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Le Docteur Pascal les siens, ne leur leguer que de la

Publié le 11/04/2014

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pascal
Le Docteur Pascal les siens, ne leur leguer que de la gloire, en employant sa grosse fortune a l'erection de cet Asile qui porterait le nom respecte et beni des Rougon aux ages futurs; mais, apres avoir ete, pendant un demi-siecle, si apre a la conquete de l'argent, elle le dedaignait a cette heure, epuree dans une ambition plus haute. Et Clotilde, grace a cette liberalite, n'avait plus d'inquietude pour l'avenir: les quatre mille francs de rente leur suffiraient, a elle et a son enfant. Elle l'eleverait, elle en ferait un homme. Meme elle avait place, sur la tete du petit, a fonds perdus, les cinq mille francs du secretaire; et elle possedait encore la Souleiade, que tout le monde lui conseillait de vendre. Sans doute, l'entretien n'en etait pas couteux, mais quelle vie de solitude et de tristesse, dans cette grande maison deserte, beaucoup trop vaste, ou elle etait comme perdue! Jusque-la, pourtant, elle n'avait pu se decider a la quitter. Peut-etre ne s'y deciderait-elle jamais. Ah! cette Souleiade, tout son amour y etait, toute sa vie, tous ses souvenirs! Il lui semblait, par moments, que Pascal y vivait encore, car elle n'y avait rien derange de leur existence de jadis. Les meubles etaient aux memes places, les heures y sonnaient les memes habitudes. Elle n'y avait ferme que sa chambre, a lui, ou elle seule entrait, ainsi que dans un sanctuaire, pour pleurer, lorsqu'elle sentait son coeur trop lourd. Dans la chambre ou tous deux s'etaient aimes, dans le lit ou il etait mort, elle se couchait chaque nuit, comme autrefois, lorsqu'elle etait jeune fille; et il n'y avait de plus, la, contre ce lit, que le berceau, qu'elle y apportait le soir. C'etait toujours la meme chambre douce, aux antiques meubles familiers, aux tentures attendries par l'age, couleur d'aurore, la tres vieille chambre que l'enfant rajeunissait de nouveau. Puis, en bas, si elle se trouvait bien seule, bien perdue, a chaque repas, dans la salle a manger claire, elle y entendait les echos des rires, des vigoureux appetits de sa jeunesse, lorsque tous les deux mangeaient et buvaient si gaiement, a la sante de l'existence. Et le jardin aussi, toute la propriete tenait a son etre, par les fibres les plus intimes, car elle ne pouvait y faire un pas, sans y evoquer leurs deux images unies l'une a l'autre: sur la terrasse, a l'ombre mince des grands cypres seculaires, ils avaient si souvent contemple la vallee de la Viorne, que bornaient les barres rocheuses de la Seille et les coteaux brules de Sainte-Marthe! par les gradins de pierres seches, au travers des oliviers et des amandiers maigres, ils s'etaient tant de fois defies a grimper lestement, comme des gamins en fuite de l'ecole! et il y avait encore la pinede, l'ombre chaude et embaumee, ou les aiguilles craquaient sous les pas, l'air immense, tapissee d'une herbe moelleuse aux epaules, d'ou l'on decouvrait le ciel entier, le soir, quand se levaient les etoiles! et il y avait surtout les platanes geants, la paix delicieuse, qu'ils etaient venus gouter la, chaque jour d'ete, en ecoutant la chanson rafraichissante de la source, la pure note de cristal qu'elle filait depuis des siecles! Jusqu'aux vieilles pierres de la maison, jusqu'a la terre du sol, il n'etait pas un atome, a la Souleiade, ou elle ne sentit le battement tiede d'un peu de leur sang, d'un peu de leur vie repandue et melee. Mais elle preferait passer ses journees dans la salle de travail, et c'etait la qu'elle revivait ses meilleurs souvenirs. Il ne s'y trouvait aussi qu'un meuble de plus, le berceau. La table du docteur etait a sa place, devant la fenetre de gauche: il aurait pu entrer et s'asseoir, car la chaise n'avait pas meme ete bougee. Sur la longue table du milieu, parmi l'ancien entassement des livres et des brochures, il n'y avait de nouveau que la note claire des petits linges d'enfant, qu'elle etait en train de visiter. Les corps de bibliotheque montraient les memes rangees de volumes, la grande armoire de chene semblait garder dans ses flancs le meme tresor, solidement close. Sous le plafond enfume, la bonne odeur de travail flottait toujours, parmi la debandade des sieges, le desordre amical de cet atelier en commun, ou ils avaient si longtemps mis les caprices de la jeune fille et les recherches du savant. Et, surtout, ce qui la touchait aujourd'hui, c'etait de revoir ses anciens pastels, cloues aux murs, les copies qu'elle avait faites de fleurs vivantes, minutieusement copiees, puis les imaginations envolees en plein pays chimerique, les fleurs de reve dont la fantaisie folle l'emportait parfois. Clotilde achevait de ranger les petits linges sur la table, lorsque, precisement, son regard, en se levant, rencontra devant elle le pastel du vieux roi David, la main posee sur l'epaule nue d'Abisaig, la jeune Sunamite. Et elle qui ne riait plus, sentit une joie lui monter a la face, dans l'heureux attendrissement qu'elle eprouvait. Comme ils s'aimaient, comme ils revaient d'eternite, le jour ou elle s'etait amusee a ce symbole, orgueilleux et tendre! Le vieux roi, vetu somptueusement d'une robe toute droite, lourde de pierreries, portait le bandeau royal sur ses cheveux de neige; et elle