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Le Corricolo Comme alors, il y avait deux partis, mais deux

Publié le 11/04/2014

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Le Corricolo Comme alors, il y avait deux partis, mais deux partis qui, quoique portant les memes noms, n'avaient aucune analogie avec ceux qui existaient en France en 99; car, a cette epoque, le parti republicain, represente par Brutus, etait le parti aristocratique; et le parti royaliste, represente par Antoine, etait le parti populaire. C'etait donc entre ces deux hommes qu'il fallait qu'Octave se fit jour en creant un troisieme parti, servons-nous d'un mot moderne, un parti juste-milieu. Un mot sur Brutus et sur Antoine. Brutus a trente-trois ou trente-quatre ans; il est d'une taille ordinaire, il a les cheveux courts, la barbe coupee a la longueur d'un demi-pouce, le regard calme et fier, et un seul pli creuse par la pensee au milieu du front: du moins, c'est ainsi que le representent les medailles qu'il a fait frapper en Grece avec le titre d' imperator; entendez-vous? Brutus imperator, c'est-a-dire Brutus, general. Ne prenez donc jamais le mot imperator que dans ce sens, et non dans celui que lui ont donne depuis Charlemagne et Napoleon. Continuons. Il descend, par son pere, de ce Junius Brutus qui condamna ses deux fils a mort, et dont la statue est au Capitole au milieu de celle des rois qu'il a chasses; et, par sa mere, de ce Servilius Ahala qui, etant general de la cavalerie sous Quintus Cincinnatus, tua de sa propre main Spurius Melius qui aspirait a la royaute. Son pere, mari de Servilie, fut tue par ordre de Pompee, pendant les guerres de Marius et de Sylla; et il est neveu de ce meme Caton qui s'est dechire les entrailles a Utique. Un bruit populaire le dit fils de Cesar, qui aurait seduit sa mere avec une perle valant six millions de sesterces, c'est-a-dire douze cent mille francs a peu pres. Mais on a tant prete de bonnes fortunes a Cesar, qu'il ne faut pas croire tout ce qu'on en dit. Jeune, Brutus a etudie la philosophie en Grece; il appartient a la secte platonicienne, et il a puise a Athenes et a Corinthe ces idees de liberte aristocratique qui formaient la base gouvernementale des petites republiques grecques. Officier en Macedoine sous Pompee, il s'est fait remarquer a Pharsale par son grand courage. Gouverneur dans les Gaules pour Cesar, il s'est fait remarquer dans la province par sa severe probite. C'est un de ces hommes qui n'agissent jamais sans conviction, mais qui, des qu'ils ont une conviction, agissent toujours; c'est une de ces ames profondes et retirees ou les dieux qui s'en vont trouvent un tabernacle; c'est un de ces coeurs couverts d'un triple acier, comme dit Horace, qui tiennent la mort pour amie, et qui la voient venir en souriant. Le regard incessamment tourne vers les vertus des ages antiques, il ne voit pas les vices des jours presens; il croit que le peuple est toujours un peuple de laboureurs; il croit que le senat est toujours une assemblee de rois. Son seul tort est d'etre ne apres le brutal Marius, le galant Sylla et le voluptueux Cesar, au lieu de naitre au temps de Cincinnatus, des Grecques ou des premiers Scipions. Il a ete coule tout de bronze dans une epoque ou les statues sont de boue et d'or. Quand un pareil homme commet un crime, c'est son siecle qu'il faut accuser et non pas lui. Au reste, Brutus vient de faire une grande faute: il a quitte Rome, oubliant que c'est sur le lieu meme ou l'on a commence une revolution qu'il faut l'accomplir. Quant a Antoine, c'est le contraste le plus complet que le ciel ait pu mettre en opposition avec la figure calme, froide et severe que nous venons de dessiner. Antoine a quarante-six ans, sa taille est haute, ses membres musculeux, sa barbe epaisse, son front large, son nez aquilin. Il pretend descendre d'Hercule; et comme c'est le plus habile cavalier, le plus fort discobole, le plus rude lutteur qu'il y ait eu depuis Pompee, personne ne lui conteste cette genealogie, si fabuleuse qu'elle paraisse a quelques uns. Enfant, sa grande beaute l'a fait remarquer de Curion, et il a passe avec lui les premieres annees de son adolescence dans la debauche et dans l'orgie. Avant de revetir la robe virile, c'est-a-dire a seize ans a peu pres, il avait deja fait pour un million et demi de dettes; mais ce qu'on lui reproche surtout, c'est le cynisme de son intemperance. Le lendemain des noces du mime Hippias, il s'est III. Le Tombeau de Virgile. 