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Le Corricolo Parmi ces tombeaux qui bordent les deux cotes de la voie consulaire, les plus remarquables apres celui de la famille Diomede sont les tombeaux des deux Tyche, et le cenotaphe de Calventius.

Publié le 11/04/2014

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Le Corricolo Parmi ces tombeaux qui bordent les deux cotes de la voie consulaire, les plus remarquables apres celui de la famille Diomede sont les tombeaux des deux Tyche, et le cenotaphe de Calventius. Le premier que l'on rencontre est celui de Nevoleia Tyche, decouvert en 1813. C'est un large piedestal forme par cinq rangs de longues pierres volcaniques que surmontent deux degres soutenant un autel de marbre. Sur cet autel est place le buste de Nevoleia. Au dessous du buste on lit une inscription latine de laquelle nous nous contentons de donner une traduction: "Nevoleia Tyche, affranchie de Julie, a elle-meme, et a Caius Munatius Faustus Augustal qui, avec le consentement du peuple, recut des decurions le bisellium pour ses merites.--Nevoleia Tyche, de son vivant, a eleve ce monument a ses affranchis et affranchies et a ceux de Caius Munatius Faustus." Ce tombeau est orne de trois bas-reliefs, tous trois assez curieux. Le premier qui s'offre a la vue du cote de Naples est un navire qui entre dans le port. De petits genie en carguent les voiles; un homme est au gouvernail: la tete de Minerve orne la proue. Dans un pays ou, comme du temps de Figaro, on ne peut ecrire sur rien qui touche au gouvernement, a la politique, a l'administration, a la litterature, ni a quelque chose que ce soit, on comprend combien l'on a ecrit de volumes sur cette sculpture. Cette sculpture, c'etait une bonne fortune. Les savans n'auraient donne pour rien au monde cette sculpture, c'etait leur pain quotidien. Il a peut-etre paru cinquante volumes sur cette bienheureuse sculpture. Dieu fasse paix a ceux qui les ont ecrits! Dieu fasse misericorde a ceux qui les ont lus! Les uns y ont vu une allegorie, les autres une realite. Ceux qui ont vu une allegorie se sont extasies sur la pensee qu'elle representait. Le navire de la Vie, conduit par la Sagesse, touche au port de la Tombe, apres avoir traverse les ecueils des Passions. Ceux-la se sont appuyes sur un passage de Pope, qui est venu seize siecles plus tard; mais cela ne fait rien: les grandes verites sont de tous les temps. Le passage disait: "Nous faisons voile de differentes manieres sur le vaste ocean de la vie. La Raison est la carte; la Passion est le vent." Cela rappelle de la science retrospective. Ceux qui y ont vu une realite ont dit tout bonnement que, comme Munatius exercait le commerce maritime, ce bas-relief n'etait rien autre chose que le prospectus posthume de sa profession. Ceux-ci se sont appuyes sur ce passage de Petrone, ou Trimalcyon, qui etait marchand, dit a Albine: "Je te prie aussi que les navires que tu sculpteras sur mon tombeau aillent a pleines voiles, et que je sois assis au tribunal avec ma toge, avec cinq anneaux d'or et avec un sac rempli d'argent pour le jeter au peuple." Ceci est de la science prospective; que les savans me permettent de risquer le mot. On comprend que la question etait grave. Aussi la lutte, commencee en 1813, existait-elle encore en 1815, plus acharnee que jamais. Positivistes et allegoristes en appelaient a toutes les academies italiennes, depuis celle de Naples jusqu'a celle de Saint-Marin. L'un d'eux, plus exaspere que les autres, allait partir pour Paris afin de soumettre cette enigme a l'Institut. Il etait venu, trois jours avant son depart, me proposer serieusement de faire en francais la traduction des deux volumes qu'il avait ecrits sur cette question europeenne. Je mis ce monsieur a la porte. Le bas-relief oppose, c'est-a-dire celui qui regarde Pompeia, represente le bisellium dont il est question dans l'epitaphe. Vous ne savez peut-etre pas ce que c'est que le bisellium; je vais vous le dire. Depuis que j'habite l'Italie, je deviens savant a mon tour. Pardonnez-moi mes offenses comme je les pardonne a ceux qui m'ont offense. XIII. La Rue des Tombeaux. 