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Le salon de Mme Récamier (1849). Sainte-Beuve

Publié le 03/05/2011

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beuve

Mme Récamier (1777-1849), célèbre par sa beauté, par son esprit et par sa bonté, commença à recevoir sous le Consulat, rue de la Chaussée-d' Antin. Exilée sous l'Empire, elle rouvrit son salon en 1819, à l'Abbaye-au-Bois. Chateaubriand en devint l'hôte le plus illustre et le plus assidu.

 

... M. de Chateaubriand y régnait, et, quand il était présent, tout se rapportait à lui ; mais il n'y était pas toujours, et même alors il y avait des places, des degrés, des apartés pour chacun. On y causait de toutes choses, mais comme en confidence et un peu moins haut qu'ailleurs. Tout le monde, ou du moins bien du monde, allait dans ce salon, et (1) il n'avait rien de banal; on y respirait, en entrant, un air de discrétion et de mystère. La bienveillance, mais une bienveillance sentie et nuancée, je ne sais quoi de particulier qui s'adressait à chacun, mettait aussitôt à l'aise et tempérait le premier effet de l'initiation dans ce qui semblait tant soit peu un sanctuaire. On y trouvait de la distinction et de la familiarité, ou du moins du naturel, une grande facilité dans le choix des sujets, ce qui est très important pour le jeu de l'entretien, une promptitude à entrer dans ce qu'on disait, qui n'était pas seulement de complaisance et de bonne grâce, mais qui témoignait d'un intérêt plus vrai. Le regard rencontrait d'abord (2) un sourire qui disait si bien : Je comprends, et qui éclairait tout, avec douceur. On n'en sortait pas, même (3) Et, dans le sens de : e pourtant.... (2) D'abord, dès l'abord. une première fois, sans avoir été touché à un endroit singulier de l'esprit et du coeur, qui faisait qu'on était flatté et surtout reconnaissant. Il y eut bien des salons distingués au XVIIIe siècle, ceux de Mme Geoffrin, de Mme d'Houdetot, de Mme Suard (1). Mme Récamier les connaissait tous et en parlait très bien ; celui qui aurait voulu en écrire avec goût aurait dû en causer auparavant avec elle; mais aucun ne devait ressembler au sien. C'est qu'aussi elle ne ressemblait à personne. M. de Chateaubriand était l'orgueil de ce salon, mais elle en était l'âme.... Dans son petit salon de l'Abbaye (2), elle pensait à tout, elle étendait au loin son réseau de sympathie. Pas un talent, pas une vertu, pas une distinction qu'elle n'aimât à connaître, à convier, à obliger, à mettre en lumière, à mettre surtout en rapport et en harmonie autour d'elle, à marquer au coeur d'un petit signe qui était sien. Il y a là de, l'ambition, sans doute; mais quelle ambition adorable, surtout quand, s'adressant aux plus célèbres, elle ne néglige pas même les plus obscurs, et quand elle est à la recherche des plus souffrants! C'était le caractère de cette âme si multipliée de Mme Récamier, d'être à la fois universelle et très particulière, de ne rien exclure ; que dis-je, de tout attirer et d'avoir pourtant le choix. Ce choix pouvait même sembler unique. M. de Chateaubriand, dans les vingt dernières années, fut le grand centre de son monde, le grand intérêt de sa vie, celui auquel je ne dirai pas qu'elle sacrifiait tous les autres (elle ne sacrifiait personne qu'elle-même), mais auquel elle subordonnait tout. Il avait ses antipathies, ses aversions, et même ses amertumes, que les Mémoires d'Outre-tombe aujourd'hui déclarent assez (3). Elle tempérait et corrigeait tout cela. Comme elle était ingénieuse à le faire parler quand il se taisait, à supposer de lui des paroles aimables, bienveillantes pour les autres, qu'il lui avait dites sans doute tout à l'heure dans l'intimité, mais qu'il ne répétait pas toujours devant les témoins! Comme elle était coquette pour sa gloire! Comme elle réussissait parfois aussi à le rendre réellement gai, aimable, tout à fait content, éloquent ; toutes choses qu'il était si aisément dès qu'il le voulait (1) ! Une personne d'un esprit aussi délicat que juste, et qui l'a bien connue, disait de Mme Récamier : « Elle a dans le caractère ce que Shakespeare appelle (2) milk of human kindness (le lait de la bonté humaine), une douceur tendre et compatissante. Elle voit les défauts de ses amis, mais elle les soigne en eux comme elle soignerait les infirmités physiques. « Elle était donc la soeur de charité de leurs peines, de leurs faiblesses, et un peu de leurs défauts.