etait plus somptueuse encore, rien qu'avec la soie liliale de sa peau, sa XIV 171 Le Docteur Pascal taille mince et allongee, sa gorge ronde et menue, ses bras souples, d'une grace divine. Maintenant, il s'en etait alle, il dormait sous la terre, tandis qu'elle, habillee de noir, toute noire, ne montrant rien de sa nudite triomphante, n'avait plus que l'enfant pour exprimer le don tranquille, absolu qu'elle avait fait de sa personne, devant le peuple assemble, a la pleine lumiere du jour. Doucement, Clotilde finit par s'asseoir pres du berceau. Les fleches de soleil s'allongeaient d'un bout de la piece a l'autre, la chaleur de l'ardente journee s'alourdissait, parmi l'ombre assoupie des volets clos; et le silence de la maison semblait s'etre elargi encore. Elle avait mis a part des petites brassieres, elle recousait des cordons, d'une aiguille lente, peu a peu prise d'une songerie, au milieu de cette grande paix chaude qui l'enveloppait, dans l'incendie du dehors. Sa pensee, d'abord, retourna a ses pastels, les exacts et les chimeriques, et elle se disait maintenant que toute sa dualite se trouvait dans cette passion de verite qui la tenait parfois des heures entieres devant une fleur, pour la copier avec precision, puis dans son besoin d'au dela qui, d'autres fois, la jetait hors du reel, l'emportait en reves fous, au paradis des fleurs increees. Elle avait toujours ete ainsi, elle sentait qu'au fond elle restait aujourd'hui ce qu'elle etait la veille, sous le flot de vie nouveau qui la transformait sans cesse. Et sa pensee, alors, sauta a la gratitude profonde qu'elle gardait a Pascal de l'avoir faite ce qu'elle etait. Jadis, lorsque, toute petite, l'enlevant a un milieu execrable, il l'avait prise avec lui, il avait surement cede a son bon coeur, mais sans doute aussi etait-il desireux de tenter sur elle l'experience de savoir comment elle pousserait dans un milieu autre, tout de verite et de tendresse. C'etait, chez lui, une preoccupation constante, une theorie ancienne, qu'il aurait voulu experimenter en grand: la culture par le milieu, la guerison meme, l'etre ameliore et sauve, au physique et au moral. Elle lui devait certainement le meilleur de son etre, elle devinait la fantasque et la violente qu'elle aurait pu devenir, tandis qu'il ne lui avait donne que de la passion et du courage. Dans cette floraison, au libre soleil, la vie avait meme fini par les jeter aux bras l'un de l'autre, et n'etait-ce pas comme l'effort dernier de la bonte et de la joie, l'enfant qui etait venu et qui les aurait rejouis ensemble, si la mort ne les avait point separes? Dans ce retour en arriere, elle eut la sensation nette du long travail qui s'etait opere en elle. Pascal corrigeait son heredite, et elle revivait la lente evolution, la lutte entre la reelle et la chimerique. Cela partait de ses coleres, d'enfant, d'un ferment de revolte, d'un desequilibre qui la jetait aux pires reveries. Puis venaient ses grands acces de devotion, son besoin d'illusion et de mensonge, de bonheur immediat, a la pensee que les inegalites et les injustices de cette terre mauvaise devaient etre compensees par les eternelles joies d'un paradis futur. C'etait l'epoque de ses combats avec Pascal, des tourments dont elle l'avait torture, en revant d'assassiner son genie. Et elle tournait, a ce coude de la route, elle le retrouvait son maitre, la conquerant par la terrible lecon de vie qu'il lui avait donnee, pendant la nuit d'orage. Depuis, le milieu avait agi, l'evolution s'etait precipitee: elle finissait par etre la ponderee, la raisonnable, acceptant de vivre l'existence comme il fallait la vivre, avec l'espoir que la somme du travail humain libererait un jour le monde du mal et de la douleur. Elle avait aime, elle etait mere, et elle comprenait. Brusquement, elle se rappela l'autre nuit, celle qu'ils avaient passee sur l'aire. Elle entendait encore sa lamentation sous les etoiles: la nature atroce, l'humanite abominable, et la faillite de la science, et la necessite de se perdre en Dieu, dans le mystere. En dehors de l'aneantissement, il n'y avait pas de bonheur durable. Puis, elle l'entendait, lui, reprendre son credo, le progres de la raison par la science, l'unique bienfait possible des verites lentement acquises, a jamais, la croyance que la somme de ces verites, augmentees toujours, doit finir par donner a l'homme un pouvoir incalculable, et la serenite, sinon le bonheur. Tout se resumait dans la foi ardente en la vie. Comme il le disait, il fallait marcher avec la vie qui marchait toujours. Aucune halte n'etait a esperer, aucune paix dans l'immobilite de l'ignorance, aucun soulagement dans les retours en arriere. Il fallait avoir l'esprit ferme, la modestie de se dire que la seule recompense de la vie est de l'avoir vecue bravement, en accomplissant la tache qu'elle impose. Alors, le mal n'etait plus qu'un accident encore inexplique, l'humanite apparaissait, de tres haut, comme un immense mecanisme en fonction, travaillant au perpetuel devenir. Pourquoi l'ouvrier qui disparaissait, ayant termine sa journee, aurait-il maudit l'oeuvre, parce qu'il ne pouvait en voir ni en juger la fin? Meme, s'il ne devait pas y avoir de fin, pourquoi ne pas gouter la joie de l'action, l'air vif de la marche, la douceur du sommeil apres une longue fatigue? Les enfants continueront la besogne XIV 172
pascal