218 Le Corricolo rendu a l'assemblee publique si gorge de vin qu'il a ete oblige de s'arreter a l'angle d'une rue et de le rendre aux yeux de tous, quoique le mime Sergius, avec lequel il vit dans un commerce infame, et qui a, dit-on, toute influence sur lui, essayat d'etendre son manteau entre lui et les passans. Apres Sergius, sa compagnie la plus habituelle est la courtisane Cytheris, qu'il mene partout avec lui dans une litiere, et a laquelle il fait un cortege aussi nombreux que celui de sa propre mere. Chaque fois qu'il part pour l'armee, c'est avec une suite d'histrions et de joueurs de flute. Lorsqu'il s'arrete, il fait dresser ses tentes sur le bord des rivieres ou sous l'ombre des forets. S'il traverse une ville, c'est sur un char traine par des lions qu'il conduit avec des renes d'or. En temps de paix, il porte une tunique etroite et une cape grossiere. En temps de guerre, il est couvert des plus riches armes qu'il a pu se procurer, pour attirer a lui les coups des plus rudes et des plus braves ennemis. Car Antoine, avec la force physique, a recu le courage brutal; ce qui fait qu'il est un dieu pour le soldat, et une idole pour le peuple. Du reste, orateur habile dans le style asiatique, par un seul discours il a chasse Brutus et Cassius de Rome. Fastueux et plein d'inegalite, pretendant etre le fils d'un dieu, et descendant parfois au niveau de la bete, Antoine croit imiter Cesar en le singeant a la guerre et a la tribune. Mais entre Antoine et Cesar il y a un abime: Antoine n'a que des defauts, Cesar avait des vices; Antoine n'a que des qualites, Cesar avait des vertus: Antoine, c'est la prose; Cesar, c'est la poesie. Mais pour le moment, tel qu'il est, Antoine regne a Rome; car il y a reaction pour Cesar, et Antoine represente Cesar: c'est lui qui continue le vainqueur des Gaules et de l'Egypte. Il vend les charges, il vend les places, il vend jusqu'aux trones; il vient pour vingt mille francs, ce qui n'est pas cher, comme on voit, de donner un diplome de roi en Asie; car Antoine a sans cesse besoin d'argent. Cependant il n'y a pas plus de quinze jours qu'il a force la veuve de Cesar de lui remettre les vingt-deux millions laisses par Cesar; il est vrai que, des ides de mars au mois d'avril, Antoine a paye pour huit millions de dettes: mais comme on assure qu'il a pille le tresor public, qui, au dire de Ciceron, contenait sept cents millions de sesterces, c'est-a-dire cent quarante millions de francs a peu pres; si grand depensier que soit Antoine, comme il n'a paye aucun des legs de Cesar, il doit bien lui rester encore une centaine de millions; et un homme du caractere d'Antoine, avec cent millions derriere lui, est un homme a craindre. A propos, nous oublions une chose: Antoine etait le mari de Fulvie. Voila donc celui contre lequel Octave aura d'abord a lutter. Octave comprit que le senat, tout en votant des remerciemens a Antoine, detestait d'autant plus ce maitre grossier qu'il lui obeissait plus lachement. Octave se glissa tout doucement dans le senat, appela Ciceron son pere, demanda humblement et obtint sans conteste de porter le grand nom de Cesar, seule portion de son heritage a laquelle, disait-il, il eut jamais aspire; paya tout doucement, et sur sa propre fortune, les legs que Cesar avait laisses aux veterans et qu'Antoine leur retenait; joua le citoyen pur, le patriote desinteresse; refusa les faisceaux qu'on lui offrait, et proposa tout bas, pour faire honneur a Antoine et pour lui donner l'occasion d'achever ce qu'il avait si bien commence, d'envoyer Antoine chasser Decimus Brutus de la Gaule Cisalpine. Antoine, enchante d'echapper aux criailleries des heritiers de Cesar, part en promettant de ramener Decimus Brutus pieds et poings lies. A peine est-il parti que le senat respire. Alors Octave voit que le moment est venu: il declare qu'il croit Antoine l'ennemi de la republique, met a la disposition du senat une armee qu'il a achetee, sans que personne s'en doute, de ses propres deniers. Alors le senat tout entier se leve contre Antoine. Ciceron embrasse Octave, il propose de le nommer chef de cette armee; et comme cette proposition cause quelque etonnement: Ornandum tollendum, dit-il en se retournant vers les vieilles tetes du senat. Mauvais calembourg qu'entend Octave, et qui coutera la vie a celui qui l'a fait. Mais Octave refuse; il est faible de corps, ignorant en fait de guerre; il veut deux collegues pour n'avoir aucune responsabilite a supporter; et, sur sa demande, un decret du senat lui adjoint les consuls Hirtius et Pansa. Antoine a ete envoye pour combattre Decimus Brutus; Octave est envoye pour defendre Decimus Brutus contre Antoine. III. Le Tombeau de Virgile. 219

