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L'autonomie du savant : les catalogues de connaissances remplacés par une méthode.

Publié le 11/05/2011

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J'ai coutume de distinguer deux choses en Mathématique : l'histoire de cette science et la science elle-même. Par Histoire j'entends tout ce qui a déjà été inventé, et qui se trouve dans les livres. Mais par Science j'entends l'adresse à résoudre toutes les questions, et justement à inventer par sa propre industrie tout ce qui peut l'être, dans cette science, par l'esprit humain ; en possession de cette habileté on n'a pas grande curiosité des pensées d'autrui et, au vrai sens du mot on se suffit à soi-même. Sans doute on ne doit pas être tout à fait ignorant de ce qui est contenu dans les livres ; il suffit toutefois d'en avoir une connaissance générale, qu'on ne peut manquer d'acquérir en parcourant les principaux auteurs : on se fait des recueils, où l'on peut aller chercher ce qui est déjà inventé pour s'en servir à l'occasion. Il y a beaucoup de choses en effet, qui se conservent bien mieux dans les livres que dans la mémoire, comme les observations Astronomiques, les Tables, les Règles, les Théorèmes, bref tout ce qui ne se fixe pas spontanément dans la mémoire, dès la première connaissance qu'on en a : moins nous encombrons celle-ci, plus nous gardons notre esprit en état d'augmenter notre savoir. Or il serait grandement à souhaiter que cette histoire Mathématique, qui est dispersée en maints volumes et qui n'a pas encore été parachevée dans son entier, fût rassemblée en un seul livre. Et on n'aurait besoin de faire aucun frais pour des recherches ou des acquisitions de livres. Comme les auteurs, en effet, empruntent beaucoup les uns aux autres, il n'existe rien qu'on ne puisse trouver quelque part dans une Bibliothèque moyennement pourvue ; et on n'aurait pas tant besoin de diligence pour tout rassembler, que de jugement pour rejeter le superflu, et de science pour suppléer à ce qui n'est pas inventé encore : ce dont personne ne s'acquittera aussi bien que votre Mathématicien qui se dit autonome. Au reste, s'il existait un tel livre, il serait facile à chacun d'y apprendre toute l'histoire Mathématique, et même quelque partie de la science ; mais personne jamais ne se révélera Mathématicien vraiment autonome si, outre cela, son esprit n'a pas reçu de la nature de grandes aptitudes, encore cultivées par un long exercice. Et voilà pour la théorie Mathématique. Pour la pra tique, si on voulait avoir tout ce qui s'y rapporte, Instruments, Machines, Automates, on aurait beau être roi de tout l'univers, on ne pourrait suffire aux dépenses nécessaires pour cela. Et véritablement on n'en a pas besoin non plus : il suffit d'en savoir la description, de façon qu'on puisse, quand on en aura besoin, ou les faire soi-même, ou les donner à faire à des artisans. DESCARTES.

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