« taille mince et allongee, sa gorge ronde et menue, ses bras souples, d'une grace divine.

Maintenant, il s'en etait alle, il dormait sous la terre, tandis qu'elle, habillee de noir, toute noire, ne montrant rien de sa nudite triomphante, n'avait plus que l'enfant pour exprimer le don tranquille, absolu qu'elle avait fait de sa personne, devant le peuple assemble, a la pleine lumiere du jour. Doucement, Clotilde finit par s'asseoir pres du berceau.

Les fleches de soleil s'allongeaient d'un bout de la piece a l'autre, la chaleur de l'ardente journee s'alourdissait, parmi l'ombre assoupie des volets clos; et le silence de la maison semblait s'etre elargi encore.

Elle avait mis a part des petites brassieres, elle recousait des cordons, d'une aiguille lente, peu a peu prise d'une songerie, au milieu de cette grande paix chaude qui l'enveloppait, dans l'incendie du dehors.

Sa pensee, d'abord, retourna a ses pastels, les exacts et les chimeriques, et elle se disait maintenant que toute sa dualite se trouvait dans cette passion de verite qui la tenait parfois des heures entieres devant une fleur, pour la copier avec precision, puis dans son besoin d'au dela qui, d'autres fois, la jetait hors du reel, l'emportait en reves fous, au paradis des fleurs increees.