« rendu a l'assemblee publique si gorge de vin qu'il a ete oblige de s'arreter a l'angle d'une rue et de le rendre aux yeux de tous, quoique le mime Sergius, avec lequel il vit dans un commerce infame, et qui a, dit-on, toute influence sur lui, essayat d'etendre son manteau entre lui et les passans.

Apres Sergius, sa compagnie la plus habituelle est la courtisane Cytheris, qu'il mene partout avec lui dans une litiere, et a laquelle il fait un cortege aussi nombreux que celui de sa propre mere.

Chaque fois qu'il part pour l'armee, c'est avec une suite d'histrions et de joueurs de flute.

Lorsqu'il s'arrete, il fait dresser ses tentes sur le bord des rivieres ou sous l'ombre des forets.

S'il traverse une ville, c'est sur un char traine par des lions qu'il conduit avec des renes d'or. En temps de paix, il porte une tunique etroite et une cape grossiere.

En temps de guerre, il est couvert des plus riches armes qu'il a pu se procurer, pour attirer a lui les coups des plus rudes et des plus braves ennemis.

Car Antoine, avec la force physique, a recu le courage brutal; ce qui fait qu'il est un dieu pour le soldat, et une idole pour le peuple.

Du reste, orateur habile dans le style asiatique, par un seul discours il a chasse Brutus et Cassius de Rome.

Fastueux et plein d'inegalite, pretendant etre le fils d'un dieu, et descendant parfois au niveau de la bete, Antoine croit imiter Cesar en le singeant a la guerre et a la tribune.

Mais entre Antoine et Cesar il y a un abime: Antoine n'a que des defauts, Cesar avait des vices; Antoine n'a que des qualites, Cesar avait des vertus: Antoine, c'est la prose; Cesar, c'est la poesie. Mais pour le moment, tel qu'il est, Antoine regne a Rome; car il y a reaction pour Cesar, et Antoine represente Cesar: c'est lui qui continue le vainqueur des Gaules et de l'Egypte.

Il vend les charges, il vend les places, il vend jusqu'aux trones; il vient pour vingt mille francs, ce qui n'est pas cher, comme on voit, de donner un diplome de roi en Asie; car Antoine a sans cesse besoin d'argent.

Cependant il n'y a pas plus de quinze jours qu'il a force la veuve de Cesar de lui remettre les vingt-deux millions laisses par Cesar; il est vrai que, des ides de mars au mois d'avril, Antoine a paye pour huit millions de dettes: mais comme on assure qu'il a pille le tresor public, qui, au dire de Ciceron, contenait sept cents millions de sesterces, c'est-a-dire cent quarante millions de francs a peu pres; si grand depensier que soit Antoine, comme il n'a paye aucun des legs de Cesar, il doit bien lui rester encore une centaine de millions; et un homme du caractere d'Antoine, avec cent millions derriere lui, est un homme a craindre. A propos, nous oublions une chose: Antoine etait le mari de Fulvie. Voila donc celui contre lequel Octave aura d'abord a lutter. Octave comprit que le senat, tout en votant des remerciemens a Antoine, detestait d'autant plus ce maitre grossier qu'il lui obeissait plus lachement.

Octave se glissa tout doucement dans le senat, appela Ciceron son pere, demanda humblement et obtint sans conteste de porter le grand nom de Cesar, seule portion de son heritage a laquelle, disait-il, il eut jamais aspire; paya tout doucement, et sur sa propre fortune, les legs que Cesar avait laisses aux veterans et qu'Antoine leur retenait; joua le citoyen pur, le patriote desinteresse; refusa les faisceaux qu'on lui offrait, et proposa tout bas, pour faire honneur a Antoine et pour lui donner l'occasion d'achever ce qu'il avait si bien commence, d'envoyer Antoine chasser Decimus Brutus de la Gaule Cisalpine. Antoine, enchante d'echapper aux criailleries des heritiers de Cesar, part en promettant de ramener Decimus Brutus pieds et poings lies.

A peine est-il parti que le senat respire.

Alors Octave voit que le moment est venu: il declare qu'il croit Antoine l'ennemi de la republique, met a la disposition du senat une armee qu'il a achetee, sans que personne s'en doute, de ses propres deniers.

Alors le senat tout entier se leve contre Antoine. Ciceron embrasse Octave, il propose de le nommer chef de cette armee; et comme cette proposition cause quelque etonnement: Ornandum tollendum, dit-il en se retournant vers les vieilles tetes du senat.

Mauvais calembourg qu'entend Octave, et qui coutera la vie a celui qui l'a fait.

Mais Octave refuse; il est faible de corps, ignorant en fait de guerre; il veut deux collegues pour n'avoir aucune responsabilite a supporter; et, sur sa demande, un decret du senat lui adjoint les consuls Hirtius et Pansa. Antoine a ete envoye pour combattre Decimus Brutus; Octave est envoye pour defendre Decimus Brutus contre Antoine.

Le Corricolo III.

Le Tombeau de Virgile.

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