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Le loisir. Jean-Marie Domenach

Publié le 27/04/2011

Extrait du document

   Il faut, pour le loisir, de plus en plus de choses. Il suffit de regarder partir ces caravanes surchargées d'objets de toutes sortes, de vêtements convenables à toutes les occupations. Ce sont maintenant sur nos routes des maisons entières qui se déplacent... Le royaume du loisir, c'est le royaume du marchand, et le marchand demande à être payé et pour le payer il faut travailler ; la raison de bien des heures supplémentaires, c'est précisément ce loisir, le soleil de tout un hiver de travail.    Ce loisir exige du travail, mais le loisir tend à devenir aussi en lui-même un travail, par la vitesse, par la surcharge des stations de vacances où les hôtels sont maintenant retenus une année à l'avance, par le tourisme, par le temps et l'espace qui doivent être vaincus à tout prix. Le loisir redevient à sa manière une espèce de travail, et ce n'est pas par hasard que l'on entend dire : « Moi, j'ai fait l'Espagne, j'ai fait les châteaux de la Loire « : ce « faire «indique une activité qui a son rendement et qui a conscience d'avoir été laborieuse. Le prix de ce loisir mécanisé, c'est une grande difficulté au repos...    Le loisir dépend étroitement du travail, mais il est vrai aussi qu'il contient des éléments irréductibles au travail ; il est vrai aussi qu'il dépasse le travail et qu'il offre à l'homme des possibilités que celui-ci ne retrouvera nulle part ailleurs. Je parlais tout à l'heure de ceux qui «font« l'Espagne..., mais le loisir, n'est-ce pas le moyen pour l'homme de faire l'homme profondément ? Ce que bien peu arriveront à réaliser dans leur travail, ils pourront tenter de l'incarner dans leurs loisirs : d'être tout simplement des hommes et aussi complètement que possible. Je suis frappé de ce que le loisir donne aux contemporains la possibilité de récapituler toutes les figures de l'homme, d'être successivement à son gré ce sauvage de la préhistoire qui va chasser, pêcher, et qui se nourrit de gibier grillé sur une pierre, d'être aussi cet homme de la Renaissance qui accumule les infolio O; et vit parmi les beaux livres, d'être aussi cet homme de l'Antiquité qui Court sur le stade : toutes les figures historiques de l'homme, nous pouvons les reprendre comme des déguisements, pour nous remettre dans la peau des civilisations disparues, et ainsi, dans notre vie est offerte la chance inestimable de les rejouer — ce qui ne veut pas dire de les revivre vraiment...    L'homme du loisir ne fait jamais que rejouer les conditions qui ne sont pas la sienne, et quand il travaille pour se distraire, au fond il fait semblant de travailler, il ne travaille pas vraiment. Pourtant ne soyons pas trop sévères pour le loisir, car cette chance de reprendre des masques est quand même immense, cette chance d'être un autre homme, de revêtir un autre visage. D'une certaine façon, tout peut nous être rendu à travers le loisir, de l'animalité à la prière. Dans la civilisation de la montre, où nous sommes obligés à chaque instant de regarder quelle heure il est, le loisir est un temps qui n'est pas compté, c'est le temps du jeu, de l'amour, de la contemplation... Il reste ce champ disponible à l'homme, ce champ où l'homme peut s'essayer à la liberté. Cependant, du loisir ne sort aucune indication et tout peut en sortir...    C'est pourquoi on jugera probablement dans quelque temps une civilisation à la qualité de ses loisirs. Mais cette qualité dépendra de ce que sera réellement cette civilisation, et l'extension actuelle des loisirs de masse rend encore plus urgente, plus nécessaire, cette définition d'une civilisation qui soit axée sur des valeurs, qui soit orientée vers une figure de l'homme, et non pas vers la multiplication des masques dont je parlais tout à l'heure ; car on peut construire une cité autour de la figure de l'homme qui prie, de l'homme qui travaille, de l'homme qui combat ; il peut y avoir une civilisation du moine, du héros et du producteur, mais il ne peut y avoir une civilisation du pêcheur à la ligne. Le loisir, c'est essentiellement le royaume de la consommation. Tout nous arrive dans le loisir à travers une consommation : nous sommes dans une position de consommateur lorsque nous visitons la nature ou les monuments. Et le consommateur consomme. Il n'apporte rien. Il mange les civilisations, et va les voir à domicile, il les rapporte dans ses appareils photographiques et il ne crée rien.    Jean-Marie Domenach, 1962.    Vous ferez de ce texte, à votre gré, un résumé ou une analyse, en indiquant nettement votre choix au début de la copie. Vous dégagerez ensuite un problème qui, dans cet extrait, offre une réelle consistance. Vous en exposerez les données et vous apporterez vos réponses personnelles aux questions soulevées, dans un développement ordonné.

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