(Causeries du Lundi, t. I. : Madame Récamier, Garnier frères, éd.)

(1) Mme Geoffrin (1699-1777) eut au avilie siècle un célèbre salon philosophique; Mme d'Houdetot (173o-1813) était la belle-sœur de Mme d'Épinay (voir Confessions de J.-J. Rousseau); — Mme Suard (1750-1830) était femme de l'académicien J.-B. Suard; elle recevait surtout les héritiers des philosophes du XVIIIe siècle, et ceux que Napoléon appelait les idéologues. (2) L'Abbaye-aux-Bois couvent situé rue de Sèvres, et qui prenait quelques dames du monde comme pensionnaires. Mme Récamier y vécut de 1819 jusqu'à sa mort, 1849. L'Abbaye est aujourd'hui démolie; sur son emplacement se trouve la rue Récamier. (3) Les Mémoires d'Outre-tombe avaient été vendus par Chateaubriand à une société, moyennant une somme de 250,000 francs et une rente viagère de 20,000; ils ne devaient paraître qu'après la mort de l'auteur : de là leur titre. Cependant Émile de Girardin en commença la publication dans son journal la Presse, quelques mois avant la mort de Chateaubriand.

 

QUESTIONS D'EXAMEN I. — L'ensemble. — Tableau d'un salon. — 1 Qu'était-ce qu'un salon? 2 Indiquez quelques-uns des salons les plus célèbres du XVIIIe siècle; 3 Montrez que Mme Récamier était vraiment l'âme de son salon ; 4 Comment vous apparaît-elle? (traits distinctifs de son caractère?) ; 5 Quel était l'hôte le plus illustre du salon? 60 Marquez l'influence exercée sur lui par Mme Récamier; 7 Comment était-on accueilli dans le salon? Comment en sortait-on ?

II. — L'analyse du morceau. — 1 Distinguez les différentes parties du morceau : a) Ton qui régnait dans le salon; b) Sympathie de Mme Récamier pour tous; c) Grande place tenue par Chateaubriand dans ce salon; 2 Le salon de Mme Récamier était-il très fréquenté ? 3 Les sujets d'entretien étaient-ils variés? 4 Que rencontraient les regards dès l'abord? 5 Le salon de Mme Récamier ressemblait-il aux salons du XVIIIe siècle? 6 Quelle considération particulière était accordée à Chateaubriand? 7 Le grand écrivain se montrait-il toujours aimable? 8 Rappelez deux belles expressions s'appliquant à Mme Récamier.

III. — Le style ; — les expressions. — 1 Montrez que Sainte-Beuve excelle à exprimer les nuances les plus délicates de la pensée (Quelle ambition adorable.... C'était le caractère de celte âme si multipliée...); comment s'appelle cette qualité du style? 2 Montrez également que l'écrivain sait mettre en relief, à l'aide d'une expression pittoresque, le trait essentiel d'un caractère ou le propre d'une situation (Elle était la soeur de charité de leurs peines... ; Chateaubriand était l'orgueil du salon de Mme Récamier... ; il fut le grand centre de son monde...) ; quelle qualité du style en résulte? 3 Expliquez l'expression : une bienveillance sentie et nuancée? Qu'appelle-t-on des apartés ?

IV. — La grammaire. — 1 Quels sont les mots de la même famille que initiation? 3 Trouvez un synonyme de chacun des mots suivants : banal (rien de banal), vrai (intérêt plus vrai), bienveillantes (paroles bienveillantes, délicat (esprit délicat); 3 Distinguez les propositions contenues dans la première phrase; 4 Nature et fonction de chacun des mots suivants : mais il n'y était pas toujours.  

Rédaction. — Une réception de Mme Récamier, d'après la page qui vient d'être lue.

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