292 Le Corricolo Le bisellium, dont la forme serait encore inconnue sans le precieux bas-relief que nous a conserve la tombe de Nevoleia, est un banc oblong garni d'un coussin, orne de franges, avec un tabouret au dessous. Le citoyen qui avait eu le bonheur d'obtenir le bisellium avait le droit de s'asseoir tout seul dans les assemblees publiques sur ce siege ou cependant on pouvait tenir a deux. Ces honneurs du bisellium etaient fort envies des Pompeiens, qui, a ce qu'il parait, aimaient par dessus toute chose a avoir les coudees franches. Cela ressemblait beaucoup aux gens vertueux de Saint-Just, a qui le jeune conventionnel voulait qu'on accordat le privilege de se promener le dimanche avec un habit gris-perle et un bouquet de roses au cote. Quant au bas-relief du milieu, c'est-a-dire quant a celui qui donne sur la rue, il represente le sacrifice qui eut lieu aux funerailles memes de Munatius Faustus. Un jeune pretre pose l'urne sur l'autel, tandis qu'un enfant l'assiste. A droite sont les decurions, les officiers du municipium et les sexviri augustales, dont Munatius avait l'honneur de faire partie, et qui viennent rendre leurs derniers devoirs a leur collegue. A gauche, un groupe d'hommes et de femmes s'avance vers l'autel et presente des offrandes. Parmi ces dernieres, une jeune fille se renverse accablee de douleur. Les savans, de leur autorite privee, ont decide que ce personnage etait Nevoleia elle-meme. Je n'ai absolument rien a dire contre cette opinion. Apres avoir fait le tour de ce magnifique tombeau, et tandis que Jadin en faisait un croquis, je descendis dans le colombarium. C'etait une petite chambre de six ou huit pieds carres; une niche pratiquee dans la muraille contenait une grande urne d'argile, pleine de cendres et d'os. Les memes savans ont decide que c'etaient les restes de Nevoleia et de Munatius, sentimentalement reunis les uns aux autres pour l'eternite. D'autres urnes contenaient d'autres ossemens, et de plus les pieces de monnaie destinees a Caron. L'Academie de Naples s'occupe a decider en ce moment si ce n'est pas de cette coutume antique que vient l'habitude de payer un sou en traversant le pont des Arts. En outre, on trouva sur le sol trois vases de terre renfermes dans trois vases de plomb; un de ces vases contenait de l'eau; les autres, de l'eau, du vin et de l'huile sur laquelle surnageaient des ossemens. Au fond, il y avait un precipite de cendres et de substances animales. C'etaient les restes des libations et des essences qu'on repandait d'ordinaire sur les reliques des morts, lorsqu'on les deposait dans le sepulcre apres les avoir recueillis du bucher. Le sepulcre de la seconde Tyche n'etait pas moins curieux que celui de la premiere. C'est un cenotaphe de la meme forme a peu pres que celui que nous venons de decrire, surmonte par un cyppe que couronne une tete humaine vue de face, portant des cheveux reunis en tresses et noues derriere le cou. Sur cette tete est gravee l'inscription suivante qui a donne force tablature aux savans, et qui cependant me parait on ne peut plus simple: JUNONI TYCHES JULIAE AUGUSTAE VENER. On voit que les anciens, sous le rapport de la courtisanerie, etaient encore plus avances que nous. Tout titre qui les rapprochait des princes les honorait, quel que fut ce titre. Ouvrez Tacite, et vous verrez que Petrone remplissait glorieusement pres de Neron l'emploi que Tyche avait accepte pres de Julie. Bref, apres avoir gagne sa retraite, Tyche se retira a Pompeia, ou probablement elle fit penitence pour sa vie passee, puisqu'en mourant elle se recommandait a Junon, la plus rogue de toutes les deesses. Il est vrai que les savans expliquent cette anomalie, en disant que les divinites protectrices des femmes s'appelaient junons, et celles des hommes genies; mais alors il me semble qu'il y aurait un pluriel au lieu d'un singulier, et qu'on lirait sur l'epitaphe Junonibus et non Junoni. Je soumets cette observation a MM. les archeologues avec toute l'humilite d'un neophyte. XIII. La Rue des Tombeaux. 293
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« Le bisellium, dont la forme serait encore inconnue sans le precieux bas-relief que nous a conserve la tombe de Nevoleia, est un banc oblong garni d'un coussin, orne de franges, avec un tabouret au dessous.

