater, la bouche beante, les yeux egares par la surprise. Le general fut le premier a le reconnaitre. “Que veut dire cette farce, Monsieur? Suis-je un Polichinelle, un Jocrisse, un Pierrot, pour que vous vous permettiez un tour pareil? Me planter la au pied d'un arbre! me perdre comme le Petit-Poucet! Profiter d'un sommeil que vous avez perfidement provoque en feignant vous-meme de dormir! Qu'est-ce, Monsieur? Dites.

Parlez! MOUTIER.—Mon general... LE GENERAL.—Pas de vos paroles mielleuses, Monsieur! Expliquez-vous...

Dites... MOUTIER, vivement.—Et comment voulez-vous que je m'explique, mon general, quand vous ne me laissez pas dire un mot? LE GENERAL.—Parlez, Monsieur l'impatient, le colere, l'ecervele, parlez! nous vous ecoutons. MOUTIER.—Je vous dirai en deux mots, mon general, que, vous voyant ereinte, n'en pouvant plus, j'ai profite de votre sommeil... LE GENERAL.—Pour vous sauver, parbleu; je le sais bien. MOUTIER.—Mais non, mon general; pour courir au pas de charge jusqu'a Domfront, vous chercher une voiture que j'ai trouvee, que j'ai amenee au grand trot du cheval, et qui est ici a la porte, prete a vous emmener, puisqu'il faut que nous partions.

Et a present, mon general, que je me suis explique, je dois dire deux mots a Elfy qui rit dans son petit coin. Et, allant a Elfy, il lui parla bas et lui raconta quelque chose de plaisant sans doute, car Elfy riait et Moutier souriait.

Il faut dire que l'entree du general en manches de chemise, descendant peniblement de dessus un ane a la porte de l'Ange-Gardien, avait excite la gaiete d'Elfy et de sa soeur, et qu'elle etait encore sous cette impression.

Le general ne bougeait pas, il restait au milieu de la salle, les bras croises, les jambes ecartees; ses veines se degonflaient, la rougeur violacee de son visage faisait place au rouge sans melange; ses sourcils se detendaient, son front se deridait.

L'auberge de l'ange gardien XV.

Premiere etape du general.

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