Elle avait toujours ete ainsi, elle sentait qu'au fond elle restait aujourd'hui ce qu'elle etait la veille, sous le flot de vie nouveau qui la transformait sans cesse.

Et sa pensee, alors, sauta a la gratitude profonde qu'elle gardait a Pascal de l'avoir faite ce qu'elle etait.

Jadis, lorsque, toute petite, l'enlevant a un milieu execrable, il l'avait prise avec lui, il avait surement cede a son bon coeur, mais sans doute aussi etait-il desireux de tenter sur elle l'experience de savoir comment elle pousserait dans un milieu autre, tout de verite et de tendresse.

C'etait, chez lui, une preoccupation constante, une theorie ancienne, qu'il aurait voulu experimenter en grand: la culture par le milieu, la guerison meme, l'etre ameliore et sauve, au physique et au moral.

Elle lui devait certainement le meilleur de son etre, elle devinait la fantasque et la violente qu'elle aurait pu devenir, tandis qu'il ne lui avait donne que de la passion et du courage.

Dans cette floraison, au libre soleil, la vie avait meme fini par les jeter aux bras l'un de l'autre, et n'etait-ce pas comme l'effort dernier de la bonte et de la joie, l'enfant qui etait venu et qui les aurait rejouis ensemble, si la mort ne les avait point separes? Dans ce retour en arriere, elle eut la sensation nette du long travail qui s'etait opere en elle.

Pascal corrigeait son heredite, et elle revivait la lente evolution, la lutte entre la reelle et la chimerique.

Cela partait de ses coleres, d'enfant, d'un ferment de revolte, d'un desequilibre qui la jetait aux pires reveries.

Puis venaient ses grands acces de devotion, son besoin d'illusion et de mensonge, de bonheur immediat, a la pensee que les inegalites et les injustices de cette terre mauvaise devaient etre compensees par les eternelles joies d'un paradis futur.

C'etait l'epoque de ses combats avec Pascal, des tourments dont elle l'avait torture, en revant d'assassiner son genie.

Et elle tournait, a ce coude de la route, elle le retrouvait son maitre, la conquerant par la terrible lecon de vie qu'il lui avait donnee, pendant la nuit d'orage.

Depuis, le milieu avait agi, l'evolution s'etait precipitee: elle finissait par etre la ponderee, la raisonnable, acceptant de vivre l'existence comme il fallait la vivre, avec l'espoir que la somme du travail humain libererait un jour le monde du mal et de la douleur.

Elle avait aime, elle etait mere, et elle comprenait. Brusquement, elle se rappela l'autre nuit, celle qu'ils avaient passee sur l'aire.

Elle entendait encore sa lamentation sous les etoiles: la nature atroce, l'humanite abominable, et la faillite de la science, et la necessite de se perdre en Dieu, dans le mystere.

En dehors de l'aneantissement, il n'y avait pas de bonheur durable.

Puis, elle l'entendait, lui, reprendre son credo, le progres de la raison par la science, l'unique bienfait possible des verites lentement acquises, a jamais, la croyance que la somme de ces verites, augmentees toujours, doit finir par donner a l'homme un pouvoir incalculable, et la serenite, sinon le bonheur.

Tout se resumait dans la foi ardente en la vie.

Comme il le disait, il fallait marcher avec la vie qui marchait toujours.

Aucune halte n'etait a esperer, aucune paix dans l'immobilite de l'ignorance, aucun soulagement dans les retours en arriere.

Il fallait avoir l'esprit ferme, la modestie de se dire que la seule recompense de la vie est de l'avoir vecue bravement, en accomplissant la tache qu'elle impose.

Alors, le mal n'etait plus qu'un accident encore inexplique, l'humanite apparaissait, de tres haut, comme un immense mecanisme en fonction, travaillant au perpetuel devenir. Pourquoi l'ouvrier qui disparaissait, ayant termine sa journee, aurait-il maudit l'oeuvre, parce qu'il ne pouvait en voir ni en juger la fin? Meme, s'il ne devait pas y avoir de fin, pourquoi ne pas gouter la joie de l'action, l'air vif de la marche, la douceur du sommeil apres une longue fatigue? Les enfants continueront la besogne Le Docteur Pascal XIV 172. »

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