Le citoyen qui avait eu le bonheur d'obtenir le bisellium avait le droit de s'asseoir tout seul dans les assemblees publiques sur ce siege ou cependant on pouvait tenir a deux.

Ces honneurs du bisellium etaient fort envies des Pompeiens, qui, a ce qu'il parait, aimaient par dessus toute chose a avoir les coudees franches.

Cela ressemblait beaucoup aux gens vertueux de Saint-Just, a qui le jeune conventionnel voulait qu'on accordat le privilege de se promener le dimanche avec un habit gris-perle et un bouquet de roses au cote. Quant au bas-relief du milieu, c'est-a-dire quant a celui qui donne sur la rue, il represente le sacrifice qui eut lieu aux funerailles memes de Munatius Faustus.

Un jeune pretre pose l'urne sur l'autel, tandis qu'un enfant l'assiste.

A droite sont les decurions, les officiers du municipium et les sexviri augustales, dont Munatius avait l'honneur de faire partie, et qui viennent rendre leurs derniers devoirs a leur collegue.

A gauche, un groupe d'hommes et de femmes s'avance vers l'autel et presente des offrandes.

Parmi ces dernieres, une jeune fille se renverse accablee de douleur.

Les savans, de leur autorite privee, ont decide que ce personnage etait Nevoleia elle-meme.

Je n'ai absolument rien a dire contre cette opinion. Apres avoir fait le tour de ce magnifique tombeau, et tandis que Jadin en faisait un croquis, je descendis dans le colombarium.

C'etait une petite chambre de six ou huit pieds carres; une niche pratiquee dans la muraille contenait une grande urne d'argile, pleine de cendres et d'os.

Les memes savans ont decide que c'etaient les restes de Nevoleia et de Munatius, sentimentalement reunis les uns aux autres pour l'eternite.

D'autres urnes contenaient d'autres ossemens, et de plus les pieces de monnaie destinees a Caron.

L'Academie de Naples s'occupe a decider en ce moment si ce n'est pas de cette coutume antique que vient l'habitude de payer un sou en traversant le pont des Arts. En outre, on trouva sur le sol trois vases de terre renfermes dans trois vases de plomb; un de ces vases contenait de l'eau; les autres, de l'eau, du vin et de l'huile sur laquelle surnageaient des ossemens.

Au fond, il y avait un precipite de cendres et de substances animales.

C'etaient les restes des libations et des essences qu'on repandait d'ordinaire sur les reliques des morts, lorsqu'on les deposait dans le sepulcre apres les avoir recueillis du bucher. Le sepulcre de la seconde Tyche n'etait pas moins curieux que celui de la premiere.

C'est un cenotaphe de la meme forme a peu pres que celui que nous venons de decrire, surmonte par un cyppe que couronne une tete humaine vue de face, portant des cheveux reunis en tresses et noues derriere le cou.

Sur cette tete est gravee l'inscription suivante qui a donne force tablature aux savans, et qui cependant me parait on ne peut plus simple: JUNONI TYCHES JULIAE AUGUSTAE VENER. On voit que les anciens, sous le rapport de la courtisanerie, etaient encore plus avances que nous.

Tout titre qui les rapprochait des princes les honorait, quel que fut ce titre.

Ouvrez Tacite, et vous verrez que Petrone remplissait glorieusement pres de Neron l'emploi que Tyche avait accepte pres de Julie.

Bref, apres avoir gagne sa retraite, Tyche se retira a Pompeia, ou probablement elle fit penitence pour sa vie passee, puisqu'en mourant elle se recommandait a Junon, la plus rogue de toutes les deesses.

Il est vrai que les savans expliquent cette anomalie, en disant que les divinites protectrices des femmes s'appelaient junons, et celles des hommes genies; mais alors il me semble qu'il y aurait un pluriel au lieu d'un singulier, et qu'on lirait sur l'epitaphe Junonibus et non Junoni.

Je soumets cette observation a MM.

les archeologues avec toute l'humilite d'un neophyte.

Le Corricolo XIII.

La Rue des Tombeaux.

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