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Quels sont les caractères essentiels de la critique de Sainte-Beuve, d'après ses études sur Mme Roland, le prince de Ligne et Voltaire ?

Publié le 15/03/2011

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     « Si l'on peut espérer d'en venir un jour à classer les talents par familles et sous de certains noms génériques qui répondent à des qualités principales, combien pour cela ne faut-il pas en observer avec patience, sans esprit de système, en reconnaître au complet, un à un, exemplaire par exemplaire, en recueillir d'analogues et en décrire ! « (Sainte-Beuve, article sur Taine.)    En ces quelques mots Sainte-Beuve définit très exactement et très complètement sa propre méthode. Il étudie les talents, les esprits plutôt que les œuvres, il a le double souci de peindre des individus et de les rattacher, si possible, à un groupe, la passion du détail et l'amour des idées générales, le sens de la nuance et le goût de la formule.

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« Il est donc possible de retrouver un ordre constant dans les études de Sainte-Beuve.

Mais cet ordre estsoigneusement dissimulé sous les dehors d'une causerie nonchalante dans laquelle le critique semble nous convier àdécouvrir avec lui son modèle.

Aucune lourdeur, aucun pédantisme, aucun encombrant appareil de critique.Volontiers, il insiste, il revient à la môme idée en lui donnant une forme neuve.

Le portrait de Voltaire jeune estcaractéristique à cet égard.

Voltaire, nous dit-il, a à la fois le goût de la demi-retraite au milieu d'un cercle d'amis,et le besoin d'une bruyante renommée.

Mais ces deux dispositions contradictoires ne sont pas distinctes, elles neforment pas dans son âme de cloisons étanches.

Aussi Sainte-Beuve se garde d'en étudier une complètement, puisde passer à l'autre.

Les traits de caractère, qui se sont développés parallèlement, il les décrit en des tableauxparallèles.

Voltaire est le « génie familier des cercles élégants » mais « il en sort bientôt par une qualité et par undéfaut » (p 538).

Mais alors il a « des regrets et des habitudes d'homme de société » (p.

539).

II a le parti pris derire; cependant, la vie de salon ne lui suffit pas (p.

540).

Il en sort parce qu'il «a le diable au corps, et parce qu'il aaussi des étincelles du dieu ».

Les deux thèmes s'opposent et s'entre-croisent, pour se réunir enfin : « Il avaitcommencé par dire à Mme de Bernières : la grande affaire et la seule c'est de vivre heureux, et, bon gré mal gré, ilétait entraîné à justifier chaque jour à L'avance le mot de Beaumarchais : la vie est un combat.

» Ce procédé, qui n'est peut-être pas le procédé logique, — mais Sainte-Beuve se défiait de la logique, parce qu'elleest en général l'opposé de la réalité, — ce procédé a l'avantage de rendre un portrait très vivant.

Faire vivre sonmodèle, n'est-ce pas encore une manière d'être vrai? Aussi Sainte-Beuve s'exprime-t-il sur Mme Roland, Voltaire, leprince de Ligne, avec la chaleur et la vivacité qu'il apporterait à parler d'un de ses amis.

Il s'anime, il s'indignequelquefois, puis se calme, atténue, et finit par sourire.

Il aime à se représenter son modèle, il l'évoque dans soncadre naturel.

Il se demande quelle serait la manière d'agir de Voltaire, par exemple, dans tel cas déterminé.

Mais làencore apparaît son souci constant de vérité : a Voilà ce que ferait Voltaire », dit-il, et il ajoute en note : « Jen'invente rien, ma supposition n'était qu'une réminiscence.

» Sainte-Beuve entre si bien dans l'intimité de ses modèles, qu'il prend jusqu'à leur style.

Le ton est soutenu, oratoirequelquefois, dans le portrait de Mme Roland.

Quand il nous la montre avide de gloire et d'immortalité, il sembles'identifier un instant avec elle, lui emprunter ses phrases pompeuses, ses nombreuses épithètes, et jusqu'à soncharabia : « Cette scène principale où l'on rencontre à chaque pas l'aliment de l'intelligence et l'émotion de la gloire.» Pour nous entretenir du prince de Ligne, il adopte sa manière un peu mièvre, sa grâce nonchalante, sesnégligences de grand seigneur, et même sa manie de calembours : « Il prend la campagne dans l'intervalle de deuxcampagnes.

» La causerie sur le prince a toutes les qualités que celui-ci recommandait à l'homme aimable. Dans l'étude sur Voltaire, enfin, Sainte-Beuve prend, autant qu'il est possible, le style rapide, alerte, nerveux, clair,étincelant de son modèle.

Tout concourt donc, dans les Causeries, à cette même fin : être vrai, voir et montrer un homme tel qu'il a été.

Maissi cela est nécessaire à ses yeux, ce n'est pas suffisant.

Ces individus qu'il a isolés pour les mieux étudier, il lesrapproche maintenant, il les compare, il les classe.

Tout homme, comme toute plante, s'il n'est jamais absolumentsemblable à un autre homme, se rattache cependant à un type général.

L'effort de Sainte-Beuve c'est, après avoirmontré les hommes dans leur diversité infinie, de les faire voir dans leurs ressemblances, de constituer des groupes.Il veut, à l'aide des éléments qu'il a réunis, faire une histoire naturelle des esprits. C'est ainsi que Mme Roland personnifie à ses yeux « l'esprit de race girondine », comme Necker représente « l'espritde famille doctrinaire ».

Par ces mots : girondin, doctrinaire, Sainte-Beuve n'entend pas désigner seulement lespartis qui portaient ces noms pendant la Révolution ou sous la monarchie de Juillet, mais « les familles politiquesauxquelles se rattachent l'un et l'autre » ; d'un côté les jeunes, les ardents, les passionnés, confiants en eux-mêmes, dans leurs idées, dans l'humanité, audacieux et téméraires; de l'autre, les hommes d'âge mûr, assagis,prudents, habiles et défiants. Le prince de Ligne est, dans l'histoire du sentiment de la nature, le type des « amateurs restés gens du monde »,touchés en effet de la nature, et ne la voulant jamais séparer de la société; « le type du parfait gentilhomme, quimet son esprit, sa coquetterie, sa grâce légère dans son amour pour la nature, qui l'aime en homme de goût plusqu'en artiste, qui veut « l'air jardin aux forets et l'air forêt aux jardins ».

— Voltaire, enfin, trop complexe et tropcomplet pour appartenir à une seule famille d'esprits, réunit et résume en lui les qualités et les défauts français. Sainte-Beuve unit aux patients travaux de détail, les larges vues d'ensemble; il étudie des faits, des individus isolés,et il essaye de dégager de son étude des lois générales : n'est-ce pas là proprement l'esprit scientifique? Parce qu'ila cherché le vrai avant toutes choses, parce qu'il s'est préoccupé d'être exact, plus que de faire œuvre d'art ouœuvre utile, il est devenu le chef de la jeune école de critique.

Dans tous les domaines aujourd'hui, psychologie,sociologie, histoire, littérature même et critique littéraire, les qualités scientifiques, l'exactitude, la probitéintellectuelle, le contrôle rigoureux, la recherche minutieuse et désintéressée du vrai, la soumission aux faits,paraissent aussi nécessaires que les qualités proprement littéraires ou artistiques.

Les qualités scientifiques, Sainte-Beuve les a aimées, il les a possédées, à une époque où elles n'étaient pas encore à la mode : il est, dans l'histoirede la critique, un précurseur.. »

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