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Le Misanthrope. ACTE PREMIER. SCENE II. Molière

Publié le 12/07/2011

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ALCESTE. Franchement, il est bon à mettre au cabinet. Vous vous êtes réglé sur de méchants modèles, Et vos expressions ne sont point naturelles. Qu'est-ce que Nous berce un temps notre ennui? Et que Rien ne marche après lui ? Que Ne vous pas mettre en dépense, Pour ne me donner que l'espoir? Et que Philis, on désespère, Alors qu'on espère toujours? Ce style figuré, dont on fait vanité, Sort du bon caractère et de la vérité : Ce n'est que jeu de mots, qu'affectation pure, Et ce n'est point ainsi que parle la nature. Le méchant goût du siècle en cela me fait peur. Nos pères, tous grossiers, l'avaient beaucoup meilleur, Et je prise bien moins tout ce que l'on admire, Qu'une vieille chanson que je m'en vais vous dire: Si le Roi m'avait donné Paris, sa grand'ville, Et qu'il me fallût quitter L'amour de ma mie, Je dirais au Roi Henri: Reprenez votre Paris: J'aime mieux ma mie, au gué! J'aime mieux ma mie. « La rime n'est pas riche, et le style en est vieux: Mais ne croyez-vous pas que cela vaut bien mieux Que ces colifichets dont le bon sens murmure, Et que la passion parle là toute pure? Si le Roi m'avait donné Paris, sa grand'ville, Et qu'il me fallût quitter L'amour de ma mie, Je dirais au Roi Henri: « Reprenez votre Paris: J'aime mieux ma mie, au gué! J'aime mieux ma mie. « Voilà ce que peut dire un cœur vraiment épris. Oui, Monsieur le rieur, malgré vos beaux esprits. J'estime plus cela que la pompe fleurie De tous ces faux brillants où chacun se récrie.

L'ensemble. — Molière a glissé ici une scène de pure critique littéraire. Un poète de salon, Oronte, s'adresse à Alceste, dont la sincérité est connue, pour avoir son avis au sujet d'un sonnet qu'il vient de composer. Alceste, qui ne sait pas feindre, lui dit qu' « il est bon à mettre au cabinet «, c'est-à-dire à enfermer dans le tiroir d'un meuble nommé cabinet. A ce propos, il lui donne en exemple une vieille chanson qui brille par son naturel, sa simplicité et la vérité du sentiment qu'elle exprime, tandis que le sonnet d'Oronte n'est qu'affectation, recherche et manque de sincérité. Molière expose ici les idées littéraires les plus importantes de son œuvre et sa plus forte critique du style précieux. Il va même plus loin et affirme que l'art doit servir à faire parler « la nature « et la « passion toute pure «. Il montre, par là, la voie à Racine. 

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